Frédéric Meyer, directeur de la stratégie chez TotalEnergies Marine Fuels : « Seuls les grands ports seront vraiment multicombustibles »

Article réservé aux abonnés

Frédéric Meyer, directeur de la stratégie chez TotalEnergies Marine Fuels

Frédéric Meyer, directeur de la stratégie chez TotalEnergies Marine Fuels

Crédit photo ©TE
Quelle est la durée de vie du GNL dans sa forme actuelle ? À quel horizon les dérivés plus verts pourraient-ils prendre le relais ? Quelle place dans le mix énergétique ? Quel est le retour d'expérience sur le biométhane à bord ? Où en est TotalEnergies avec le méthanol et l'ammoniac ? Comment est appréhendée la taxe carbone ? Quelques clés avec Frédéric Meyer.

Vous avez deux barges de soutage de GNL en opération en Europe pour deux seuls clients. Est-ce suffisant pour assurer la rentabilité de ces microméthaniers très coûteux ?

Frédéric Meyer : Nous avons en effet deux souteurs qui fournissent du GNL à CMA CGM et MSC. Le Gas Agility, basé à Rotterdam, a démarré ses activités fin 2020 tandis que le Gas Vitality, localisé à Marseille, a opéré son premier avitaillement en 2022 avec CMA CGM. Nous avons effectué à ce jour quelque 140 opérations, ce qui représente un retour sur expérience suffisant pour assurer un approvisionnement récurrent et dans des conditions de sécurité optimales. Nous avons encore de la capacité disponible. Nous répondons d’ailleurs à des demandes spot que nous voyons émerger depuis six mois.

C’est nouveau. Votre marché est plutôt régi par du contrat long terme. Quelle lecture en faites-vous ?

F.M. : Nous avons en effet besoin de contrats long terme, en miroir avec nos engagements dans des assets qui sont eux-mêmes assis sur des chartes parties de longue durée. Il n'y a pas vraiment d'explication. Soit il s’agit d’acteurs nouveaux dans une posture d’attente avant de pouvoir confirmer des engagements à long terme. Soit ils souhaitent tester le marché sur des petites quantités.

La conjoncture n’y est sans doute pas étrangère. L'année 2022 n'a pas aidé notre marché, handicapé par les prix du gaz. On a vraiment ressenti un tassement des demandes sur le GNL. Néanmoins, le prix du gaz est revenu à son niveau normal et on voit maintenant émerger ce type de demande.

Est-ce que l’on peut attribuer ce phénomène à un effet collatéral de la guerre en Ukraine ?

F.M. : Je ne pense pas. Pour moi, l’émergence de ces demandes spot tient plus à l'attentisme qui entoure les futures échéances réglementaires en cours d'arbitrage à l’OMI [entretien réalisé avec la session du MEPC 80, NDLR]. On devrait disposer d’ici fin juillet de signaux plus clairs sur la pente et la trajectoire de décarbonation. Après le MEPC 80, nous pourrions assister au redémarrage de projets d'engagement.

Le règlement européen Afir sur le déploiement des infrastructures pour les carburants alternatifs, qui a clarifié le traitement réservé au GNL,vous a sans doute rassuré. Vous redoutiez qu’il soit exclu de la liste des éligibles ?

F.M. : Non, nous avions bon espoir qu’il soit confirmé. Le GNL reste avant tout, et devant toutes les autres solutions, assurément celle qui est la plus disponible aujourd'hui et certainement aussi la plus économique pour opérer une transition douce du fait qu’il ne génère aucune modification de structure.

Le moteur en l'état permet d'accommoder aussi bien du méthane d’origine fossile que du biométhane ou du méthane synthétique.

Compte tenu de l’imperfection du GNL pour traiter tous les polluants qui vont être stigmatisés par l'OMI, quelle est sa durée de vie présumée dans sa forme actuelle ?

F.M. : Il est difficile d’être très précis dans un environnement en pleine évolution. Je n’emploierai pas le terme d’imperfection car le GNL permet à ce stade d’abattre jusqu'à 23 % des émissions carbone.

En l'état des réglementations, tant du côté de l’UE que de l’OMI, il est dans les clous des normes jusqu'à 2035 et, pour certains navires de dernière génération, il restera conforme au-delà. La performance du GNL est aussi liée à l’évolution des technologies des moteurs et plus précisément aux travaux avancés pour contenir et réduire ce qu'on appelle les émissions fugitives de méthane.

