« Le niveau de sécurité maritime dans les eaux de l'UE est actuellement très élevé puisqu'on déplore peu de décès et qu'aucune marée noire ne s'est produite récemment. Cependant, plus de 2 000 accidents et incidents maritimes sont encore signalés chaque année », indique en préambule la Commission européenne (CE), qui a présenté le 1er juin plusieurs amendements à des réglementations phares en matière de sécurité et de pollution.
En matière de transport maritime, les accidents précèdent bien souvent la norme. La plupart de celles qui sont remises sur l'ouvrage aujourd'hui ont été édictées après le naufrage de l'Erika, le pétrolier battant pavillon maltais et affrété par TotalFinaElf en 1999 au large du Finistère, et la terrible marée noire qui s’en est suivie.
Les cinq propositions contenues dans le nouveau paquet législatif visent plus précisément à actualiser des textes qui datent de 2009, soit quatre directives et un règlement en vue de les aligner avec les évolutions de l'environnement réglementaire international (capital pour les conditions de concurrence).
Les textes réglementaires concernent les obligations incombant aux États du pavillon qui immatriculent le navire, celles relevant du contrôle par l’État du port, les enquêtes sur les accidents dans le transport maritime, la pollution causée par les navires et les sanctions en cas d’infraction. Le règlement concerne le mandat de l'Agence européenne pour la sécurité maritime (AESM), appelée à jouer un rôle plus important à tous les étages.
La législation internationale en matière de transport maritime se structure autour de plusieurs lignes de défense. L’État du pavillon et le contrôle de l’État du port en sont deux piliers essentiels.
Quelles sont les nouvelles exigences relatives à l'État du pavillon ?
La directive 2009/21/CE, qui concerne l'intervention des États du pavillon, exige à ce jour, sans fixer de normes, que les États du pavillon mettent en œuvre et appliquent correctement les conventions, disposent des ressources nécessaires pour assumer leurs obligations internationales et veillent à ce que les navires battant leur pavillon respectent les règles.
La proposition, qui doit introduire dans le droit communautaire les instruments de l'OMI, « permettra aux États membres de l'UE de remplir efficacement et de manière cohérente leurs obligations en tant qu'États du pavillon », indique la CE. Il est question d’accroître la surveillance des organismes agréés (OA), c'est-à-dire des entreprises ou entités privées qui effectuent des visites techniques de navires pour le compte de l'administration de l'État du pavillon.
Il s'agit en outre de numériser les rapports d’inspection de façon à partager plus facilement des informations sur les résultats des inspections et les problèmes de conformité et d’exiger des administrations nationales qu'elles assurent une surveillance de leur flotte, même lorsque le suivi et les contrôles des navires sont confiés à des tiers.
Aussi, la législation prévoit que l'AESM renforce les capacités des États du pavillon de l'UE.
Quel est l'objectif de la directive révisée sur le contrôle par l'État du port ?
Le contrôle par l'État du port porte sur les inspections de navires étrangers (marchands ou passagers) et consiste à s’assurer de leur conformité à la convention internationale relative à la sauvegarde de la vie humaine en mer, aux conditions de travail et de vie à bord et à la protection de l'environnement marin (Solas). À ce titre, la compétence de l'équipage, la navigabilité du navire et de ses équipements sont inspectés.
Dans l'UE, le contrôle par l'État du port repose sur une structure intergouvernementale : le Mémorandum d'entente de Paris (MoU de Paris), dont sont membres les 22 États de l'UE dotés de ports maritimes, ainsi que le Canada, l'Islande, la Norvège et le Royaume-Uni (l’adhésion de la Russie a été suspendue en mai 2022 pour des raisons que plus personne n'ignore). En moyenne, plus de 15 000 inspections de contrôle par l'État du port sont effectuées chaque année dans ce cadre.
