En juin, dix-neuf porte-conteneurs neufs auront été livrés. MSC, CMA CGM, Evergreen, ONE et même Maersk et PIL, qui avaient déserté les chantiers navals certes pas pour les raisons, auront animé la scène tant en termes de commandes que des livraisons.
La Chine l’a théâtralisé. Le monde sait désormais que la seconde puissance mondiale, et premier ou deuxième constructeur naval selon les mois, a construit le « plus grand porte-conteneur au monde jamais construit par le pays ». Hudong-Zhonghua, familier de la construction des 8 000 EVP, a en effet livré la première unité de plus de 24 000 EVP à Evergreen. La compagnie taïwanaise avait décalé de plusieurs mois, en raison de l’épidémie et des contraintes en Chine, la mise en service de ses mastodontes, les Ever Alot et Ever Apex, confiés aux deux chantiers Hundong Zhonghua et Jiangnan du groupe CSSC, le géant chinois de la construction navale China State Shipbuilding Corp.
Le premier des deux sisterships, l’Ever Alot, construit par Hudong, est aussi le premier d’Evergreen à dépasser la barre des 24 000 EVP. Long de 399,99 et large de 61,5 m, le navire détient désormais le record du plus grand porte-conteneurs au monde, titre jusqu’alors occupé par un autre porte-conteneurs d’Evergreen, l’Ever Ace (23 992 EVP), construit par le sud-coréen Samsung. Ce dernier est exploité depuis juillet sur la boucle Asie-Europe du nord (CEM) dans le cadre d’Ocean Alliance (NEU6).
L’Ever Alot, qui opérera aussi sur la ligne Est-Ouest, est le septième de la classe Evergreen A sur un total de treize, dont quatre seront construits par Hudong-Zhonghua, qui a actuellement neuf porte-conteneurs de 24 000 EVP en commande.
MSC : les premières livraisons au GNL
Parmi les autres faits marquants du mois de juin, la livraison par Yangzijiang Shipbuilding du MSC Virginia (14 428 EVP), destiné au service New Falcon entre Asie et Moyen-Orient via le sous-continent indien, et sistership du MSC Washington, livré en mars.
Les deux navires ne sont pas anodins : ils sont les tout premiers à double carburant avec le GNL de la flotte du leader mondial dans le transport maritime de conteneurs. Ils inaugurent par ailleurs la nouvelle classe de 14 000 EVP, plus compacte (335 m de long) mais autorisant 20 rangées de conteneurs. Enfin, les cuves de GNL sont de type C et non prismatiques, plus répandues. Les commandes avaient été passées en mars 2020 par le propriétaire de flotte non-exploitant Greathorse Shipping (groupe chinois Tiger) à un prix annoncé de 115 M$ par unité, rappelle Alphaliner.
Selon les courtiers, ils ne sont pas pour autant affrétés car MSC, à l’ineffable faim de navires, les aurait déjà rachetés. La valeur de la transaction ne filtre pas. Reste à savoir s’ils ont été revendus au prix actuel du marché (qui ont enflé depuis 2020 en raison de la flambée de l’acier), plus proche aujourd’hui pour des navires de cette taille des 160 M€ que des 110 M€, ou sur la base de l’accord d’affrètement initialement négocié entre les deux contractants.
MSC, qui a franchi dernièrement la barre des 200 navires de seconde main acquis en moins de deux ans totalisant 805 000 EVP alors qu’il détient un carnet de commandes de 118 unités, a commandé ces dernières semaines vingt porte-conteneurs au GNL – dix de 8 100 EVP et dix de 11 400 EVP –, à New Times Shipbuiding d’après les informations d'Alphaliner. Ces derniers devraient arriver sur le marché en 2024-2025.
Maersk, de retour dans les commandes
Une fois la capacité de 1,54 MEVP livrée (constructions nouvelles), MSC, passé en tête du classement mondial Alphaliner en janvier 2021, surplombera, et de très haut, le Top 10 mondial. Il distancera aussi de bien des milles le numéro deux de la ligne régulière, l’ex-leader détrôné Maersk, le seul parmi les dix premiers mondiaux, avec le Taïwanais Yang Ming, à ne pas avoir cédé cette dernière année aux vieux démons : acheter des navires en quantité quand les caisses sont pleines, facteur toujours aggravant quand le marché se retourne.
Alors que son carnet de commandes ne représente que 7,6 % de sa flotte en exploitation (par comparaison, 34,7 % chez MSC), Tradewinds prête à Maersk l’intention de lancer une autre série de 16 000 EVP à la double motorisation avec le méthanol. Ce nouvel engagement porterait à 24 unités sa flotte au méthanol. Les trois principaux chantiers navals sud-coréens – Hyundai Heavy Industries (HHI), Samsung Heavy Industries (SHI) et Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering (DSME) –, auraient été sollicités. HHI est déjà le constructeur des huit premiers contractés en août 2021 et dont la livraison est prévue en 2024 et 2025. Maersk a ensuite exercé son option pour quatre autres. L'ensemble avait été précédé, en juillet 2021, de la commande d’un feeder, confié à Hyundai Mipo Dockyard (HMD). Ce dernier devrait être mis à l’eau en 2023 pour opérer en Baltique.
