Une flotte fantôme prospère à l'ombre des sanctions russes

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Á l’approche de l’entrée en vigueur des sanctions internationales frappant le brut russe, un marché s’organise dans l’ombre pour transporter le pétrole sous embargo à compter du 5 décembre. Le courtier maritime français BRS estime à un millier d’unités la flotte prête à opérer illégalement.

Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février, 111 navires-citernes de plus de 34 000 tpl auraient changé de propriétaire et font désormais partie d'une flotte dite « obscure » ou « fantôme ».

Pour le courtier maritime français BRS, qui en fait état dans sa dernière note hebdomadaire sur le marché des pétroliers, la Russie a accès à suffisamment de navires-citernes pour poursuivre ses exportations de pétrole brut dans les mêmes volumes lorsque l'embargo de l'Union européenne sera effectif à partir du 5 décembre.

Il s’agit bien souvent de vieux navires, et souvent de VLCC, pétroliers d’une grande capacité de transport de brut, dont l’emploi sera d’acheminer le pétrole banni sur la scène internationale. La pratique est connue : elle a fait ses preuves pour le commerce illicite du brut iranien ou vénézuélien. 

Selon Gibson, mais aussi les dirigeants des armateurs pétroliers DHT et Euronav, qui s’expriment régulièrement sur le sujet, le commerce est tellement lucratif qu’il a freiné les envois à la ferraille ces deux dernières années alors que la conjoncture l’ordonnait, les navires étant exploités pendant de long mois sous le seuil de rentabilité.

Cette flotte illégale compterait désormais plus de 1 000 unités. Non sans représenter une menace d’un genre nouveau, car les transferts de navire à navire en haute mer, « sont risquées en soi » mais aussi parce qu’il s’agit bien souvent de vieux navires, ajoute BRS.

Lire aussi : Pétroliers sous embargo : une véritable odyssée pour dissimuler

Des pratiques de plus en plus sophistiquées

De pair avec la multiplication des sanctions et des embargos des dernières années ont prospéré des techniques de contournement de plus en plus élaborées, combinant fraudes sophistiquées et astuces-gadgets, pour dissimuler du fret frappé par une interdiction.

L’une d’entre elles, plébiscitée par les tankers iraniens, consiste en effet à transférer en pleine mer la marchandise sur un navire enregistré sous un autre pavillon et à couper les systèmes de localisation du navire pour opérer les manœuvres sans être repérés. Le système est en réalité plus sophistiqué avec son lot de faux documents pour maquiller les titres de propriété, des transbordements successifs et autres manœuvres qui relèvent parfois de l’ingéniosité pour échapper à l’imagerie satellite.

Les États-Unis saisissent régulièrement des pétroliers soupçonnés de transporter du pétrole iranien en violation de l'embargo américain. Le système est tellement organisé que, selon le lanceur d’alertes américain United Against Nuclear Iran, qui file à la trace les expéditions de brut iranien, il y a une « armada fantôme », composée de dizaines de pétroliers dont le seul emploi est la contrebande à grande échelle.    

Émergence de sociétés de trading

Le PDG de Trafigura pointe pour sa part un autre phénomène et met aussi en garde contre les risques encourus par ces nouvelles pratiques. Selon Jeremy Weir, qui intervenait lors de la conférence Financial Times Live le 23 novembre, « le marché mondial du pétrole a vu se multiplier les petites sociétés de négoce qui transportent le pétrole russe sur des distances beaucoup plus longues vers des régions comme l'Asie dans des navires plus anciens, ce qui augmente potentiellement le risque d'erreurs et d'accidents de transport ».

Selon lui, ces sociétés ont prospéré pour occuper le champ laissé libre par les acteurs historiques (comme Trafigura) pour se conformer aux sanctions internationales imposées à Moscou. « Nous constatons que tous les navires qui auraient normalement dû être mis au rebut sont acquis et utilisés pour transporter ces carburants. Très franchement, ce n'est pas acceptable dans le monde d'aujourd'hui », alerte-t-il. 

Grande agitation des marchés

L’entrée en vigueur de l’embargo européen sur le commerce de pétrole russe et le plafonnement des prix décidé par le G7 vont provoquer (ont déjà généré) le plus grand déroutement de flux pétroliers jamais observé. 

Depuis plusieurs semaines déjà, le brut de l’Oural est redirigé vers l'Asie et le Moyen-Orient tandis que l’activité est intense dans le bassin atlantique en raison de la modification des flux commerciaux.

Selon S&P Global Commodity Insights, les exportations maritimes de brut de la Russie vers l'Asie ont augmenté d'environ 31 % par rapport à la même période il y a un an pour atteindre une moyenne de 1,6 million de barils par jour (Mb/j) au cours des dix premiers mois de l’année.

Alors que les entrées de brut maritime de la Chine en provenance de Russie ont bondi de 36 % pour atteindre une moyenne de 780 000 b/j sur la période janvier-octobre, les achats de l'Inde sont passés en un an de 90 000 à 450 000 b/j.

En Chine, le brut de l’Oural a été particulièrement plébiscité par des entreprises publiques telles qu’Unipec, Zhenhua Oil et China Oil, à en juger par les données de suivi des pétroliers effectuées par Kpler et Vortexa Analytics. 

Adeline Descamps
 

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