Transpacifique : pas de répit pour le conteneur

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Les taux de fret sur les principaux trafics est-ouest se maintiennent alors que les semaines encadrant la Golden Week chinoise marquent en principe la fin de la saison de pointe annuelle de la ligne régulière. Les ports américains font le plein. Cette année ne répond décidément pas aux schémas classiques.

« Les navires sont remplis à 100 %. Les conteneurs sont pleins à 100 %. On ne peut plus faire construire un seul conteneur. Vous ne trouverez pas un navire sur le marché spot. Nous sommes à guichet fermé ». Les propos de Jeremy Nixon, PDG d'Ocean Network Express (ONE), sixième transporteur mondial de conteneurs, ne sont pas passés inaperçus à l’occasion d’un webinaire organisé par la Chambre internationale de la marine marchande (ICS).

Le transpacifique fait de la résistance. Mi-août, quand la frénésie s’est emparée du transport maritime de conteneurs, les observateurs, bien que déroutés, voulaient y voir les effets de la perturbation de l’offre et de la demande du fait des mesures de confinement aux États-Unis (les ratios stocks/ventes ont chuté à des niveaux records). La Golden Week, semaine de jours fériés en Chine (du 1er au 7 octobre cette année), qui marque d’ordinaire la fin de la saison de pointe, s’apparentait alors à un passage du gué pour le conteneur : la dynamique, tant dans les volumes que dans les tarifs, allait-elle persister au-delà de la « semaine d’or », s’interrogeaient les analystes.

Golden Week : le passage du gué

Les taux de fret restent élevés

La Golden Week étant largement consommée, force est de constater que les taux de fret transpacifique sont toujours incroyablement au plus haut. Les compagnies continuent de remettre sur le marché de la capacité pour répondre à la demande qui se maintient à un niveau invraisemblablement élevé. Les données sur le nombre de déclarations en douane pour les importations maritimes américaines ne montrent aucun signe de relâchement.

Dans la semaine du 15 octobre, l’indice de Drewry, qui consolide les évaluations des taux de fret sur huit grands trafics Est-Ouest, s’est établi à 2 586 $ pour un conteneur de 40 pieds, plus du double de son niveau de 2019 (+ 108,3 %). Le prix du transport d’un conteneur de 40 pieds coûte 2 211 $ entre Shanghai et Rotterdam, 2 730 $ entre Shanghai à Gênes, soit une hausse de 83 % et 93 % par rapport à l'année précédente. Même dans l’autre sens, les tarifs sont plus de 80 % supérieur à l’an dernier.

Les taux spot sur Shanghai-Los Angeles se maintiennent toujours à un niveau élevé : 4 053 $/EVP, soit presque trois fois (+ 189 %) leur niveau de l'année dernière. Que ce soit entre Shanghai et New York (4 881 $, +104 %), Los Angeles et Shanghai, New York et Rotterdam, les tarifs sont restés proches de leur taux élevé de la semaine précédente. Seule la route Rotterdam-New York a décroché en perdant 118 $ pour s'établir à 2 016 $.

Et selon Drewry, rien n’indique que les prix vont emprunter une trajectoire inverse.

Le transpacifique échappe à tout entendement

+550 $ en un jour

Mieux, la fièvre des taux spot a contaminé les taux de fret à long terme qui ont bondi de 550 $ en un jour vers les États-Unis. « Étant donné qu'un nombre beaucoup plus important de conteneurs sont expédiés dans le cadre de contrats à long terme, ils sont essentiels à la rentabilité des transporteurs », justifie l’organisation professionnelle des propriétaires et exploitants de flotte, le BIMCO.

Entre le 30 septembre et le 1er octobre, les taux à long terme entre l’Asie et la côte ouest américaine sont ainsi passés de 1 496 à 2 052 $/EVP, en hausse de 37,2 %. Ils se maintiennent depuis autour de 2 000 $, ce qui reste supérieur de 44,1 % au taux en vigueur l'année dernière (1 398 $/EVP le 13 octobre 2019). Vers la côte est des États-Unis, les tarifs ont augmenté de 721 $/EVP pour s’établir à 3 133 $. Ils sont 25,7 % plus élevés que le 1er octobre 2019.

Si au cours des six premiers mois de l'année, les volumes de conteneurs entre l’Asie et l'Amérique du Nord ont diminué de 8,5 % (300 300 EVP), les volumes records de juillet et août – + 180 000 et + 280 000 EVP respectivement – ont compensé. Le commerce entre l’Asie et l'Amérique du Nord ne reflète toutefois pas l'évolution du reste du monde. La demande mondiale de transport par conteneurs a baissé de 4,8 % au cours des huit premiers mois de l'année.

Conteneurs : l'affaire transpacifique

Des ventes au détail en hausse de 2 % aux EU mais en baisse de 7,2 % en Chine

« Le transport maritime par conteneurs vers les États-Unis a été moins impacté que ce que les taux de croissance globaux laisseraient supposer, car les secteurs les plus touchés, comme les services, dépendent moins du commerce et les ventes au détail se sont avérées assez résistantes », justifie le BIMCO. Dans les faits, les ventes au détail américaines ont en effet augmenté de 2 % au cours des trois premiers trimestres de l'année. En comparaison, la croissance a été de 3,5 % en 2019 et de 4,3 % en 2018.