Pour être dans les clous de l'OMI et du MoU de Paris, la nouvelle directive, si elle est adoptée, intégrera notamment deux instruments juridiques internationaux, à savoir la convention de l'OMI sur la gestion des eaux de ballast et celle de Nairobi sur l'enlèvement des épaves, ce qui suggère que les navires seront inspectés.
La proposition prévoit en outre l'élaboration d'un régime volontaire de contrôle pour les États membres de l'UE pour les grands chalutiers (d'une longueur supérieure à 24 m) battant pavillon étranger. En parallèle, les États membres devront signaler les accidents les plus graves impliquant des navires de pêche de moins de 15 m.
Le texte modifié prévoit d’inciter l'adoption de certificats électroniques (avec un référentiel central et un outil de validation commun) afin de permettre des « inspections mieux préparées et plus ciblées » qui sont parfois manquées pour des raisons opérationnelles ou de force majeure.
Un nombre d'inspecteurs pourrait être requis pour les inspections plus complexes.
Pourquoi revoir la directive sur les accidents de transport maritime ?
La directive 2009/18/CE régit les enquêtes sur les accidents maritimes. Celle, en cours de réforme pour épouser les évolutions du droit international (Convention des Nations unies sur le droit de la mer), doit notamment intégrer de nouveaux types d'accidents, à l’instar de ceux impliquant des employés portuaires à bord de navires amarrés.
« La directive révisée permettra à l'AESM d'apporter un soutien opérationnel plus important aux organismes chargés d'enquêter sur les accidents, à leur demande. Elle sera également en mesure d'intervenir sous forme de formation afin d'améliorer la capacité des États membres à mener (et à rendre compte) des enquêtes sur les accidents en temps opportun, de manière experte et indépendante », précisent les services de l'UE. Des modifications qui ne sont sans doute pas étrangères à l’arrivée des carburants alternatifs et des nouvelles technologies à bord.
Pourquoi réviser la directive 2005/35/CE relative à la pollution causée par les navires déjà alignée sur la convention Marpol ?
En termes de pollution marine, la réglementation qui fait référence est la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (Marpol). C’est elle qui détermine si un rejet est autorisé ou illégal. La directive européenne s'assure que les États membres fixent des sanctions « efficaces, proportionnées et dissuasives pour les rejets illégaux ».
La directive actuelle intègre déjà certaines normes internationales de Marpol notamment celles relatives aux hydrocarbures et aux substances liquides nocives en vrac (annexes I et II de Marpol). Il s’agit, dans le cadre des amendements, d’élargir le champ d'application à d'autres substances polluantes déversées illégalement en mer, ((annexes I à VI), notamment les rejets des scrubbers, grande problématique du secteur, les ordures, les eaux usées ou encore les emballages.
La proposition clarifie en outre le régime de responsabilité et resserre les sanctions sans toucher, pour l’instant, à la directive sur la criminalité environnementale, en cours de négociations interinstitutionnelles.
Là encore, l'AESM a un rôle à jouer pour aider les États membres à mieux cibler les pollutions potentielles et à réduire leurs coûts de mise en œuvre.
La refonte du mandat de l'AESM était-elle inévitable ?
Précisément, pour tenir compte des nouvelles missions qui seront assignées à l'AESM par les évolutions législatives et mieux refléter son champ d’intervention actuel, Bruxelles voudrait revoir les contours du mandat de l'Agence, qui intervient déjà sur les plans de la sécurité, de la prévention de la pollution, de la protection de l'environnement, de la numérisation...
L'AESM devrait donc voir son rôle accru dans les domaines de la surveillance maritime, de la cybersécurité et de la gestion de crises entre autres. Elle pourrait ainsi être largement mise à contribution dans l'application du règlement FuelEU Maritime et l’intégration du transport maritime dans le système commuautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE ou ETS).
Les propositions doivent désormais être examinées par le Parlement européen et le Conseil dans le cadre du cheminement parlementaire ordinaire. Souvent long et laborieux.
Adeline Descamps