Les deux parties avancent dans leurs tractations entamées en juin dernier. CoscoSP, la filiale portuaire du groupe de transport maritime asiatique, et HHLA ont annoncé le 21 septembre avoir abouti à un accord en vue d’une prise de participation minoritaire de 35 % de l’opérateur portuaire chinois dans le terminal à conteneurs allemand Tollerort (CTT), l’une des trois infrastructures qu’exploite le grand manutentionnaire allemand Hamburg Hafen und Logistik (HHLA) à Hambourg.
Par rapport au Container Terminal Altenwerder (CTA) et au Container Terminal Burchardkai (CTB), Tollerort est la plus petite des trois installations. Son linéaire de quai de 1 200 m avec quatre postes d'amarrage et 14 portiques, à un tirant d'eau maximal de 15,1 m, lui permet cependant d’accueillir des porte-conteneurs de 20 000 EVP, indique HHLA.
Sécuriser des trafics
Le manutentionnaire, qui règne en maître à Hambourg (Eurogate y exploite un seul terminal), y voit une opportunité de lui assurer du trafic. « Avec la participation minoritaire de CoscoSP, CTT deviendra le hub de transbordement de Cosco, où les flux seront concentrés », assure Angela Titzrath, la présidente du conseil d'administration du groupe allemand. « Le monde maritime est actuellement confronté à d'intenses changements. Les relations à long terme et de confiance avec les clients - comme celles que HHLA entretient depuis 40 ans avec le partenaire chinois - sont d'autant plus importantes aujourd'hui. Le premier navire chinois a été traité à Tollerort en 1982. Depuis lors, le terminal est devenu hub pour les services de Cosco ». Le CTT restera ouvert à toutes les compagnies maritimes, a jugé utile de préciser la présidente.
Un manque de réciprocité entre l’UE et la Chine
Affecté par des problèmes de congestion, qui ont poussé Maersk et MSC à rediriger une grande partie de leurs flux vers Bremerhaven, Hambourg conserve manifestement son attractivité. À l’issue du premier semestre, la Chine avait encore conforté son statut de premier partenaire commercial du port Hambourg en lui offrant un trafic de 1,3 MEVP et une progression de 14,2 %. Le pays distance largement le continent nord-américain avec lequel 303 000 EVP ont été échangés, bien qu’en hausse de 5,3 %. Près d'un conteneur sur trois, traité à Hambourg, a pour origine la Chine ou est destiné au marché chinois. Tollerort est notamment desservi par deux services en provenance d’Asie, un de Méditerranée et une ligne de feedering.
Pour aboutir, les négociations vont devoir lever l’hypothèque d’un blocus de la Commission européenne, qui a manifesté à plusieurs reprises a volonté de restreindre les investissements chinois dans les entreprises européennes tant qu’il n’y avait pas réciprocité dans les affaires.
Le déséquilibre à cet égard a été fort bien expliqué par l’économiste Jacob Gunter dans un de ses récents articles. Il permet de mettre en exergue l’intérêt qu’a Cosco d'investir dans des ports européens comme Hambourg – hub transbordement pour l'Europe du Nord – et le Pirée, équivalent pour l'Europe du Sud, en face du canal de Suez. Et appelle à faire de ce dossier une opportunité pour l’UE d’imposer des règles de réciprocité.
Les enjeux de la prise de position de Cosco à Hambourg
Si presque tous les pays ont des lois sur le cabotage, les règles qui empêchent les navires battant pavillon étranger d'effectuer des transports nationaux ne sont cependant pas équitables. Les lois européennes sur le cabotage exigent que seuls les navires battant pavillon local puissent participer aux transports. Les règles chinoises vont encore plus loin : les transports intérieurs ne peuvent être effectués que par des navires battant pavillon chinois et appartenant à une société chinoise.
En pratique, cela signifie, explique l’économiste, qu'un navire au pavillon chinois ne peut pas transporter de marchandises entre des villes néerlandaises sur le Rhin tout comme un navire immatriculé aux Pays-Bas ne peut pas transporter de marchandises sur le fleuve Yangtze. Le navire battant pavillon chinois ne pourrait pas non plus charger des marchandises à Amsterdam et les décharger à Rotterdam en traversant la mer du Nord, tout comme le navire battant pavillon néerlandais ne pourrait pas transporter des marchandises de Qingdao à Fuzhou le long de la mer de Chine orientale.
