États-Unis : l'environnement réglementaire se durcit pour le transport maritime

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En pleine trêve estivale, deux membres de la Chambre des représentants des États-Unis ont présenté le projet de loi sur lequel ils planchent depuis des mois. Si l'« Ocean Shipping Reform Act of 2021 » était adopté, il s’agirait de la première réforme de la loi réglementant le transport maritime depuis 2001. Acmé d’une crise qui dure depuis plus d’un an et qui oppose chargeurs et transporteurs.

En plein mois d’août, alors que les taux de fret établissent un nouveau record pour la 14e semaine consécutive selon l'indice des taux SCFI, le baromètre des prix au comptant de Shanghai vers un grand nombre de destinations dans le monde, Washington DC débat de la possibilité d’établir un nouveau terrain de jeu commercial pour les transporteurs maritimes qui opèrent dans le pays.

Deux représentants de la chambre des représentants – le républicain Dusty Johnson et le démocrate John Gerimundi – ont présenté au Congrès un projet de loi appelé Ocean Shipping Reform Act of 2021, première actualisation de la loi sur le transport maritime du pays (le shipping Act) depuis 2001, date de l’entrée de la Chine dans l’OMC. 

« Il établit qu’il ne peut y avoir de refus déraisonnable de transporter des marchandises et il améliore l'application de la loi, en permettant par exemple à la FMC [Federal Maritime Commission] de lancer elle-même des enquêtes, de prémunir de représailles ceux qui portent plainte et, point essentiel, de transférer la charge de la preuve des chargeurs sur les transporteurs », a synthétisé l’un des deux co-auteurs du texte.

« L'accès des entreprises étrangères au marché américain et à ses consommateurs est un privilège, pas un droit », a tonné le démocrate dans sa présentation. Avant d’ajouter : « L’objectif est de créer un terrain de jeu équitable où les exportateurs, les importateurs et les compagnies maritimes exercent dans un environnement concurrentiel dans lequel l'industrie maritime n’a pas un pouvoir indu. Il faut un marché rationnel et raisonnable avec des règles du jeu équitables pour les deux parties. » 

États-Unis : une loi interdisant aux transporteurs maritimes de refuser du fret ? 

Interdire le refus des cargaisons

Si la proposition de loi était adoptée, un service minimal serait exigé dans le cadre des contrats de service des transporteurs maritimes, en permettant juridiquement à la FMC, l’autorité américaine de régulation du secteur, « d’interdire le refus des cargaisons d'exportation si les conteneurs peuvent être chargés en toute sécurité et dans un délai raisonnable. » 

Elle transfèrerait également, dans les procédures réglementaires, la charge de la preuve des clients aux compagnies maritimes. Cette mesure vise tout particulièrement les frais de détention et de surestaries. Dans ce cadre, les transporteurs devraient certifier les faits, à savoir les raisons pour lesquelles les clients n’ont pas retourné les conteneurs à temps (il n’est pas évident que les transporteurs connaissent les situations et les faits). 

Un texte en préparation depuis de longs mois

Les deux rapporteurs de la proposition de loi travaillent à vrai dire depuis des mois sur ce dossier. En mars dernier, les deux parlementaires avaient apposé leurs paraphes à un courrier adressé à la FMC par une centaine de membres du Congrès, demandant instamment « que des mesures soient prises contre les pratiques commerciales déloyales, anticoncurrentielles et probablement illégales de certains transporteurs maritimes ». 

Quelques-unes des mesures contenues dans leur proposition de loi avaient fuité en juin à l’issue de l’audition des deux parlementaires devant la commission Transports et Infrastructure de la Chambre des représentants.  

Les chargeurs américains exigent une réforme de la loi sur le transport maritime 

Sous le sceau des chargeurs

Elles reprennent à vrai dire quelques recommandations portées par l’association professionnelle américaine représentant les chargeurs industriels. Ces derniers souhaitaient une modification des règles en matière de surestaries et frais de détention, l’introduction d’un service minimal dans l’exécution des contrats, l’instauration d’outils juridiques contre les pratiques commerciales jugées déloyales (liées à l'attribution des équipements et des réservations) et une réforme de la FMC pour qu’elle puisse agir juridiquement contre les accords entre les transporteurs maritimes réunies en alliances qui « opèrent avec l'immunité antitrust ».

À cet égard, l’association professionnelle demandait aussi à déplacer la charge de la preuve sur les fournisseurs de services. « À eux de démontrer que leurs pratiques sont raisonnables et conformes aux règles », indiquait-elle. 

Sur l’ensemble de ces points, Daniel B. Maffei, le président de la FMC, n’avait manifesté aucune intention d’y surseoir mais avait indiqué que le régulateur ne disposait pas aujourd’hui des outils juridiques pour y souscrire.