Alors que les États-Unis n’ont connu « que » trois mois de baisse des dépenses de consommation cette année, la Chine a accusé sept mois de repli. Le rebond d’août et de septembre ( + 0,5 % et + 3,3 %) n'a pas été suffisant pour limiter la chute : les ventes au détail de la Chine sont en baisse de 7,2 % par rapport à l'année dernière

« La différence peut être en partie liée au contenu des plans de relance adoptés par les deux pays. Alors que la Chine a fléché ses fonds vers les infrastructures, stimulant le transport maritime du vrac sec, les États-Unis se sont concentrés sur le pouvoir d’achat. Privés de voyages, la demande des Américains s’est portée sur des biens de consommation après la réouverture des magasins, ce qui a avivé la demande du transport maritime par conteneurs et contribué à la vigueur du commerce transpacifique », explique le syndicat des armateurs.

Après reconstitution des stocks, anticipation de la 2e vague

La vigueur se maintient désormais car à la reconstitution des stocks s’est substituée l’anticipation « en prévision d'une plus nouvelle perturbation des chaînes d'approvisionnement due à la deuxième vague de la crise sanitaire ». Le scénario dit de « shipageddon » (apocalypse) s’accapare une place de choix dans les médias américains, relayant une idée de chaos à l'approche de Noël. Les entreprises ne seraient pas en mesure d'importer suffisamment de marchandises pour répondre à la demande des consommateurs pendant la période des fêtes.

Selon le sondage Evercore ISI sur l’état des stocks, seuls 10 % des entreprises ont déclaré qu'ils étaient « à peu près corrects » alors que 30 % ont estimé qu'ils étaient « un peu trop bas » et 60 % « trop bas ». Si tel est le cas, les détaillants ont donc de la marchandise à faire rentrer. Ce serait alors une bonne nouvelle pour les compagnies maritimes mais beaucoup moins pour les chargeurs et expéditeurs en termes de délais de transport et de prix…Ces derniers devront donc se résigner à payer un supplément pendant quelques mois encore et faire preuve de patience quant à la pénurie de conteneurs. Dans une note à leur clientèle, Maersk et Hapag-Lloyd ont prévenu qu'il faudrait un certain temps avant que l'équilibre ne soit rétabli à cet égard.

Le stock de conteneurs, un baromètre fiable ?

Pénurie de conteneurs, pas de retour à l’équilibre avant mi-février

Textainer, l'un des principaux loueurs de conteneurs avec Triton (55 % des conteneurs à bord de la flotte mondiale sont fournis par des loueurs, 45 % restants sont achetés directement aux fabricants par les transporteurs), estime qu’il faudra probablement encore quatre mois avant qu'un équilibre ne soit retrouvé, donc pas avant la mi-février, après le Nouvel An chinois.

Les causes sont connues : la production annuelle de conteneurs a été faible en 2019 (équivalent de 2,5 MEVP quand elle était de 4 MEVP les années précédentes), ce qui a à peine couvert le nombre de conteneurs sortis du marché. Et en raison de la crise sanitaire, le parc n’est pas non plus positionné là où il devrait être.

Conteneur : l’été indien

Fortune des ports américains

La situation fait la fortune des ports américains. Avec 888 625 EVP traités en septembre, Los Angeles a enregistré son meilleur mois de septembre en 114 ans d'histoire. Il a contribué à ce que le troisième trimestre s’établisse à plus de 2,7 MEVP. Le port ouest-américain note surtout qu’il a accueilli, entre juillet et septembre, 97 arrivées de navires sans « aucun départ annulé » tandis que 11 voyages ad hoc « ont été programmés pour répondre à la demande ».

En septembre, les importations se sont élevées à 471 795 EVP (+ 17 % par rapport au même mois de l'année dernière) mais les exports sont toujours à la peine, à 130 297EVP. « Nous avons vu les exportations chuter 22 fois sur les 23 derniers mois. Le déficit commercial croissant continue de perturber la chaîne d'approvisionnement », explique Gene Seroka, le directeur du port californien. En conséquence, 281 434 EVP vides ont été réexpédiées en Chine en septembre.

Selon ses propres estimations, Los Angeles devrait finir l’année à 8,9 MEVP. Il limiterait alors son repli à 4 % par rapport à 2019. « Compte tenu de tout ce qui s'est passé cette année sur le plan économique dans le monde et aux États-Unis, je m’en accommoderais fort bien » a commenté Gene Seroka. 

Même à l’Est

Au port de New York/New Jersey, qui a accueilli récemment le CMA CGM Brazil, le plus grand porte-conteneurs (15 072 EVP) à faire escale dans un port de la côte Est des États-Unis, le pic inattendu est vécu comme une divine surprise. Les données de septembre ne sont pas encore disponibles mais avec 688 365 EVP, le mois d’août fut un record. Son trafic s'élevait alors à 4 661 453 EVP. Une aubaine pour l’entreprise qui, fin juin, estimaient ses pertes à 800 M$. « Nous avons pris les mesures nécessaires, ressources et heures de services supplémentaires, afin de faire face à cette saison de pointe non traditionnelle », a mentionné l’autorité portuaire dans un communiqué.

Adeline Descamps

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