Depuis plus de dix ans, la Renfe, la compagnie publique ferroviaire espagnole est à la recherche d’un partenaire pour sa filiale fret, Renfe Mercancías, structurellement en pertes depuis plusieurs années et le Covid n’a pas arrangé ses affaires.
Le total des dettes à court et à long terme accumulées a dépassé les 500 M€ en 2022 selon le rapport d’activité de la filiale de l'opérateur public. L'an dernier, elle faisait état d'une perte de 38,44 M€ pour un chiffre d’affaires d’un peu plus de 202 M€, améliorant sa situation financière par rapport à l'année d'avant où le déficit atteignait 64,7 M€.
L'entreprise, qui est le pendant espagnol de Fret SNCF, déclare 6 millions de tonnes/km parcourus et plus de 600 000 EVP transportés dans un environnement difficile – le ferroviaire en Espagne représente peu ou prou 3 % du trafic total de marchandises – et très concurrentiel depuis la libéralisation du fret en 2005 et la fin de son monopole dans la traction (2022).
Pression accrue
La pression s'est accrue avec l'arrivée sur le marché de nouveaux entrants, y compris les compagnies maritimes, à commencer par les trois leaders mondiaux du conteneur MSC, CMA CGM et Maersk. Les pré- et post-acheminements par le rail représentent la moitié du trafic ferroviaire de marchandises en Espagne. De quoi susciter de l'intérêt.
L'opérateur public, qui a toujours indiqué sa volonté de demeurer au capital comme actionnaire majoritaire, a relancé la procédure il y a deux ans après avoir tenté à plusieurs reprises de mener à terme cette démarche, sans succès apparent.
L'objectif est de transformer la société en « un opérateur logistique global et mondial », avaient justifié les membres du conseil d’administration. L'assemblée du 29 septembre 2021 avait validé le principe de la mise sur le marché de 50 % des parts avec un ou plusieurs « partenaires industriels » de stature internationale, excluant les fonds d'investissement.
Il y a un an, en octobre 2022, la Renfe avait indiqué être en négociation exclusive avec MSC, Maersk et CMA CGM, alors qu’une trentaine de sociétés ont participé à l’appel d’offres.
Medlog sélectionné
C’est finalement MSC, via Medlog, qui s’impose. La filiale de commission de transport du groupe de la famille Aponte (12 MEVP par an transportés), est déjà présent dans le fret ferroviaire avec Medway. La branche ferroviaire est l’héritière de la division cargo des chemins de fer portugais (CP Carga) que MSC avait acquise en 2016.
Après s’est polarisé sur les trafics ibériques à partir des installations portuaires de Valence, Medway a développé plusieurs services réguliers à partir de l'Italie via Medway Italia, et en mars 2022, s’est aussi implantée à Anvers (Medway North Continent), où elle opère depuis le terminal MPET de MSC/PSA.
Un train d'avance
Si Maersk et MSC font actuellement beaucoup de bruit autour de la stratégie door-to-door, qui vise aller chercher les conteneurs loin dans les terres de façon à opérer un transport maritime en porte-à-porte, MSC fut l’un des premiers à développer des services ferroviaires en propre.
CMA CGM a mis un pied dans le rail plus récemment avec l’acquisition en juillet 2021 de Continental Rail, l'un des principaux opérateurs ferroviaires privés – avec traction – dans le transport de marchandises et de surcroît bien positionné dans le transport intermodal de conteneurs entre les principaux ports espagnols, qui représente le segment le plus dynamique du fret ferroviaire.
« Continental Rail constitue une nouvelle composante majeure dans le développement des activités terrestres du groupe, tant en termes commerciaux qu’opérationnels », avait alors commenté Christine Cabau-Woehrel, à la tête des actifs industriels et des opérations du groupe CMA CGM.
Maersk est aussi en mesure d'offrir un service ferroviaire mais n’assure pas la traction des convois. Le chinois Cosco opère, lui, via l’entreprise Logitren.
Deux grands projets ferroviaires européens
Pour rappel, deux grands projets ferroviaires sont concernés par les Réseaux transeuropéens de transport (RTE-T) : le Corridor atlantique et le Corridor méditerranéen.
Le projet le plus avancé est la partie espagnole du Corridor méditerranéen, entre la frontière avec la France et Algésiras (sud de l’Andalousie), soit 1 300 km. L’objectif est de créer un axe ferroviaire à écartement standard UIC (1,435 m au lieu de la norme ibérique à 1,668 m) pour le trafic passagers et marchandises, électrifié et doté de la signalisation ERTMS. Plusieurs opérateurs (Renfe Renfe Mercancías, Captrain España et Transfesa) ont commandé à cet effet des locomotives Euro6000 pour pouvoir circuler sur l’axe UIC.
Une première étape a été franchie le 21 décembre 2010, avec l’ouverture d’une ligne UIC entre le port de Barcelone et Figueras, connectant ainsi l’Espagne au réseau français à grande vitesse via le tronçon international Figueras-Perpignan, géré par SNCF Réseau et son homologue espagnol, ADIF.
Les constructeurs automobiles, demandeurs
Depuis 2018, des contrats ont été adjugés à hauteur de 3,7 Md€ afin d’accélérer les travaux. S’ils avancent comme il est prévu, l’écartement standard pourrait être disponible jusqu’à Almeria en 2026. Les ports de Valence et Tarragone seront ainsi directement reliés au réseau ferroviaire européen.
Des chargeurs comme Volkswagen, qui est en train de construire une usine de production de batteries à Sagonte, près de Valence, se montrent demandeurs.
En mars dernier, Captrain España, une filiale de la SNCF, a annoncé le lancement d’un nouveau service de transport de véhicules pour le compte de Stellantis (deux rotations/mois) dans le cadre d’un partenariat avec Captrain France.
Adeline Descamps avec Daniel Solano en Espagne
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