Le dossier était sinon mal ficelé du moins mal engagé. « D'après nos analyses juridiques, La Méridionale considère que l’ouverture de la ligne Toulon-L’Ile-Rousse est parfaitement compatible avec le cadre contractuel de la délégation de service public. Cependant, nous entendons les questions et craintes générées dans le contexte des enquêtes actuelles de la Commission européenne sur le sujet spécifique du fret. C’est la raison pour laquelle le fret ne sera pas ouvert à la vente entre Toulon et L’Ile-Rousse ».
Alors que les marins des syndicats CGT et SAMM (syndicat autonome de la marine marchande) des deux compagnies (Corsica Linea et La Méridionale) délégataires de la DSP pour la desserte maritime de la Corse au départ de Marseille, ont observé, comme annoncé, une grève de 48 heures les 11 et 12 mars, la Méridionale a annoncé dans un communiqué diffusé le 13 mars, que la nouvelle liaison, à compter du 6 avril, au départ de Toulon vers l'Ile Rousse, ne prendra que des passagers.
Exit le fret. La compagnie marseillaise avait pourtant indiqué qu'aucun camion n'embarquerait dans ses navires entre l'Ile-Rousse et Toulon « pour le moment » mais les marins attendent une garantie écrite pour accepter de reprendre les traversées, qui avaient été annulées de facto entre Marseille et les ports d'Ajaccio, Bastia, Propriano et L'Ile-Rousse.
Craintes sur la DSP
Depuis le mois de février, les marins s'agitent autour de cette question, craignant que l'ouverture de cette liaison par la Méridionale, opérée par le Kalliste en dehors de l'actuelle délégation de service public et donc sous le régime de de l’obligation de service public (OSP), ne remette en question l'actuelle DSP (2023-2030) dans son ensemble. Une inquiétude non sans fondement dans la mesure où la Collectivité de Corse finance le même service en DSP [pour le fret, NDLR] entre Marseille et Île Rousse (assuré par Corsica Linea) et compte tenu d'un contexte globale de défiance de l’Union européenne.
La Commission européenne a ouvert en février une nouvelle « enquête approfondie » portant sur les 853,6 M€ de compensations versées par la France aux deux compagnies. Bruxelles devra notamment vérifier, selon ses déclarations « si l'inclusion du transport de marchandises remorquées et des chauffeurs routiers dans les contrats est justifiée par un besoin de service public, compte tenu de l'existence déjà sur le marché d'une offre commerciale », depuis le port voisin de Toulon. Une référence à celle de la compagnie Corsica Ferries. L'exécutif européen se demande en outre si les volumes prévus dans les contrats ne dépassent pas le besoin de service public identifié par les autorités.
Concurrence pour Marseille
Les syndicats estiment pour leur part que ce nouveau service « fait croire que l'on peut offrir le même niveau de service qu'un navire identique exploité en DSP entre Marseille et la Corse. Ce navire va donc entrer en concurrence avec les lignes en DSP de la Méridionale elle-même et de Corsica Linea ».
Dans un document circonstancié, de quatre pages, adressé en février au président de la Méridionale Jean Emmanuel Sauvée, la CGT dénonçait déjà tous azimuts une stratégie qui « va à l’encontre des lignes de la délégation de service public de continuité territoriale Corse-continent » et de la « ligne passagers France-Maroc ».
Ils craignent que cela remette en cause le pavillon français premier registre, sous lequel navigue les navires desservant la Corse en DSP, voire une « redistribution des ports » aux termes de la DSP fin 2029.
En avril, La Méridionale, désormais filiale du groupe CMA CGM, entendait défier Corsica Ferries sur ses terres à Toulon avec une boucle effectuée trois fois par semaine par le Kalliste (670 passagers et de plus de 2 000 mètres linéaires de pont garage), jusqu'à présent affecté à la ligne Marseille-Tanger.
Adeline Descamps