La fable du lièvre et de la tortue semble trouver un nouvel écho dans l'industrie du transport routier. Après des années de battage médiatique autour des startups prometteuses de la conduite autonome, ce sont finalement les constructeurs traditionnels qui semblent prendre l'avantage. Volvo, Daimler ou encore MAN : les géants européens du camion ont rattrapé leur retard et s'apprêtent à lancer leurs premiers modèles autonomes sur les routes. Un revirement de situation qui illustre la complexité du défi technologique et réglementaire que représente l'automatisation du fret routier.
Les pionniers marquent le pas
Il y a encore quelques années, des entreprises comme Waymo Via (filiale d'Alphabet) ou TuSimple faisaient figure de favorites dans la course au camion autonome. Leurs démonstrations spectaculaires et leurs promesses ambitieuses laissaient entrevoir une révolution imminente du transport routier. Pourtant, ces acteurs ont dû revoir leurs ambitions à la baisse. Waymo Via a considérablement réduit ses activités dans le domaine du fret, tandis que TuSimple a connu des déboires techniques et financiers qui ont entamé sa crédibilité. Cette situation s'explique en partie par la complexité du défi. Développer un système de conduite autonome fiable et sûr pour des poids lourds s'avère bien plus ardu que prévu. Les contraintes liées à la taille et au poids des véhicules, ainsi que la diversité des situations rencontrées sur route, ont mis à rude épreuve les technologies développées par ces startups.
Les constructeurs traditionnels à l'offensive
Face aux difficultés rencontrées par les nouveaux entrants, les constructeurs historiques ont su tirer leur épingle du jeu. Forts de leur expérience dans la conception de poids lourds et de leur connaissance approfondie du secteur, ils ont adopté une approche plus pragmatique et méthodique. Volvo, en partenariat avec la startup Aurora Innovation, a ainsi dévoilé son futur camion Volvo VNL Autonomous lors de l'ACT Expo de Las Vegas en mai 2024. Ce modèle, qui pourrait être commercialisé dès la fin de l'année, intègre le système de conduite Aurora Driver développé en collaboration avec Continental. Équipé d'une technologie lidar capable de détecter des objets à plus de 400 mètres, il vise le niveau 4 d'autonomie, permettant une conduite sans intervention humaine sur des tronçons autoroutiers prédéfinis. "Nous sommes à l'avant-garde d'une nouvelle façon de transporter les marchandises, en appuyant et en améliorant la capacité de transport et en favorisant ainsi le commerce et la croissance sociétale", a déclaré Nils Jaeger, président de Volvo Autonomous Solutions. Le groupe suédois ne compte pas s'arrêter là et envisage déjà d'étendre cette technologie à l'ensemble de ses marques de camions.
Daimler Truck, via sa filiale nord-américaine, a également présenté début mai un prototype de Freightliner Cascadia électrique autonome. Équipé du logiciel de conduite autonome de niveau 4 développé par Torc (une filiale rachetée en 2019), ce camion a déjà effectué plusieurs transports de marchandises en conditions réelles entre Phoenix et Oklahoma City, soit environ 1500 km. Le constructeur allemand table sur une commercialisation de ses camions autonomes aux États-Unis d'ici 2027.
L'Europe, un terrain d'expérimentation
Bien que le cadre réglementaire soit plus restrictif en Europe, le Vieux Continent n'est pas en reste en matière d'expérimentation. En avril 2024, MAN a réalisé un (mini) test sur l'autoroute allemande A9. Un TGX 18.510 a parcouru 9 km en autonomie, avec à son bord Volker Wissing, ministre fédéral des Transports, et Alexander Vlaskamp, président du conseil d'administration de MAN Truck & Bus. Ce dernier a annoncé que d'autres expérimentations pour le compte de clients de la marque suivront en 2025, avant d'envisager une production en série de camions autonomes "pour la fin de la décennie". Ces avancées témoignent de la détermination des constructeurs européens à ne pas se laisser distancer par leurs concurrents américains ou asiatiques. Elles soulignent également l'importance d'une collaboration étroite entre les industriels et les autorités pour définir un cadre réglementaire adapté à cette nouvelle technologie.
Les sites fermés, terrain de prédilection pour l'autonomie
Si le déploiement de camions autonomes sur route ouverte reste un défi de taille, l'utilisation de véhicules sans conducteur sur des circuits fermés semble plus accessible à court terme. C'est dans cette optique que Scania a annoncé en mai 2024 le lancement de ses premiers camions autonomes électriques de 40 tonnes dédiés à l’exploitation minière (un modèle de 50 tonnes est également prévu). Après près de dix ans de tests avec des clients du secteur minier, les premières livraisons sont prévues en Australie dès 2026, l'Amérique latine devant suivre peu après. "Le passage de la R&D au lancement d'un produit commercial est une étape majeure, pour nous et comme pour le transport lourd autonome en général. C'est le produit le plus avancé que Scania a mis sur le marché jusqu'à présent", a déclaré Peter Hafmar, vice-président et responsable des solutions autonomes chez Scania. Cette approche par étapes, privilégiant d'abord les environnements contrôlés, permet aux constructeurs de perfectionner leurs technologies tout en générant des revenus. Elle offre également un terrain d'expérimentation précieux pour anticiper les défis qui se poseront lors du déploiement sur route ouverte.
Les navettiers autonomes se réinventent
Face à ces évolutions, les fabricants de navettes autonomes pour passagers, comme les français Gama (ex-Navya) et EasyMile, ont dû revoir leur stratégie. Après avoir multiplié les expérimentations de navettes passagers à travers le monde, ces innovateurs tricolores se sont fait une raison : la mobilité autonome sur route ouverte (niveau L4) reste une vision à moyen-long terme. Ils se concentrent désormais sur le déploiement de véhicules en site fermé (dépôts, aéroports), tant pour le transport de passagers que de marchandises. Gama, qui a échappé de peu à la faillite grâce à sa reprise par Gaussin, a ainsi présenté lors du salon Autonomy à Paris en mars 2024 son modèle Autonom Tract. Destiné aux entrepôts et plateformes logistiques, ce véhicule est capable de tirer 25 tonnes. "Le marché mondial est estimé à 500 unités pour la période 2025/2030, nous pouvons viser un tiers du marché", a indiqué son PDG Jean-Claude Bailly. De son côté, EasyMile développe son offre fret en complément de son activité passagers. L'entreprise a déjà placé des tracteurs de bagages (EZTow) dans plusieurs aéroports internationaux, dont Singapour, Tokyo (Narita), Oslo et Toulouse. Un modèle est également en service depuis un an dans une usine BMW en Bavière. Parallèlement, EasyMile travaille sur un prototype destiné à convoyer des conteneurs dans les ports, en partenariat avec le constructeur hollandais de véhicules portuaires Terberg. « Ces véhicules peuvent pallier les difficultés de recrutement rencontrées par les sociétés portuaires pour les postes de conducteurs. Les tournées qui ne dépassent pas 2km peuvent s’avérer extrêmement répétitives, avec un turn over très fort », insiste Lucas Yon, chargé de communication d’EasyMile.