Conteneurs : la pénurie fatale

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La pénurie de boîtes atteint un seuil critique et tend les relations. En septembre, les grands groupes de logistique avaient élevé la voix. Les transitaires et chargeurs soupçonnent les transporteurs de concentrer leurs moyens sur l’Asie pour profiter des tarifs actuellement très lucratifs. Les compagnies maritimes reconnaissent une carence de conteneurs de 40 pieds et jouent la stratégie du vide. Les prix des conteneurs, à l’achat et à la location, flambent.

« Certains transporteurs maritimes retirent actuellement des conteneurs de la ligne Asie-Europe ainsi que des routes intra-asiatiques afin de les déployer sur les marchés plus lucratifs que sont devenus le transpacifique et l'Amérique latine dans une moindre mesure ». En septembre, Dominique von Orelli, responsable mondial du fret maritime chez DHL Global Forwarding, avait mis des mots sur un soupçon partagé par la grande famille de la supply chain, à commencer par les chargeurs et les transitaires.

Les compagnies maritimes de la ligne régulière ont pourtant été les premières surprises par la demande subite de transport, en plein été, de l’Asie vers les États-Unis, alors que la plupart des pays qui avaient été touchés par le virus desserrait l’étau des restrictions de confinement. Pour faire face à cet afflux, les transporteurs ont restauré en catastrophe et dans l’urgence des capacités qui n’avaient pas été planifiées voire ont redéployé des tonnages exploités sur d’autres routes. Aux importantes perturbations dans les ports -– goulets d'étranglement et inefficacités logistiques – dans les services (manque d’offre sur des routes autres que le transpacifique), dans la structure des prix (inflation des taux de fret) est venu se greffer un déficit de boîtes dû aux déséquilibres commerciaux entre les pays et à une problématique du repositionnement des conteneurs vides.

 « La demande étant supérieure à la capacité, il est certain qu'il existe actuellement un marché de vendeurs. Et cette situation pourrait durer au moins jusqu'au Nouvel An chinois [février 2021] » s’était pour part aventuré DSV tout en pointant que les rares capacités disponibles étaient vendus à des tarifs qui « déraillent ».

Stratégie du vide

Tout en redistribuant des conteneurs sur lemarché à haut rendement, Hapag-Lloyd ne nie manifestement pas le problème. Pour pallier la carence d’équipements, la compagnie allemande a décidé de suspendre le transport par conteneurs de produits agricoles en provenance d'Amérique du Nord, ou plus précisément de se limiter aux cargaisons en proximité des portes d'entrée et non de l’hinterland. Ce qui a provoqué la colère de la Specialty Soya and Grains Alliance (SSGA). Le transporteur visait notamment les boîtes accumulées dans les entrepôts américains.

C’est un fait. Les États-Unis importent plus de marchandises qu'ils n'en exportent. En temps ordinaires, les conteneurs qui arrivent aux États-Unis avec des biens de consommation sont renvoyés en Asie soit vides, soit remplis de céréales ou d'autres matières premières. Or, les taux de fret atteignant des sommets sur les marchés d'exportation asiatiques, « les transporteurs ont plutôt intérêt à ce que les conteneurs vides soient renvoyés en Asie aussi vite que possible quitte à renoncer à des cargaisons d'exportation viables, car cela ralentirait le rapatriement des conteneurs vides », décrypte Sea-Intelligence. A fortiori quand il s’agit de récupérer les marchandises dans une Amérique profonde comme le Wisconsin ou le Texas.

Des mots sur les chiffres

Pour les expéditeurs de céréales et de soja de l’hinterland, l’impossibilité d’expédier leurs marchandises est à la fois un casse-tête de gestion et une angoisse économique. Ils craignent en effet une inflation de leurs coûts de transport qui ne rendraient plus abordables leurs produits pour les importateurs asiatiques qui, effrayés par les délais et les tarifs, se tourneraient alors vers d'autres sources d'approvisionnement moins-disant (australiennes ou sud-américaines).

