Conteneurs : l'affaire transpacifique

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Les chargeurs vont-ils y voir plus clair dans l’offre qui leur sera faite en octobre ? Cette année, les effets de la crise sanitaire se conjuguent avec la Golden Week en Chine. Deux paramètres qui perturbent le jeu de l'offre et de la demande alors que les taux de fret flambent entre la Chine et les États-Unis. Un phénomène qui fait réagir les autorités chinoises, interpelle l’administration américaine, mais laisse de marbre les autorités de la concurrence européenne. 

Deux certitudes dans un grand moment de flottement. La demande de transport s’annonce forte pour le 4e trimestre, excepté une intermittence de trois à quatre semaines (semaine 40 à 43, du 4 au 29 octobre). En conséquence, les armateurs ont clairement augmenté leur offre pour le 3e trimestre, mais ont redoublé de prudence cette année pour limiter leur offre dans une large fenêtre encadrant la Golden Week, appellation donnée à la semaine de jours fériés en Chine du 1er au 7 octobre.

Selon Sea-Intelligence, la capacité sur Asie-Amérique du Nord (côte ouest) devrait augmenter de 9,5 % (en année glissante) et de 12,1 % sur la côte est américaine. Sur le trade Asie-Europe du Nord, la capacité devrait également augmenter de 5,9 % par rapport à l'année précédente. Mais le consultant indique aussi que la fête nationale chinoise, qui entraîne fermeture d'usines et baisse significative de la demande de transport par conteneurs à destination et en provenance de l'Asie, est particulière cette année. « Les transporteurs ont été plus prudents dans le déploiement de leur capacité pendant cette période. Ils ont supprimé cette année plus de départs vers l'Europe que d'habitude. En revanche, le pourcentage de voyages transpacifiques est à peu près le même que la moyenne de 2014-2019. »

La demande de la région transpacifique échappe à tout entendement

Prudence des armateurs

Hapag-Lloyd a été le premier à annoncer qu'il ne déploierait aucun navire supplémentaire de l'Asie vers l'Europe du Nord sous le service FE4 de l'alliance dont il est membre, THE Alliance. Et ce, jusqu’à la troisième semaine d’octobre. L'alliance n’a pour autant indiqué officiellement que deux suppressions de traversées sur le programme qu’elle avait dû revoir à la hausse après avoir trop sabré dans les départs. Cela limite à quatre le nombre de voyages annulés sur le trafic Asie-Europe du Nord pour THE Alliance au cours des deux premières semaines d'octobre.

L'accord de partage de navires entre Maersk et MSC (2M) ne prévoit pour sa part que quatre départs sur cette route, dont trois pour le service saisonnier AE-55/Griffin au cours des semaines 41, 42 et 43, établit Alphaliner, le spécialiste de la ligne régulière dans sa dernière note hebdomadaire. Sur la route transpacifique, 2M a également maîtrisé le coup de canif en déprogramment « seulement » trois départs sur les lignes Asie-États-Unis. L'Alliance renoncera en outre à quatre départs d’Asie vers la côte est américaine et cinq vers la côte ouest américaine.

La 3e plus grande alliance, Ocean, avait d’abord annoncé le 2 septembre qu'elle annulerait neuf traversées sur le transpacifique, dont huit entre le 3 et le 10 octobre. Or le programme réactualisé au 15 septembre ne fait état que de cinq navigations annulées en octobre.

Golden Week : le passage du gué

Encadrement nécessaire ?

La forte demande de fret sur le transpacifique continue de tirer vers le haut les tarifs sur le marché spot. Le taux moyen entre Shanghai et Los Angeles/Long Beach a atteint un autre niveau record de 3 813 $ la semaine dernière selon l'indice du fret conteneurisé (SCFI) de Shanghai, en hausse de 1,5 % par rapport à la semaine précédente. Les taux de l'Asie-Europe du Nord ont grimpé à 2 108 $ (+ 1,2 %). Ils s’envolent en réalité depuis plusieurs semaines. Aujourd’hui, plus que jamais, c’est un marché déterminé par les transporteurs, indique Paul Tourret, directeur de l’Isemar (entretien à retrouver ici). Ils ont en effet réussi à faire passer huit augmentations consécutives de leurs taux de fret en cinq mois et demi.

Cette flambée des tarifs sur le transpacifique, permise par le fait que les transporteurs ont unilatéralement retiré des navires en masse, n’a pas échappé à certaines autorités de régulation. Et ce d’autant que les résultats semestriels des compagnies maritimes semblent indiquer que cette stratégie a été un levier pour améliorer leurs profil financier alors même qu’une crise planétaire a fait plier de grands pans de l’activité économique mondiale.

Les transporteurs de la ligne régulière convoqués par le ministère chinois des Transports

LA FMC renforce sa surveillance

Ces derniers jours, les principaux transporteurs opérant sur cette route ont été entendus par le ministère des Transports chinois, invités à s’expliquer sur la politique tarifaire (GRI, General Rate Increase) et la gestion de leurs capacités. Au cours de l’été, l’administration américaine (FMC) s’en était également émue, sans interférer mais en indiquant toutefois : « S'il y a des indications d'un comportement des transporteurs qui pourrait violer la loi sur le transport maritime, la Commission ira si nécessaire devant la cour fédérale pour demander une injonction afin d'interdire la poursuite de l'exploitation de l'accord d'alliance non conforme. ».

