Pourquoi les propriétaires de porte-conteneurs sont malgré tout confiants

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Les deux dernières années ont offert à MPC Containers, Danaos, Costamare, Seaspan, Global Ship Lease, dignes représentants du marché de l’affrètement de navires, des conditions souvent rêvées, rarement vécues. Et pour certains d’entre eux, 2022 fut le meilleur exercice financier de leur histoire. En dépit des temps difficiles annoncés pour leurs clients, quelques paramètres plaident en leur faveur.

Les compagnies pècheraient-elles par excès de confiance en continuant d’acheter et d’affréter des navires ? Á l’image des taux de fret, qui ne pourront plus descendre beaucoup plus bas, le SCFI étant passé sous la barre des 1 000 points pour la première fois depuis juillet 2020, tandis que les taux contractuels sont également en chute libre, les taux d’affrètement pourraient aussi avoir fini de pointer vers les bas-fonds. Ou du moins bénéficier d’un sursis dans la chute inexorable des taux. « Si l'on compare la période actuelle à la chute brutale des troisième et quatrième trimestre, nous nous trouvons sans aucun doute dans un environnement différent en ce moment et nous constatons en fait que le creux de la vague a été atteint », a assuré sans hésitation Constantin Baack, PDG de MPC Containers, un des propriétaires de flotte non-exploitants, qui vient de publier ces résultats.

Il n’est pas le seul à le penser. « La demande s'envole, les taux devraient suivre », s’emballe Alphaliner dans sa dernière note hebdomadaire. « L’Asie s'étant remise au travail après les traditionnelles célébrations du Nouvel an lunaire, il y a un effet positif sur la flotte de navires spot, qui est passée de vingt-sept à dix-neuf unités au cours des derniers jours (...) La pénurie de navires à l'ouest de Suez pousse à la hausse les taux d'affrètement, qui tendent à se raffermir dans cette zone de manière plus significative qu'en Asie ».

Taux d’affrètement sur 24 mois selon l’indice Harpex qui témoigne du pic atteint en mars 2022 (source : Harper)

Des clients encore très actifs

Les taux d'affrètement sont très loin de leurs sommets, à en juger par l’indicateur de référence Harpex, publié par Harper Petersen, qui reflète l'évolution mondiale des prix sur le marché de l'affrètement des porte-conteneurs. Mais ils se stabilisent. L’indice s’est établi à 1055,61 points ces derniers jours, à des années-lumière des 4 586 points il y a un an à la même période (le pic des deux dernières années) quand le moindre porte-conteneurs de taille moyenne pouvait rendre son propriétaire immensément riche en rapportant 200 000 $ par jour si le navire était contracté pour une durée de trois mois et 60 000 $/j s’il était contracté sur une période plus longue (cinq ans). Des périodes pluriannuelles quasi-inédites dans le secteur et des taux d'affrètement parmi les plus élevés de l'histoire du marché.

Toutefois, l'évolution des taux reste inégale, explique Alphaliner. « Les hausses de taux observées sont pour l'instant erratiques et modestes mais dans l'ensemble, la pénurie continue, ou la faible offre de tonnage dans la plupart des segments de taille est de bon augure pour les taux d'affrètement qui, dans le contexte d'une demande saisonnière traditionnellement élevée, devraient continuer à augmenter dans les semaines à venir ».

Les courtiers font en effet état d'un bon niveau de demande, en particulier pour les positions à terme du deuxième trimestre, dans les segments VLCS (7 500-11 000 EVP), LCS (5 300-7 499 EVP) et LCS (4 300-5 499 EVP) au cours des quinze derniers jours, principalement en raison d'une pénurie persistante de tonnage rapide. MSC et CMA CGM sont encore très actives à l’affrètement. Le leader mondial a affrété récemment le Hansa Europe (3 469 EVP) pour une durée de deux à quatre mois à 17 400 $/j et l'Atlantic West (1 355 EVP) pour cinq à sept mois à 13 000 $/j. L’armateur français a signé un bail pour quatre navires de 3 500 à 1 400 EVP, pour des durées de moins d’un an et à des valeurs comprises entre 17 250 et 13 000 $, selon certains courtiers. 