Cependant, alors que Cosco pouvait investir dans une filiale aux Pays-Bas et exploiter des navires battant pavillon néerlandais entre des ports intérieurs et côtiers, un chargeur néerlandais ne peut pas investir dans une filiale en Chine pour exploiter des navires battant pavillon chinois.
Ancrage en Europe du Nord pour Cosco
Il en va de même pour le feedering. Les navires battant pavillon chinois peuvent effectuer ce type de transport entre les ports d'un même État membre de l'UE, mais aussi entre différents pays. Sur ce principe, trois navires battant pavillon chinois de la compagnie Cosco peuvent charger de la bière à Hambourg, du gouda à Rotterdam et du chocolat à Anvers, rejoindre un même port desservi par les grandes lignes transcontinentales pour charger sur des navires mères en fonction de leurs destinations finales, en Amérique du Nord, en Asie...Mais, la réciprocité n’est pas valables en Chine. Trois navires de Maersk ne pourraient pas charger différents produits à Qingdao, Ningbo et Quanzhou, et consolider dans un grand port de la Chine continentale, qui compte neuf des vingt ports les plus actifs du monde. Pour ce faire, ils doivent se rendre dans un pays voisin comme la Corée du Sud ou le Japon pour redistribuer les marchandises.
Si le feu vert était donné, Cosco réussirait donc un tour de force. Il prendrait pied dans le plus grand port allemand, où aucun transporteur maritime n’est impliqué dans les terminaux, excepté Hapag-Lloyd avec une participation minoritaire de 25,1 % dans le CTA. Il renforcerait son ancrage en Europe du nord, où il détient des participations à Zeebrugge, Anvers et Rotterdam, alors qu’au Sud, il est propriétaire du Pirée (Grèce) et est actionnaire à Vado Ligure (Italie), à Bilbao et Valence (Espagne).
Tectonique dans les terminaux portuaires allemands
Pour autant, les informations se percutent au sujet des terminaux portuaires allemands. Les médias locaux avaient révélé avant l’été que l’armateur national Hapag-Lloyd était entré en discussion avec l’autre grand manutentionnaire allemand Eurogate en vue d’une prise de participation dans le capital du terminal Jade-Weser-Port (JWP) de Wilhelmshaven aujourd’hui détenu par Eurogate avec 70 % des parts (le terminal lui avait été attribué en 2006) et APM Terminals (groupe Maersk). Le transporteur envisagerait d'acquérir la participation de 30 % que détient la filiale portuaire de Maersk dans le terminal à conteneurs.
Mis en service mi-2012 avec un quai de 1 725 m et une zone logistique attenante, Jade-Weser-Port n’a jamais vraiment trouvé son public en dépit de son accès en eaux profondes avec un tirant d'eau jusqu'à 18 m. D’une capacité nominale de 2,7 MEVP, l’infrastructure enregistre des trafics annuels entre 400 000 et 600 000 EVP selon Alphaliner. Il y a quelques jours, le consultant indiquait que les tractations avaient bien avancé.
L’accélération des pourparlers pourrait en outre avoir pour motivation une urgence technique. Si le CTA, l’installation où opère Hapag-Lloyd, est l'un des plus automatisés au monde, sa configuration nautique ne lui permet pas de traiter les plus grandes unités actuelles de la compagnie allemande (19 870 EVP) et encore moins ses futurs 23 666 EVP (deux séries de six unités) ou tout autre mégamax de THE Alliance.
Quid des négociations entre HHLA et Eurogate
Enfin, la réorganisation des terminaux portuaires allemands était plutôt attendue du côté des deux grands manutentionnaires allemands qui semblaient en juin 2020 allaient de l'avant. HHLA et Eurogate avaient annoncé avoir entamé des discussions en vue d’une coopération, non définie à ce stade, dans les ports à conteneurs allemands.
Adeline Descamps