En 2019, 9 % des expéditions de céréales américaines ont été réalisées par conteneurs, selon le ministère américain de l'Agriculture. La plupart des exportations de soja se font traditionnellement par vraquiers mais les porte-conteneurs sont surtout sollicités pour approvisionner les marchés secondaires qui commandent de plus petits volumes. Selon la société de données commerciales Panjiva, Hapag-Lloyd a ainsi transporté plus de 17 000 EVP de soja américain entre octobre 2019 et septembre.

Deux données suffisent à éclairer la situation. Les cargaisons entrantes au port de Los Angeles ont totalisé 417 795 conteneurs en septembre. Le nombre de conteneurs vides quittant le port équivalait à 281 434 EVP. Le déficit commercial des États-Unis s'est encore creusé en août pour atteindre un nouveau record de 82,9 Md$.

70 % du parc de conteneurs en mer

Hapag-Lloyd et Maersk, les deux rares compagnies qui ont accepté de s’exprimer dans la presse sur le sujet, ne cachent pas que la disponibilité des conteneurs vides (notamment ceux de 40 pieds high cube, les plus problématiques et les plus demandés pour les biens de consommation) restera un problème pendant des mois. À l'heure actuelle, plus de 70 % du parc de conteneurs seraient en mer (sachant qu’ils peuvent voyager six à dix semaines, selon les routes, avant d’atteindre les bords à quai).

Hapag-Lloyd affirme qu’elle s’efforce de résoudre le problème et de redistribuer les conteneurs là où ils sont le plus nécessaire. La compagnie indique par ailleurs avoir investi dans de nouvelles boîtes. Maersk assure également avoir considérablement étoffé son parc de conteneurs 40’HC. Le transporteur avait l’équivalent de 600 000 unités vides sur le terrain début juillet. Selon Alphaliner, il n’en aurait plus que 350 000, « ce qui couvre à peine deux semaines de volume d'exportations mondiales ». 

SFCI à son plus haut niveau depuis 2009

« La combinaison d'une très forte demande de fret en Asie et d'une pénurie croissante de conteneurs de 40 pieds a entraîné une forte hausse des taux spot pour les exportations chinoises au cours des dernières semaines, le SCFI [indice qui mesure les prix au comptant du fret conteneurisé de Shanghai vers une série de destinations dans le monde entier] ayant atteint la semaine dernière son plus haut niveau depuis son lancement en octobre 2009 », relève Alphaliner. Le SCFI est  en hausse de 29 % depuis la Golden Week début octobre. Au cours de la semaine dernière, il a encore augmenté de 11,5 % pour atteindre 1856,33, ce qui constituerait un nouveau record depuis que l'indice existe.

Les taux spot moyens entre Shanghai et Los Angeles sont actuellement à 3 871 $/EVP alors que le transport de la même boîte de Los Angeles à Shanghai ne coûtera qu'environ 500 $/EVP. Pour les transporteurs, il revient à 66,53 cents par mille nautique dans un sens et seulement 8,59 cents dans l’autre sens, calcule le spécialiste de la ligne régulière. La fièvre à tendance à gagner d’autres routes : de Shanghai à Melbourne (+ 79,4 % depuis début septembre, 86,53 cents de recettes par mille nautique) mais aussi de Shanghai à Santos (+ 85 %, 75,34 cents). Si les transporteurs doivent flécher leurs équipements vers les marchés lucratifs, ils vont bientôt avoir l’embarras du choix. Seule la route Asie-Europe du Nord échappe à la contamination. 

Les fabricants chinois, qui dominent aussi la production de conteneurs, font recette et n’hésitent pas à faire monter les enchères. Une nouvelle boîte peut se facturer 2 500 $ alors qu’il en coûtait 1 600 $ il y a un an. De même, les taux de location auraient augmenté de 50 % en seulement six mois.

Adeline Descamps

 

 

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