Si les intentions se transformaient en transactions, la valeur pourrait s’élever à plus de 2,2 Md$ au prix du marché actuel et pour des livraisons en 2025 et 2026.
CMA CGM : méthanol et bangkokmax
CMA CGM a pris livraison de son Galapagos. Le porte-conteneurs de 15 254 EVP est la quatrième unité d'une série de onze porte-conteneurs alimentés au GNL que le chantier naval Jiangnan construira pour la compagnie française. Le dernier de la série livré, en janvier, est le CMA CGM Everglade. Ce dernier doit rejoindre ce mois-ci le MED2 sur le trade Asie – Méditerranée, opéré dans le cadre de son alliance Ocean.
Le service tourne exclusivement avec des unités au GNL tandis que l’autre boucle méditerranéenne sera opérée par sa future flotte au méthanol, selon les informations révélées par Xavier Leclercq, qui dirige CMA Ships, à l’occasion du salon Euromaritime. Rodolphe Saadé, le PDG du groupe français, grand promoteur du GNL, avait annoncé une commande de six porte-conteneurs dual fuel de 15 000 EVP au méthanol à l’occasion de la présentation de ses résultats financiers du premier trimestre.
Le numéro trois mondial du secteur est aussi gagné par la fièvre acheteuse avec, dans son portefeuille de livraisons en attente, une capacité de plus de 640 000 EVP répartie en 68 navires. Il a en outre atteint les 80 porte-conteneurs d'occasion depuis août 2020. Cette date, qu’il partage avec le leader MSC, marque le début de sa course à l’acquisition.
Sur le marché S&P, ses intérêts ont porté sur de petites unités et des configurations spécifiques, à l’instar des bangkokmax, un autre point commun avec MSC. Ces navires à part, d'une capacité de 1 700 à 2 000 EVP, sont appelés ainsi car ils ont été conçus pour accéder à des terminaux aux contraintes physiques d'accès tels ceux situés sur le fleuve Chao Phraya. L’ensemble ajoute à sa flotte (3,295 EVP, 578 navires) une capacité supplémentaire de 258 700 EVP.
Des affrètements pour ONE
ONE a également animé en juin le marché et toujours avec le constructeur chinois Yangzijiang. Le ONE Parana de 11 923 EVP a été livré au propriétaire non exploitant Seaspan. Il est le premier d’une jeu de six que ce dernier a commandés en deux fois en 2021 pour l’armateur japonais dont les affrètements sont prévus pour les quatre premiers. Le navire à la propulsion conventionnelle rejoindra le service PN2 de THE Alliance qui effectue une boucle entre Asie du Sud-Est, la côte ouest-américaine et Japon. Réceptionné le 28 juin, appartenant à la même série, le ONE Magdalena (11 923 EVP) rejoindra en mer son sisterships.
Renaissance de PIL
Enfin, le début du mois de juillet a apporté une petite nouvelle qui n’a rien de banal, symbolique d’un retour à la vie d’une compagnie que l’on disait moribonde et menacée de disparation. PIL, qui s’était délesté de pas moins de 100 000 EVP avant la crise sanitaire pour rembourser ses créanciers devenus pressants, a retrouvé le chemin des radoubs.
Le 5 juillet, la compagnie singapourienne a officiellement annoncé la commande de quatre porte-conteneurs bicarburants au GNL de 8 000 EVP auprès de Yangzijiang. Elle a ainsi modestement porté son carnet de commandes à huit unités pour une capacité totale de 88 000 EVP. Mais elle a une valeur symbolique. Celle de la renaissance.
Ayant retrouvé de l’allant à la faveur des conditions exceptionnelles de son secteur, la compagnie avait exercé une première commande de quatre porte-conteneurs de 14 000 EVP au GNL en début d’année. Elle garde toute sa confiance au constructeur chinois qui avait construit ses douze Kota entre 2017-2019, ceux-là même dont il a dû se dessaisir pour honorer ses dettes.
Lars Kastrup, un ancien dirigeant de Maersk et CMA CGM, où il a manifestement gardé des amitiés, vient d’être nommé seul à la barre. Il était arrivé à la tête de PIL le 7 avril 2021 à la suite de la recapitalisation de la compagnie singapourienne, mais en duo avec Gan Chee Yen (ex-NOL), qui fait valoir ses droits à la retraite. Le nouveau patron a désormais les mains presque libres.
En difficulté pendant deux ans, l’entreprise a achevé sa restructuration le 30 mars 2021 grâce aux 600 M$ apportés par Heliconia Capital Management, une entité du fonds souverain de la Cité-État Temasek Holdings. Les actionnaires historiques de la compagnie singapourienne, y compris la famille Teo, ont dû se résoudre à voir leur participation réduite à moins de 15 %. La fortune à portée de crise, elle a pu rembourser 1 Md$ aux créanciers avant la date prévue, fin 2021.
Adeline Descamps