À quel horizon les dérivés plus verts, biométhane puis méthane synthétique, pourraient-ils prendre le relais ? Avec quels volumes et pour quelle place dans le mix énergétique, selon vos projections ?

F.M. : Ils vont être un relais pour le GNL au-delà des échéances réglementaires de 2035. À ce niveau, on ne peut que se baser sur la feuille de route climatique européenne car la trajectoire est lisible. Au niveau international, la visibilité est encore limitée à l’horizon 2025-2030 avec les objectifs assignés par la norme CII sur l’intensité carbone. On sait que nos clients vont devoir incorporer graduellement du méthane, soit issu de la biomasse, soit d'origine synthétique. Les pourcentages vont varier selon le design du navire, le moteur, les trade... On estime que cette part pourrait atteindre 10 % d’ici 2040-50 et 15 % au-delà.

On ne sera jamais, quoi qu'il en soit, dans les unités de grandeur du carburant dit conventionnel.

Vous serez en mesure de répondre à cette demande quand elle se manifestera ? Vous êtes quand même bloqués par la disponibilité de l'hydrogène.

F.M. : Le biométhane s'affranchit de la voie de l'électrolyse puisqu’il s’appuie uniquement sur la biomasse, qu'elle soit issue de résidus, de déchets ou de la méthanation classique.

Du biométhane, il va y en avoir et beaucoup, notamment en Europe, qui a autorisé le dispositif des certificats de garantie d’origine. Nous avons effectué des opérations à bord sur certaines livraisons de biométhane grâce à ce système qui permet de pallier les problèmes d’accès aux énergies en connectant des productions qui ne sont pas nécessairement proches des ports.

Sur l’e-méthane, d'origine renouvelable donc, il va en effet être confronté aux mêmes défis et contraintes que l’e-méthanol, l'e-ammoniac ou l'e-hydrogène : produire de l'hydrogène à partir d'électricité renouvelable. On y travaille et on a annoncé, il y a quelques semaines, un projet consistant à implanter une unité production de e-méthane aux États-Unis.

Les technologies sont matures mais il s'agit de les maritimiser. Il y aura du e-méthane sans aucun doute dans tous les grands hubs internationaux, mais il n’y en aura pas partout.

On sait que tous les projets à base d'hydrogène vert seront développés en priorité dans des géographies où il y a un accès à du renouvelable plutôt bon marché et à du CO2 biogénique. Des études de screening sont en cours chez nous pour identifier les meilleures géographies.

Quels sont vos retours d’expérience sur les biocarburants à bord des navires ? L’accès à la ressource ne rend-elle pas, là aussi, cette alternative de courte vue ?

F.M. : On a fait beaucoup de tests en amont sur nos bancs marins pour mesurer les émissions et ensuite à bord pour accompagner les clients dans leur apprentissage. Il en ressort qu’il n'y a pas de freins techniques à l'usage. Et l’OMI a envoyé un signal favorable pour une utilisation jusqu'à 30 %.

L’accès à la biomasse est une problématique qui n'est pas propre au seul transport maritime. Il va y avoir effectivement une sélectivité de la ressource en fonction de l'usage. À quelques nuances près. Celle utilisée pour les carburants routiers est celle qu’on emploie aussi pour les navires. Mais à moyen ou long terme, il pourrait y avoir des biomasses de natures différentes pour le maritime parce que nous n’avons pas besoin de carburants aussi élaborés que pour le routier ou l’aérien. Mais là encore, cette offre ne pourra être disponible que dans les ports à proximité de la ressource si on raisonne en économie circulaire.

VLSFO et MGO, les carburants classiques encore autorisés, sont-ils perfectibles dans un sens « plus vert » ?

F.M. : Clairement oui. Et ils le sont déjà quand on les mélange à des biocarburants. Tous les tests sur la flotte existante en attestent : le profil d'émission est grandement amélioré. Aujourd’hui, il y des normes plafonds, de 24 % à Singapour, entre 20 et 30 % en Europe, mais on pourrait aller au-delà. Des essais ont même été effectués en Amérique du Nord avec 100 % de biofuel. La limite technique est celle des moteurs : sont-ils en mesure de brûler du 100 % ? Nous avons les moyens de le valider techniquement.

Est-ce que le dual fuel, dont on a vu les effets pervers avec l'explosion du prix du gaz puisque certains armateurs ont rebasculé sur le fuel, n’est pas d'une certaine façon une entrave à la décarbonation ?