Les transporteurs de la ligne régulière convoqués par le ministère chinois des Transports 

Mise sous pression du transport maritime

La présentation de ce projet de loi est donc la dernière étape en date d’une mise sous pression du transport maritime qui, à vrai dire, est dans le viseur des autorités de régulation de certains pays depuis un an, les États-Unis mais aussi la Chine et la Corée du sud, notamment. En Europe, la libre concurrence et la liberté d’entreprise restent sacro-saintes.

L’an dernier, à la même époque, les compagnies avaient déjà été convoquées par les administrations de Pékin et de Washington pour justifier la hausse des taux de fret sur les lignes transpacifiques, qui n’en étaient qu’au début de leur formidable envolée (depuis, le SFCI a augmenté de près de 267 %), et s’expliquer sur l’insuffisance des capacités. Les navires et les conteneurs commençaient à manquer. Il ne s’agissait alors que des débuts de « l’affaire transpacifique ».

Depuis, les transporteurs ont été entre autres accusés d’allouer toutes leurs capacités à ce qui est le plus lucratif pour eux au point de rapatrier manu militari des conteneurs vides vers la Chine afin d’accélérer les rotations au détriment du chargement des exportations américaines. 

« Le problème, c’est la balance d’exportation »

Le problème, c’est la balance d’exportation, avait rétorqué John Butler, le président du World Shipping Council (WSC), une des nombreuses représentations du secteur, celle-ci basée à Washington. « C'est l'augmentation massive des importations américaines qui explique la situation actuelle, avait-il indiqué lors de son audition par la commission T&I. En temps normal, le déséquilibre commercial du marché des conteneurs avec l'Asie est de deux pour un entre les importations et les exportations américaines. Il est actuellement de trois pour un. Si vous voulez que l'ensemble du système continue de fonctionner, vous devez renvoyer les conteneurs vides vers ces points d'origine. Sinon, tout le système déraille. » 

Ces dernières semaines, l’étau s’est resserré car la nouvelle administration de Joe Biden a pris un ensemble de décrets visant à faire la chasse aux abus de position dominante et pratiques anticoncurrentielles. Le transport maritime était alors clairement stigmatisé pour sa pratique des frais de détention et de surestaries. 

Sous l’insistance de l’exécutif mais aussi suite à des plaintes récurrentes des chargeurs américains – la fédération des détaillants américains (NRF), la National Industrial Transportation League (NITL), les exportateurs agricoles du centre du pays fédérés dans l'Agriculture Transportation Coalition –, la FMC, l’autorité de régulation du transport maritime, a été priée d’auditer les compagnies maritimes. 

Acmé de cette crise, la plainte déposée devant la FMC par un MCS Industries, un fabricant américain d’articles de maison qui accuse Cosco et MSC de pas moins de cinq violations de la loi américaine sur le transport maritime. 

Un fabricant américain dépose une plainte à la FMC contre deux compagnies maritimes

Texte partial ?

À l’ensemble de ces événements, le WSC a rétorqué dans un communiqué que les compagnies maritimes ne pouvaient pas être tenues pour seules responsables de la congestion généralisée de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.  

« Il est irréaliste, inéquitable et improductif de vouloir résoudre la problématique en ne réglementant qu'une des parties prenantes », indique le WSC, qui déplore l’absence de mise en perspective et trouve le texte partial, en faveur des chargeurs du point de vue des litiges commerciaux.

« Le projet de loi exigerait que les transporteurs maritimes, sous peine de pénalités, garantissent la performance d'autres parties sur lesquelles ils n'ont aucun contrôle, par exemple en imposant aux transporteurs maritimes la charge de s'assurer que les remorques, les camions et les wagons sont disponibles auprès des tiers. » 

Course protectionniste vers le bas ?

Le WSC craint en outre que ce nouveau cadre incite les partenaires commerciaux des États-Unis à adopter des cadres législatifs similaires. « Entamer une course protectionniste vers le bas dans la réglementation du transport maritime international n'est pas une stratégie gagnante pour l'économie américaine. Le projet de loi risque fort de rendre les contrats de transport moins flexibles et plus chers pour les biens importés et exportés. Les risques ne peuvent pas être répartis efficacement par les parties s'il y a trop de restrictions à la liberté contractuelle. » 

En attendant, la Maison Blanche a diligenté un groupe de travail. Sous la houlette des secrétaires d'État au Commerce, aux Transports et à l'Agriculture, tous les acteurs de la chaîne sont tenus « d’identifier les problèmes et trouver les solutions qui pourraient contribuer à atténuer les goulets d'étranglement et les contraintes d'approvisionnement ». 

Adeline Descamps

 

 

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