Son dernier plein d’acquisitions remontent à la mi-juillet. Ce jour-là, après un raid exercé entre le 6 et le 13 juillet, la Compagnie maritime belge (CMB), détenue par la famille anversoise d’armateurs Saverys, avait porté sa participation dans Euronav à 20,28 %. Le principal actionnaire de l’armateur belge de pétroliers vient d’acquérir de nouvelles actions qui lui confèrent 21,6 % du capital.
Alexandre Saverys, qui préside la CMB, poursuit ses tentatives de déstabilisation alors qu’il n’adhère pas au projet d’avenir porté par le deuxième actionnaire, le magnat du transport maritime John Fredriksen. Egalement partie prenante au capital de l’armateur norvégien Frontline, l’homme d’affaires tente de forcer la fusion entre les deux géants du transport maritime de pétroliers, Frontline et Euronav, par sa stratégie d'acquisition.
Depuis son entrée au capital d’Euronav en octobre 2021 à hauteur de 9,8 %, il n’a eu de cesse de resserrer son emprise. À l’issue de ses dernières opérations en deux temps en juin, il contrôlait 18,8 %. Entre temps, Frontline et Euronav ont définitivement scellé leur union qui doit donner naissance à un titan dans le transport maritime de pétrole, la famille Saverys, ayant échoué à faire capoter le projet lors de l’assemblée générale annuelle d’Euronav du 19 mai.
Une capitalisation boursière qui a pris 1,4 Md€ depuis l’annonce de la fusion
Engagés dans une bataille rangée d’actionnaires pour être seul maître à bord, les deux dirigeants ne partagent pas la même vision sur le devenir d’Euronav. Le projet, tel que validé par le conseil d’administration des deux entreprises, prévoit que la nouvelle entité née de la fusion porte le nom de Frontline et soit basée à Chypre. L’opération prévoit sur le plan capitalistique un échange d’actions pour tous les titres en circulation d'Euronav à un ratio d'échange de 1,45 action Frontline pour 1 action Euronav. En supposant que toutes les titres de l'armateur belge soient apportés à l’OPA, le capital de la nouvelle société sera aux mains des actionnaires d'Euronav à hauteur de 55 % tandis que ceux de Fontline en contrôleront 45 %.
L’ensemble détiendra une flotte totale de 69 très gros transporteurs de brut (VLCC, capacité de 2 millions de barils, de 200 000 à 349 999 tpl), 57 suezmax (1 million de barils, 120 000 à 199 999 tpl) et 20 LR2/aframax (75 000 à 119 999 tpl, produits raffinés). Soit un total de 146 navires-citernes pour une flotte mondiale qui en compterait un peu plus de 2 500. Au regard de leurs poids dans les VLCC et suezmax – parmi les plus grands navires de transport de brut –, les deux opérateurs pourraient ainsi contrôler 10 % du marché mondial sur ces deux segments.
Les deux sociétés, cotées en bourse, représentent ensemble une capitalisation boursière de plus de 5,7 Md€ sur la base de leur valeur de marché actuelle (+ 1,4 Md€ depuis qu’a été annoncé le projet) dans un secteur où la plupart sont inférieures à 1 Md$.
Sortir Euronav du transport maritime de brut
La famille Saverys qui possède d’autres sociétés dans le transport maritime (Bocimar dans le vrac sec, Delphis dans le conteneur, Bochem dans les produits chimiques, Windcat Workboats, opérateur de Crew Transfer Vessels, CMB Tech, qui planche sur des navires à émissions nulles...), porte une tout autre stratégie pour Euronav qu’elle a contribué à créer il y a près de trois décennies, mais dont elle avait réduit sa participation sous les 5 % en 2020. Elle voudrait précisément la détourner du transport pétrolier pour la positionner sur l'approvisionnement en carburants verts.
Au tour d’International Seaways
De son côté, John Fredriksen fait main basse sur les compagnies maritimes de transport pétrolier. Devenu l'un des principaux actionnaires d'International Seaways en emportant sur le marché libre, via le véhicule financier qui administre ses participations, 16,6 % des actions ordinaires de la société cotée à New York, il a rapidement suscite des craintes au sein de l’Américaine.
Le conseil d'administration de la société, qui a fusionné l’an dernier avec Diamond S Shipping pour créer la deuxième plus grande compagnie pétrolière cotée aux États-Unis (par la flotte), a réagi en faisant en sorte qu'aucun actionnaire individuel ou groupe d'actionnaires ne puisse prendre le contrôle de la société par accumulation sur le marché libre.
Cette procédure de stratégie dissuasive (technique dite de « pilule empoisonnée ») « est particulièrement appropriée lorsque, comme dans le cas présent, les affiliés de l'un des concurrents de la société ont rapidement et secrètement amassé une participation importante dans la société », a justifié International Seaways dans un communiqué.
Schématiquement, le plan d’International Seaways consiste à faire en sorte que les actionnaires principaux, dont la participation atteint 17,5 % ou plus sans l'approbation du conseil, soient « dilués ». Le document déposé auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC) indique également qu’une prise de contrôle externe ne pourra pas s’effectuer sans verser à tous les actionnaires « une prime de contrôle appropriée » ou sans donner au conseil d'administration suffisamment de temps « pour prendre des décisions éclairées dans le meilleur intérêt de tous les actionnaires. »
Entrée en lice d’Idan Ofer, autre grand nom du transport maritime
Nouveau rebondissement, l’homme d’affaires israélien Idan Ofer, à la tête du groupe singapourien Eastern Pacific Shipping (EPS), un des grands plus grands propriétaires de navires, issu d’une lignée d’armateurs de NOO (son aîné dirige Zodiac Maritime) vient à son tour d’entrer au capital d’International Seaways. Par le biais de son véhicule d'investissement EPS Ventures, le dirigeant israélien a pris une participation de 5,05 %, indique le document déposé à SEC. À peine quelques heures plus tard, Navig8 a suivi en en achetant 2,51 millions d'actions, soit une participation de 5,12 % pour un total de 78 M$.
Le cours de l'action d'International Seaways (1,89 Md$ de valorisation) a plus que doublé depuis le début de l'année et s’élève actuellement à 37,73 $.
Compte tenu des mouvements simultanés de John Fredriksen pour prendre le contrôle et d’Euronav et d’International Seaways, on prête à l’homme d’affaires l’intention de préparer une fusion potentielle entre Frontline et International Seaways, au cas où celle annoncée entre Frontline et Euronav échouerait. D’autres ont la conviction qu’il songerait à réaliser une intégration à trois. John Fredriksen qualifie, lui, sa dernière opération « d’investissement financier ».
L’ensemble de ces agitations se déroule dans le contexte d’un marché pétrolier passé des bas-fonds à une dynamique de redressement dans le sillage de l’invasion de l’Ukraine par la Russie mais qui reste hyper volatile, soumis aux sanctions internationales et au diktat de l’Opep, le cartel des producteurs de pétrole dont l’intérêt est de resserrer la production pour maintenir les prix à niveau élevé.
Adeline Descamps