Assainissement du marché nécessaire

Pour Alphaliner, le marché doit être débarrassé de ses capacités excédentaires pour que les taux d’affrètement puissent rebondir. Et l’opération est en marche forcée par la conjoncture. Un certain nombre de navires, exploités notamment par plusieurs transporteurs intrarégionaux qui se sont aventurés sur les grandes lignes intercontinentales pour profiter du boom du marché, devrait retrouver leur vocation initiale. « Les navires, contrôlés par Antong Holdings, devaient initialement revenir sur les routes intérieures chinoises après avoir été restitués par CU Lines. Leur propriétaire a cependant choisi de continuer à les commercialiser sur le marché de l'affrètement, ayant fixé trois unités à des opérateurs tiers, pour des périodes allant jusqu'à 12 mois à des taux allant de 17 500 à 18 500 $. On peut supposer qu'au moins une partie des unités chinoises laissées en position spot continueront à être échangées sur le marché ».

L'activité d'affrètement se concentre quoi qu’il en soit sur les navires de moyenne et petite taille d'une capacité de 10 000 EVP et en deçà. Ils sont en réalité les seuls segments disponibles sur le marché. Durant la pandémie, les plus grands ont été affrétés au long cours, les propriétaires non-exploitants (non-operating owner, NOO) ayant profité du contexte tendu pour dicter les conditions d’emploi. Ainsi, les termes des contrats en cours sont plus lointains. Par ailleurs, par anticipation, craignant de se retrouver sans tonnage face à cette demande inextinguible, les exploitants de navires, dont les contrats arrivaient à terme cette année, ont prorogé leurs engagements l’an dernier.

Taux d’affrètement par EVP et catégorie de navires selon l’indice Harpex (source : Harper)

Les trafics régionaux, relais de croissance pour MPC Containers

Les affrètements de longue durée ont contribué aux performances affichées en 2022. MPC Containers, GSL, Danaos, Seaspan… les représentantes de ce marché ont présenté tour à tour leurs résultats et à l’instar de leurs clients, la parenthèse août 2020-août 2022 fut dorée. Á certains, comme l’allemande MPC Containers, en grande difficulté financière avant l’épidémie, elle a offert une remise d’équerre à la vitesse-lumière. « Le meilleur exercice financier de l'histoire de MPC Containers », n’hésitera pas Constantin Baak.

L’entreprise cotée à la bourse d'Oslo, propriétaire (ou presque) de 62 navires au 31 décembre (134 270 EVP), a enregistré un résultat net de 435 M$ contre 190 M$ en 2021. Sans surprise, les résultats du quatrième trimestre 2022 sont en baisse par rapport à l'année précédente avec un Ebitda (résultat d'exploitation avant intérêts, impôts et amortissement) passé de 163 à 127 M$. En revanche, la société a déclaré un TCE (time charter equivalent , performance moyenne des revenus quotidiens d'un navire) de 31 279 $/j pour les trois derniers mois de l’année contre 30 476$ /j à la même période de 2021 et 23 103 $ en moyenne cette année-là. 

MPC Containers a en caisse 1,5 M$ de revenus contractuels, alors que 86 % de sa flotte est occupée pour 2023 mais réservée qu’à 57 % en 2024. « La disponibilité des navires sur le marché est considérablement réduite par rapport aux moyennes historiques. En outre, l'amélioration générale des perspectives de l'économie mondiale au cours des derniers mois incite à l'optimisme quant aux perspectives à moyen terme des marchés des conteneurs, en particulier pour les trafics intrarégionaux, pour lesquels l'équilibre entre l'offre et la demande semble nettement plus encourageant que pour le marché long-courrier », poursuit le dirigeant.

Pour autant, la société s’attend à ce que son bénéfice d’exploitation soit compris entre 420 et 450 M$ pour 2023, ce qui représenterait une baisse potentielle de 14 à 20 % par rapport aux 523 M$ de 2022.

La rupture entre Maersk et MSC est une aubaine pour Danaos

Danaos est aussi confiant et voit dans la décision de Maersk et MSC de rompre leur alliance 2M une fenêtre de tir pour les non-exploitants, car les navires vont manquer (notamment pour Maersk) pour pouvoir maintenir le réseau actuel, estime John Coustas, directeur général de la société grecque. Le dirigeant compte par ailleurs sur les impacts des normes réglementaires, « qui n'auraient pas été suffisamment pris en compte, les transporteurs ayant tardé à étudier et à réagir, car ils s'attendaient à ce qu'elle soit modifiée ».

La rupture de l’alliance et la décarbonation vont rendre les temps moins difficiles qu’attendu, assure-t-il. Si les taux d'affrètement sont restés supérieurs aux niveaux d'avant la pandémie jusqu'à présent, il reconnaît que les durées ont été écornées. Seuls des baux de court terme (moins de 12 mois) sont actuellement négociés pour les navires disponibles.

