Décarbonation de la livraison des marchandises, meilleure accessibilité aux zones isolées, amélioration de l'efficacité logistique… sur le papier, la livraison par drone cumule les avantages. Cependant, la réglementation la rend quasiment impossible en zone urbaine. Enfin, l’offre de drones ne présente pas encore un prix de livraison acceptable par le marché. Reste que la filière se structure autour de jolis succès.
Des succès et des remises en cause
Citons, côté succès, les livraisons du distributeur américain Walmart avec les drones de Wing et Zipline depuis janvier 2024 qui couvrent 75 % de la population de Dallas-Fort Worth (DFW) au Texas, soit une « livraison sept fois plus rapide, silencieuse et sans émission », estime dans un communiqué Keller Rinaudo Cliffton, PDG de Zipline. Pour sa part, le californien Wing « a déjà réalisé plus de 350 000 livraisons aux États-Unis, en Australie et en Europe », indique Pia Doering, sa porte-parole. A cheval entre l’avion et l’hélicoptère, son drone de 1,3 de long et 1,5 m d’envergure pour un poids de 5 kg transporte une charge de 1 kg jusqu’à 100 km/h sur 20 km aller-retour.
Côté échecs, DHL a cessé, pour des raisons tant opérationnelles que réglementaires, son service Parcelcopter en 2018 au bout de cinq ans d’essais en Allemagne et en Tanzanie. En partenariat avec le fabricant Dronamics, l’expressiste se concentre désormais sur les livraisons aériennes interurbaines en moyennes distances en Europe et Asie-Pacifique. Ses Black Swan sont ainsi capables de transporter des charges de 350 kg sur 2 500 km.
Amazon : 5 millions de livraisons aériennes par an d’ici 2030
Quant à Amazon, il a arrêté en avril dernier son service Prime Air à Lockeford, en Californie, après dix ans de tests. Trop bruyant. En revanche, le géant du e-commerce poursuit son service quotidien de livraisons aériennes de colis jusqu’à 2,27 kg en moins d’une heure dans les zones peu habitées de College Station (Texas). Ambition : livrer d’ici la fin de la décennie 5 millions de colis par an aux Etat-Unis. D’ici là, fort de l'autorisation de la Federal Aviation Administration (FAA) obtenue en mai dernier pour les vols BVLOS (Beyond Visual Line of Sight), Amazon entend déployer d’ici fin 2024 ce service à Tolleson près de Phoenix (Arizona) ainsi qu’en Italie et au Royaume-Uni avec le nouveau drone MK30 de Dronelife, réputé plus silencieux et plus fiable.
La France dans la course
En France, La Poste co-développe avec le fabricant et opérateur Atechsys depuis 2014 un système de drone qui en est à sa troisième génération. « L’idée, c’est de voir comment les drones peuvent être utiles à notre métier », précise Philippe Cassan, directeur des programmes drones à La Poste. Le système de drone est intégré à la camionnette du livreur. Bien que supervisé à distance par un opérateur d’Atechsys, le vol 100 % automatique ne dure que 8 minutes contre 40 minutes avec la camionnette en montagne.
La Poste et Atechsys ont également conçu des terminaux pour sécuriser le décollage et l’atterrissage des drones ainsi que les opérations de chargement et de déchargement des colis. « Leur fonctionnement est automatisé afin d’éliminer tout besoin d’interagir avec le drone pour des raisons de sécurité », reprend Philippe Cassan qui a ouvert trois lignes de desserte en point à point (non en tournées). La première en 2016 dans le Var puis les deux autres dans le Vercors en 2019 et en 2024. Soit six drones qui ont effectué, en tout, 2 400 vols pour 41 000 km de trajets. « Nous sommes toujours au stade de l’expérimentation mais nous livrons de vrais colis à de vrais clients, résume Philippe Cassan. Nous avons besoin d’accéder à un outil industriel suffisamment robuste et fiable pour confier les colis et le courrier à des opérateurs qui proposent des coûts accessibles. »
En Europe, où la réglementation est plus avancée qu’aux États-Unis, « le frein réside dans la capacité des industriels à produire des drones au bon niveau d’intégrité. Ce qui rend l’équation économique difficile à résoudre. Notamment en ville où le marché voudrait que la livraison ne coûte que quelques centimes tandis que la machine coûterait plusieurs millions d’euros », soulève Mustafa Kasbari, PDG d’Atechsys, créé en 2007 et basée à Pourrières (83), qui réalise un chiffre d’affaires 2023 de 2 millions d’euros avec dix-huit salariés.
Des drones dirigeables à l’hélium
A moins de changer de paradigme en matière d’architecture de drone. A l’instar de Celeste Airships, créée en février 2023 et basée à Sainte-Ménéhould (51). De la taille d’un petit avion (8,24 m de long et 8,1 m d’envergure), son AS10 combine les avantages d’une aile volante et d’un dirigeable gonflé à l’hélium, un gaz neutre très répandu. « En cumulant la sustentation de l’hélium (flottaison) et la portance aérodynamique de l’aile, l’autonomie de la batterie, qui ne dure que 50 minutes avec un drone classique, atteint ici 6 heures et 300 km de distance jusqu’à 35 km/h, explique Olivier Manette, fondateur et PDG de Celeste Airships qui espère procéder à des démonstration durant le dernier trimestre 2024. En cas de problème moteur, l’appareil se met en vitesse minimale (7 km/h) et retourne à la base. L’impact éventuel avec des personnes ou des biens est alors très faible. » Ce qui ouvre la voie à la livraison urbaine sécurisée.
Sur le même créneau, le spécialiste des ballons dirigeables à l’hélium et des ballons stratosphériques ANSE est doté d’un appareil industriel. Créée en 2010 et basée à La Ciotat (13), la société conçoit, sous la marque Elium, un dirigeable eVTOL de 16 m de long et 15 m d’envergure. « Selon les versions, l’aérostat sera capable d’embarquer une charge de 80 kg (450 kg dans deux ans) pour un transport péri-urbain ou interurbain allant jusqu’à 250 km, dévoile Baptiste Régas, PDG d’Aero-Nautic Services & Engineering (ANSE) qui a déjà levé 2 millions d’euros pour ce projet et s’apprête à en lever encore 10 millions. Nos expérimentations auprès de grands transporteurs-logisticiens sont prévues pour cette année. » En projet, une usine d’une capacité d’une machine par mois en 2026-2027 contre une par trimestre avec les capacités actuelles.