Le 14 septembre, le président de la FMC, Michael Khouri, a indiqué au détour d’un discours que les États-Unis « surveillent de près la manière dont les alliances dans le transport maritime de conteneurs réduisent la capacité ». L’administration de Trump a sommé les compagnies de transmettre dans les plus brefs délais leur programme de blank sailing. 

Selon le média chinois Caixin, l’éxecutif chinois envisagerait d'ouvrir une enquête « si les taux continuent à augmenter ». Les événements de ces derniers jours n’ont pas suscité beaucoup de réactions de la part des transporteurs, excepté peut-être Cosco/OOCL, dont la mise à jour de son programme de navigation mentionne la restauration de six traversées entre l’Asie et la côte ouest américaine au cours du mois d'octobre. Et la taïwanaise Evergreen qui a retiré en début de semaine sa GRI. 

Paul Tourret : « La ligne régulière est devenue extrêmement volatile »

Quid des autorités européennes de la concurrence ?

L’autorité européenne de régulation – qui relève de la commissaire danoise à la concurrence Margrethe Vestager – ne s’est pour l’heure pas prononcée publiquement sur la question. Saisie par les chargeurs, elle s’était contentée d’émettre un « avertissement » au printemps dernier, au moment où l’offre atteignait un point bas, avec 20 % de capacités extraites du marché.

C’est aussi Margrethe Vestager qui a approuvé une prolongation de quatre ans, jusqu'au 25 avril 2024, du règlement d'exemption par catégorie. Le « block exemption », qui a pris le relais des anciennes « conférences maritimes » déclarées illégales en 2008 par une décision européenne, permet au transport maritime de conteneurs d'opérer en dehors des règles, celles qui empêchent en principe aux entreprises de travailler ensemble d'une manière qui pourrait restreindre la concurrence. Cette immunité exceptionnelle, accordée il y a plus de quinze ans par le Conseil des ministres de l'UE et plusieurs fois renouvelée, permet concrètement aux compagnies maritimes, réunies en alliances ou consortiums dont la part de marché cumulée est inférieure à 30 %, de coopérer sur le plan opérationnel (partage de capacités, coordination des itinéraires et des horaires...). Cette dérogation est octroyée en vertu du postulat selon lequel les économies d’échelle qui en découlent et les conditions d’exploitation qui s’ensuivent – « services de transport plus viables et efficaces financièrement » – profiteraient aux usagers « en termes de qualité, prix, régularité, fiabilité, couverture, fréquence, équipements portuaires ».

Alliances maritimes : La Commission européenne confirme leur pertinence

Question européenne

L’affaire est délicate car elle touche à la notion de collusion commerciale dans un marché monopsone et oligopolistique (90 % du transport par conteneurs en haute mer s'effectue dans le cadre de l'une des trois grandes alliances) : en clair, pèse toujours le soupçon que les compagnies coordonnent leurs tarifs, qu'ils soient augmentés ou réduits. Les chargeurs ne se privent pas, d’ailleurs, de relever que les changements de prix se manifestent souvent simultanément, en ce sens que lorsque l'une des grandes du secteur ajuste ses taux, les autres suivent.

L’Europe, soucieuse de rappeler à l’ordre ceux qui dérogeraient aux règles de concurrence au sein de son marché intérieur intégré, ne semble pas vouloir emboîter le pas des administrations chinoise et américaine. Pourtant, Maersk, MSC, CMA CGM et Hapag-Lloyd, parmi les cinq premières compagnies mondiales du transport de conteneurs, sont européennes. 

Adeline Descamps

 

L'écart entre les taux de fret des contrats à court et à long terme atteint le chiffre record de 2 400 S/EVP

« Alors que l'année 2020 continue de réserver des surprises positives au secteur du transport maritime par conteneurs, l'écart entre les taux de fret contractuel à court et à long terme sur la voie commerciale transpacifique n'a jamais été aussi grand. Les étoiles sont désormais alignées pour que les transporteurs puissent obtenir des taux contractuels à long terme plus élevés », fait observer le BIMCO dans sa dernière publication. Le 17 septembre, pour les conteneurs expédiés de l'Extrême-Orient vers la côte ouest des États-Unis, les taux de fret à court terme s'élèvent à 3 921 $/EVP et à long terme à 1 521 $/EVP, une différence record de 2 400 $/EVP, souligne Xeneta.

« Une augmentation significative des volumes de conteneurs dans les ports de Long Beach et Los Angeles de la baie de San Pedro, sur la côte ouest des États-Unis, a fait augmenter les importations de 13 % et 18 % respectivement en août, par rapport au même mois de l'année dernière. Cette hausse contraste avec la baisse moyenne de 17 % des volumes de conteneurs en février, mars et mai de cette annéeLes semaines et les mois à venir verront probablement une augmentation des taux de fret à long terme lorsque les contrats seront en cours de négociation et de renouvellement avec les chargeurs », indique Peter Sand, analyste au sein du BIMCO. 

 

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