Rodolphe Saadé, PDG du groupe CMA CGM dans un entretien au Financial Times : « Le marché est si fort que les autorités chinoises estiment, qu’à un moment donné, il faut un plafond ».
« Les autorités chinoises estiment que vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez. il y a des règles qui doivent être respectées », a reconnu Rodolphe Saadé dans un entretien au Financial Times. « Le marché est si fort que les autorités chinoises estiment qu’à un moment donné, il faut un plafond », justifie même le PDG du groupe CMA CGM.
Dans cet entretien, le président du quatrième armement mondial de porte-conteneurs dissipe une partie du mystère : la Chine a bel et bien cherché à encadrer les taux de fret. C’est la première fois qu’une grande compagnie, parmi celles qui avaient été convoquées par les autorités de régulation chinoises à la fin de l’été, s’exprime sur le sujet.
À l’instar de la Federal Maritime Commission des États-Unis (FMC), le ministère chinois des Transports a souhaité entendre en septembre les principaux transporteurs de la ligne régulière opérant entre Asie et États-Unis – Cosco, Maersk, MSC, CMA CGM, Hapag-Lloyd et Evergreen –, pour connaître les raisons de la flambée inhabituelle des taux de fret (ils sont toujours à des niveaux très élevés).
Rien d’officiel n’était sorti des discussions au sommet mais des rumeurs persistantes ont prêté à l’administration chinoise une tentative d’ingérence à la fois dans la fixation des prix et dans la gestion des capacités (à l’époque, les compagnies avaient supprimé de nombreux services).
Selon Rodolphe Saadé, les autorités craignent qu'un rebond des taux ne menace les exportations chinoises mais ne dit pas quelle sera sa politique commerciale en la matière. Il n’a pas non plus nié les problèmes de retard en raison de l’encombrement des ports, ni la pénurie de conteneurs, dont le manque accroît un peu plus la tension sur les prix.
Les transporteurs de la ligne régulière convoqués par le ministère chinois des Transports
L’ajustement des armateurs de leur offre à la demande a permis de maintenir les taux de fret alors que le secteur devait affronter la crise sanitaire. Associée à la forte baisse du coût du bunker, les opérateurs ont tous présenté, à l’issue du premier semestre, des bénéfices d’exploitation importants, ce qui a fini d’agacer les chargeurs, qui ne profiteraient pas, par ricochet, de la meilleure fortune de leurs prestataires.
Conteneurs : l'affaire transpacifique
Mouvements d’humeur
L’envolée des taux, qui a d’abord concerné le transpacifique a depuis gagné de nombreuses routes, y compris de l’Asie vers l’Europe, où les taux de fret se maintenaient jusqu’à ces derniers jours. Mais l'indice du fret conteneurisé de Shanghai (SCFI) de cette route a été contaminé à son tour par la fièvre : + 21 % vers l'Europe du Nord et + 23 % vers la Méditerranée. Les prix à destination de l'Australie et du Brésil sont également en hausse, avec le SFCI qui suit désormais les taux au comptant en provenance d'Asie avec une hausse d'environ 150 % par rapport à la même période l'année dernière.
Des mouvements d’humeur commencent à se manifester avec bruit tout au long de la chaîne d’approvisionnement, notamment de la part des commissionnaires, transitaires et logisticiens. D’autant que les surcharges, GRI et PSS pleuvent.
Deux mois après Pékin et Washington, Séoul a également convoqué il y a quelques jours les principaux transporteurs maritimes pour les inciter à la modération. Le « vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez » prononcé par Rodolphe Saadé est lourd de sens. L’interventionnisme des États est inquiétant pour les transporteurs, qui seraient alors bridés dans la gestion de leurs capacités face à l'extrême volatilité de la demande en ces temps si peu ordinaires.
Adeline Descamps