Le groupe français de transport et de logistique, qui accueillera un nouveau directeur financier (Ramon Fernandez) d’ici avril, devrait utiliser ses liquidités pour procéder au remboursement anticipé de ses obligations de 525 M€ à échéance 2026. Le produit généré par l’émission obligataire de 525 M$, lancé en octobre 2020, avait été utilisé pour rembourser une autre émission obligataire à 7,75 % arrivant à échéance en janvier 2021.
Une fois remboursée, CMA CGM, dont l’actionnariat est majoritairement familial, pourrait se passer de publier ses résultats financiers (comme l'exige l'émission obligataire) à l’instar de MSC et ONE, qui en tant que sociétés non cotées, ne sont pas tenues de présenter leur état financier. L’armateur japonais ONE, résultant de la fusion en 2018 de l’activité « conteneurs » des trois principaux groupes de transport japonais, s’exécute néanmoins via NYK, MOL et K Line.
Un quatrième trimestre sans doute décevant
CMA CGM n'a pas encore publié ses comptes pour le quatrième trimestre 2022. Sur les neuf premiers mois de l’année, le groupe a réalisé un résultat net de 21,83 Md$ et un Ebitda de 27,61 Md$.
Si les résultats de CMA CGM sont restés au troisième trimestre à des niveaux records par rapport aux précédentes années, ils ont néanmoins marqué le pas. Le chiffre d’affaires du groupe s’est élevé à 19,9 Md$ entre juillet et septembre, plus qu’au deuxième trimestre (19,48 Md$). Mais l’Ebitda (résultat d'exploitation avant intérêts, impôts et amortissement) est passé de 9,59 à 9,15 Md$ (CMA CGM ne publie pas son Ebit) avec une marge d’Ebitda qui s’est dégradée de 49 % à 46 %.
L’activité maritime du groupe de transport maritime et de logistique, qui représente encore 79 % des recettes commerciales du groupe, est à l’avenant. Par rapport à l’an dernier, même période, les revenus ont flambé (+ 25,8 %, + 3,22 Md$), l’Ebitda a bondi de 27,2 % (+1,85 Md$) et la marge s’est améliorée de 0,6 point. Mais entre le deuxième et le troisième trimestre, le chiffre d’affaires est passé de 16,02 à 15,71 Md$ et l’Ebitda de 9,12 à 8,65 Md$ tandis que la marge s’est érodée de 1,8 point.
De quelle hauteur sera la chute ?
L’année 2021 s’était soldée par un chiffre d’affaires de 56 Md$. Sur les trois premiers trimestres de 2022, le groupe CMA CGM a déjà dépassé ce cap avec un chiffre d’affaires de 57,61 Md$ tandis que l’activité maritime (45,29 Md$ en 2021) a engrangé 46,58 Md$ sur les neuf mois.
Dans ce contexte, le quatrième trimestre devient un enjeu. Il sera nettement plus faible, en toute vraisemblance, mais la hauteur de la chute intéresse du monde. Maersk, qui a déjà publié ses résultats, a présenté un Ebitda (résultat opérationnel avant amortissement sur immobilisations) et un Ebit (résultat opérationnel avant impôts) en chute libre de 39,8 et de 46 % entre le troisième et quatrième trimestre.
Hapag-Lloyd a d’ores et déjà annoncé une contraction d'environ 32 % (Ebitda) et 35 % (Ebit) de ses résultats opérationnels par rapport au trimestre précédent.
Dégraissage en deux ans
Quoi qu’il en soit, l’entreprise marseillaise, qui a mis à profit son aisance financière pour se désendetter ces deux dernières années, avait encore dégraissé de 5,3 Md$ entre le 30 juin et 31 octobre.
Á l’issue du premier semestre de l’année, toutes les grandes compagnies avaient remarquablement amélioré leur notation financière notamment en raison de la réduction de l’endettement, avait alors indiqué l’agence de notation internationale Moody’s. C’est le cas de CMA CGM, dont la dette avait été réduite de 40 % selon Moody’s (à la date de juin 2022) depuis l'acquisition de Ceva Logistics en 2019. CMA CGM devrait même dégager 13 Md$ de cash-flow libre en 2022 selon l’agence de notation.
Dividendes à partager en entre-soi
Selon Bloomberg, l’armateur français de porte-conteneurs a procédé au versement de près de 3 Md$ de dividendes en 2022, dont la moitié au titre de l’exercice 2021, et le solde via un acompte au titre de 2022.
En supposant un quatrième trimestre à l’image des trois premiers (il ne le sera pas), l’agence d’informations financières estime que la distribution aux actionnaires au titre de 2022 pourrait être d’environ 2,5 Md$, soit 4 Md$ sur deux ans.
Pour rappel, le groupe français de transport et logistique est détenu à 73 % par la famille Saadé (via la holding familiale Merit), à 24 % par le conglomérat turc Yildirim Holding et à 3 % par Bpifrance. Chez CMA CGM, seuls 10 % des résultats sont distribués aux actionnaires, a garanti Rodolphe Saadé lors de son audition devant les sénateurs, les assurant de réinvestir donc 90 % de ses bénéfices dans le développement de ses activités.
Une valorisation du seul actionnaire, non membre de la famille, de 1 à 7 Md$
La sortie de Yildirim Holding, qui aurait construit sa position dans le capital de l’armateur français à hauteur de 600 M$ investis depuis 2010, fait régulièrement l’objet de spéculations. Ces bruits de fond prêtent à la participation détenue par Robert Yuksel Yildirim une valorisation comprise dans une fourchette élastique de 1,7 à 7 Md$. Le patron du groupe turc avait apporté un soutien crucial à Jacques Saadé lorsqu’il cherchait à restructurer sa dette dans la décennie 2010.
Adeline Descamps