Néanmoins, l’entreprise a ses revenus assurés pour 2023 (2,1 Md$), 93 % des jours disponibles de sa flotte étant couverts avec une durée d'affrètement moyenne de 3,4 ans. Toutefois, seuls 63 % des navires sont fixés en 2024, ce qui est mieux que MPC Containers mais moins bien que Costamare, à 85 %. Danaos a annoncé un bénéfice net de 711 M$ pour 2022, plus du double de celui de 2021 (362 M$). Le chiffre d'affaires a augmenté de 44 %, passant de 690 à 993 M$ et l'Ebitda de 67 %, à 851 M$.

Le marché est en attente pour GSL 

Il n’y a plus de fixation de long terme, convient aussi Tom Lister, directeur commercial de GSL (65 porte-conteneurs totalisant 342 348 EVP), estimant le marché « en attente », les compagnies maritimes déployant une stratégie « last-minute », temporisant jusqu’à la limite fatidique de leur contrat en cours pour entreprendre la conversation en vue d'un renouvellement. Il confirme également que « plus personne ne signe de contrats pluriannuels » alors que le NOO a affrété deux de ses navires depuis octobre pour moins d’un an.

GSL, dont 93 % de la capacité fait l’objet de contrat d'affrètement jusqu'à la fin de cette année et 72 % de sa flotte est déjà réservée en 2024, a publié un chiffre d’affaires 2022 en hausse de 44 %, à 645,6 M$ et un résultat net qui a bondi de 73,7 % par rapport à l'exercice précédent pour s’établir à 283,4 M$.

En dépit du retournement de marché au dernier trimestre, l’entreprise, qui avait fait le plein de navires en 2021 avec 22 acquisitions, est parvenue à contracter pour 21,7 M$ entre le 1er octobre 2022 et le 28 février 2023, en extensions de contrats mais aussi en nouvelles réservations. Depuis le début 2022, 19 contrats d’affrètement ont permis de dégager 938,8 M$ de nouvelles recettes, dont 11 d'une durée de quatre à sept ans chacun. 

Raz-de-marée de porte-conteneurs

Alors que les fréteurs ont participé à la grande fête de la construction navale, autant que leurs clients (la répartition entre les deux clients des chantiers navals n’est pas claire), « le carnet de commandes colossal qui déclenchera inévitablement un retour de la surcapacité », selon Alphaliner, est de nature à doucher l’optimisme. Et, sans démolition de navires accélérée, le « bain de sang sur le plan des volumes et des taux d'affrètement » ne pourra pas être évitée, s’inquiète l’analyste.

Seaspan, le plus grand d’entre tous, filiale d’Atlas Corp, qui vient d’être acquis par un consortium d’entreprises, dont ONE, son principal client, verra sa flotte de 131 navires atteindre les 153 unités en 2023 et 189 à la fin de 2024. Le groupe, coté en bourse aux États-Unis, entame l'année 2023 avec un flux de trésorerie contracté de 18,2 Md$, 980 M$ de liquidités et un financement en place pour toutes ses dépenses d'investissement actuellement planifiées.

Le salut par le verdissement

Au fur et à mesure que les chantiers navals livreront de nouveaux navires plus efficients sur un plan écologique et économique, qu’adviendra-t-il ? Les analystes ont tendance à penser que les transporteurs maritimes laisseront expirer les affrètements des anciens navires sans renouvellement. Ce qui augure d’une course au nouveau preneur, d’une guerre des prix et à défaut, de navires au chômage tandis que les doyens pourraient être précipités vers la tombe. 

MPC Containers voit pour sa part un ilot de protection dans le marché régional, considérant que les loueurs de navires de petite et moyenne taille pourraient mieux s’en sortir, des tailles sur lesquels les bailleurs de navires se concentrent d’ailleurs en général.

« La part très importante du carnet de commandes est constituée de très grands navires [tous tonnages confondus, le carnet de commandes actuel représente 29 % de la flotte en exploitation mais si l’on ne considère que les plus de 10 000 EVP, il correspond à 52 % NDLR]. Les plus petits opèrent sur des trafics régionaux où les infrastructures pour le GNL et le méthanol ne sont pas disponibles », détaille Constantin Baack en référence aux dernières commandes de navires qui font la part belle à une double carburation avec du GNL ou du méthanol.

Pour tous, des investissements dans des navires plus verts seront déterminants pour les mettre à l’abri du ralentissement du marché et des pressions concurrentielles. Le salut par le verdissement serait-il devenu le nouvel arbitre du marché ?

Adeline Descamps

 

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