Les paillettes qui saluaient l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché des camions autonomes ont pris la poussière. Ces derniers mois, les annonces nécrologiques se sont en effet multipliées, avec en point d’orgue la défection d’un leader emblématique, l’Américain Waymo. Cette filiale d’Alphabet (Google) a ainsi mis au repos sa division camion autonome pour se concentrer uniquement aux robotaxis. « Nous allons repousser le calendrier de nos efforts commerciaux et opérationnels sur le transport routier, ainsi que la plupart de nos développements techniques sur cette unité commerciale », a annoncé le groupe le 26 juillet. Ce leader du secteur assure que la pause est momentanée mais il n’empêche, selon la presse spécialisée américaine, l’essentiel du personnel a été réaffecté à d’autres tâches dans l’entreprise. Ce gel des investissements est loin d’être isolé. Il y a un an, en octobre 2022, Argo AI, qui développe également un système de conduite autonome, a cessé son activité malgré les milliards injectés par ses principaux actionnaires Ford et Volkswagen. En cause ? La difficulté à lever de nouveaux fonds dans un contexte économique tendu, alors que le développement de ces solutions prend beaucoup plus de temps que prévu. « Les véhicules entièrement autonomes sont encore loin et nous ne devrons pas nécessairement créer cette technologie nous-mêmes », avait alors statué le PDG de Ford.
Fin août 2023, comme un coup de poche supplémentaire, le premier équipementier mondial Bosch révélait qu’il abandonnait le développement de Lidar, une technologie indispensable aux véhicules autonomes « compte tenu de la complexité technologique et des délais de mise sur le marché ». ZF avait de même un peu plus tôt. La raréfaction des moyens financiers depuis la crise Covid implique un réarbitrage des investissements vers l’électrification plutôt que se disperser dans une activité beaucoup plus complexe que prévue. « Il y a cinq ans, on pensait qu'en 2025 on aurait des autonomies assez importantes sur beaucoup de véhicules, ce qui n'est pas le cas », constate Christophe Aufrère, directeur technique de l'équipementier français Forvia, qui déplace le curseur désormais à 2030. Et encore, il s’agit surtout de systèmes avancés d’aide à la conduite (ADAS – Advanced Driver Assistance Systems) qui s’implémentent progressivement dans les véhicules comme le freinage d’urgence ou la surveillance d’endormissement. Le fait de lâcher le volant en toute circonstance – ce qui correspond au niveau 5 d’autonomie (barème SAE) -, notamment en ville ou lors des premiers et derniers kilomètres, relève encore de l’utopie. Les nombreux accidents causés par les robots-taxis de Cruise ou Google aux États-Unis sont là pour en témoigner.
Daimler et Volvo toujours actifs
Pourtant certains acteurs ne lâchent pas l’affaire, et préfèrent se concentrer sur des niches de marchés où l’autonomie est plus facile à maîtriser, comme les circuits fermés ou les portions d’autoroutes désertes. Ce qui correspond au niveau 4 d’autonomie, soit une autonomie totale dans un environnement délimité. On retrouve notamment les constructeurs de camions « traditionnels », qui continuent à investir sur ces technologies. Volvo Trucks a ainsi révélé au début du mois de septembre 2023 qu’il venait de passer une étape supplémentaire dans ses tests de camions autonomes opérés dans une mine norvégienne, via sa filiale dédiée Volvo Autonomous Solutions. Désormais, sept Volvo FH vont se déplacer en s’affranchissant du conducteur de sécurité dans la mine de calcaire de Brönnöy Kalk. D’autres acteurs, à l’instar de la start-up britannique Oxbotica s’intéresse au secteur minier. Cette dernière a levé 140 millions de dollars en janvier 2023 pour déployer davantage de véhicules autonomes, à commencer par les mines et les zones extrêmes. « Les sociétés minières peuvent perdre des millions de dollars par heure dans les environnements reculés si elles ne peuvent pas faire monter un conducteur humain dans un camion en temps voulu », justifie Jamie Vollbracht, partenaire fondateur de Kiko Ventures, premier investisseur institutionnel d'Oxbotica.
En parallèle les constructeurs continuent d’expérimenter la conduite autonome sur autoroutes, essentiellement aux États-Unis et en Chine. Daimler continue les essais avec sa filiale américaine dédiée Torc Robotics, afin de livrer des camions autonomes de niveau 4 (barème SAE) en série aux États-Unis au cours de cette décennie. Torc Robotics a d’ailleurs annoncé en mai 2023 une collaboration avec l’un des leaders du transport routier nord-américain C.R. England pour un programme pilote de transport à température contrôlée sur longue distance. Les premiers essais devraient démarrer cette année aux États-Unis, pour à terme déboucher sur la création de véritables lignes de transport autonome de niveau 4 sur autoroute. « En ajoutant des lignes autonomes à notre réseau, nous pourrons élargir notre offre commerciale et créer des emplois plus structurés pour les conducteurs aux deux extrémités des parcours autonomes », avance Chad England, PDG de C.R. England. Il en va de même pour la start-up sino-américaine Tu Simple, qui malgré plusieurs séries de licenciement destinés à alléger ses frais, a indiqué en juin 2023 avoir réalisé une série de trajets de 62 kilomètres de trajets dans la région de Shanghai sans personne à bord. Les essais se seraient déroulés sans encombre sur des routes publiques dans un environnement urbain et autoroutier, avec le franchissement de ponts, changement de voies, bretelles, feux de circulation, etc. La start-up avait déjà réalisé ce type d’essais aux États-Unis en 2021, et plus récemment au Japon.
Notons qu’en juin dernier, Volvo Autonomous Solutions a également mis sur pied un bureau au Texas pour travailler sur des applications de conduite autonome sur des corridors de fret. Les premiers essais devraient se dérouler en 2024 (voir interview).
Volvo Autonomous Solutions se présente comme un futur opérateur de transport à part entière, de hub à hub. « Nous avons pris la décision d'être l'interface unique de nos clients et de prendre pleinement en compte les éléments nécessaires au transport commercial autonome », lance son président, Nils Jaeger. Cette filiale de Volvo Trucks compte proposer un convoyage 24h/24 des remorques sur les autoroutes aux opérateurs de fret, ces derniers se chargeant des premiers et derniers kilomètres, avec des conducteurs humains. Selon le constructeur, cette solution permet de répondre à la demande croissante de fret et à la faible attirance du métier de conducteur longue distance.
Voilà pourquoi un équipementier comme Valeo, contrairement à Bosch ne veut pas lâcher le développement du Lidar, sur lequel il travaille depuis 13 ans. Ce leader mondial a expliqué début septembre avoir obtenu « un milliard d'euros de prises de commandes » pour la troisième génération de ses capteurs. Ainsi, le développement du camion autonome continue à bas bruit, avec plusieurs acteurs de référence, qui réfléchissent à des usages dédiés et des services associés. Toutefois, personne ne prend le risque d’avancer une date de commercialisation future.