F.M. : Absolument pas. Il est une assurance pour toute l'industrie. Il permet aux armateurs d'ajuster en fonction des prix, de leurs besoins réels en carburants durables, des disponibilités dans les ports…

Il offre une flexibilité finalement à faible coût puisqu'ils peuvent naviguer, sans mauvais jeu de mot, d'un carburant à l'autre, voire revenir à du carburant dit conventionnel mais associé à des biocarburants.

Les moteurs sont plus flexibles et autorisent désormais des options qui n'étaient pas envisageables avec des moteurs mono-fuel.

TotalEnergies a mis du temps avant de parler du méthanol ou de l'ammoniac. Les choix de motorisation se précisent avec notamment CMA CGM et Maersk qui font la course à l'échalote dans les commandes. Est-ce que vous serez en mesure d’en fournir à court/moyen-terme ?

F.M. : On travaille sur le méthanol depuis à peu près un an. Nous avons conclu récemment un protocole d'accord avec Green Marine Bunkering sur la faisabilité de la mise en place d'une chaîne d'approvisionnement viable pour le méthanol à Singapour. Actuellement, TotalEnergies est un petit acteur. Il en produit environ 700 000 t par an en Allemagne dans la raffinerie de Leuna. On a mobilisé en interne des équipes sur le sujet.

On sera au rendez-vous du méthanol bas carbone en tant qu’offre complémentaire au GNL et aux biocarburants. Et on se positionne pour être un des acteurs majeurs du méthanol vert dans nos projections à long terme.

Aujourd’hui, l’avitaillement en quasi mono-fuel s’articule autour d’une poignée de grands centres de soutage. Ce schéma pourrait-il être adapté à un futur multicarburant ?

F.M. : Il faut s'attendre à ce que seuls les grands ports soient vraiment multicombustibles mais peut-être pas pour autant en couvrant toute la palette des nouveaux carburants durables.

Les ports secondaires n’auront d’autres choix que de se spécialiser. Et il y aura un développement à plusieurs vitesses avec des échelles de temps différentes.

La densité énergétique plus faible de certains d’entre eux est un autre paramètre. Du fait d'une moindre autonomie, il faudra peut-être envisager des soutages intermédiaires. C’est un schéma qui n’existe pas aujourd’hui.

L’infrastructure devrait s’accommoder assez rapidement de l’organisation de la ligne régulière, facile à pister. C’est moins vrai pour le tramping, transport à la demande. Le navire ne connaît pas à l’avance le lieu de chargement et de déchargement de sa cargaison. Les exploitants vont devoir arbitrer en permanence le carburant le plus approprié en fonction d'un tas de paramètres.

L'avitaillement en GNL n'est plus un sujet aujourd’hui ?

F.M. : L’offre de GNL est disponible dans quelque 130 ports [96 ports et 55 en cours d’investissement selon Sea/LNG, NDLR]. Le supply est amplement suffisant. En revanche, la pénurie de navires souteurs est un point d’attention. Selon nos projections et sur la base des navires livrés et en commande, il pourrait en manquer une trentaine.

Si vous n’êtes pas un militant, vous suivez, à n'en pas douter, les débats sur la tarification du carbone. Quelle forme devrait-elle prendre selon vous ?

F.M. : Au niveau européen, nous avons été entendus dans le cadre de l'élaboration du FuelEU Maritime [volet maritime de la politique climatique de l’Europe relatif en partie aux carburants]. Nous sommes plutôt favorables à des mesures qui incitent à l'introduction des carburants durables dans le maritime, au même titre que cela a été fait pour le routier et l'aviation. Nous partons du principe que ces mécanismes d'incitation permettent de déclencher des décisions d’investissement et d’accompagner la décarbonation de façon un peu plus réglementée qu’elle ne l’a été jusqu’à présent. Il faut le souligner – car c'est exemplaire –, l’industrie maritime a amorcé le mouvement sur une base volontaire. Dorénavant, on entre dans une phase plus normée que d'autres secteurs ont connue, sous la contrainte réglementaire.

La France devrait-elle être un peu plus proactive sur le biométhane compte tenu de ses atouts, à commencer par la présence sur son territoire de quatre terminaux méthaniers ?

F.M. : Elle fait déjà beaucoup. Des décrets ont permis d'élargir l'usage des garanties d'origine non subventionnées pour le biométhane au secteur maritime. CMA CGM a été le premier à y avoir recours. Le pays a aussi montré son engagement en accompagnant tous les leviers possibles pour décarboner, y compris avec le GNL. Oui, on peut toujours faire plus. Oui, la France a clairement une carte à jouer sur le biométhane.

Propos recueillis par Adeline Descamps

Shipping

Marchés

Port

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15