Cela faisait quelques années que le sourire de satisfaction n’avait pas éclairé le visage des armateurs des porte-conteneurs à l’énoncé de leurs résultats financiers. La célébration a fait partie du programme de 2021. Il est attendu que le transport maritime de conteneurs consolide 190 Md$ de bénéfices. Après Maersk, Hapag-Lloyd (résultats partiels), CMA CGM est le dernier des transporteurs européens du Top 5 mondial (MSC ne publie pas ses résultats) à faire part de ses performances annuelles. L’an dernier, le terme n’a pas été un emprunt illégitime.
Le groupe de transport maritime et logistique français a fini l’année sur un Ebitda qui a triplé par rapport à l’an dernier, à 23,1 Md$ dont 8,2 Md$ sur le quatrième trimestre. Il s’est offert une variation à trois chiffres (278,2 %) par rapport à 2020, année qui avait été profitable sur le second semestre. Le chiffre d’affaires est en hausse de 78 %, à près de 56 Md$ et le résultat net ressort à 17,9 Md$. Sur le plan financier, le quatrième trimestre s’est étonnamment mieux comporté que le troisième alors que la congestion portuaire et les tensions logistiques à terre, se matérialisant par un allongement des temps de transit, ont été plus prégnantes à dans certaines parties du monde.
CMA CGM annonce un résultat net de 5,6 Md$ au troisième trimestre
Résultats financiers au 4e trimestre 2021 du groupe CMA CGM
Résultats financiers de l’activité maritime au 4e trimestre 2021
2 055 $/EVP
Les perturbations se lisent dans les volumes transportés, qui durant les trois derniers mois de l’année se sont repliés de 4,3 %. Mais avec 22 MEVP, la compagnie maritime parvient cependant à afficher des trafics en hausse de 5 % sur l’ensemble de l’année. Elle le doit aux taux de fret : le revenu moyen par EVP sur l’année a été de 2 055 $.
Isolée, l’activité maritime a généré un chiffre d’affaires annuel en hausse de 88,5 % par rapport à 2020 pour atteindre 45,3 Md$. Elle reste la vache à lait du groupe en contribuant à 80 % de ses revenus. Fixé à 22,1 Md$, le résultat d'exploitation avant intérêts, impôts et amortissement a quadruplé. La marge progresse de 26,5 points, à 48,7%.
Gros nuages en revanche, les coûts d’exploitation, obérés notamment par le prix du fuel, ont renchéri de 30 %. Les dépenses liées aux opérations ont aussi été plombées par la manutention et l’affrètement dans un contexte où il a fallu dénicher de rares navires pour répondre à une demande inédite. Dans le transport maritime, l’offre et la demande reste une règle d’airain et elle vaut pour toute la chaîne.
CMA CGM a déposé une offre pour acquérir Colis Privé
Logistique toujours sur le chemin du redressement
Enfin, la logistique, dernière jambe du trépied – sa filiale Ceva Logistics – a été portée, comme pour la plupart des grands transitaires, par la dynamique du fret maritime et aérien. Chapeautée par CMA CGM, le commissionnaire suisse acquis à l’automne 2018 va incontestablement mieux, avec des revenus (10,9 Mds), en hausse de 46,9 %.
L'Ebitda reste toutefois encore modeste au regard des autres segments, avec 882 M$ mais en redressement continu, augmentant encore l’an dernier de 43,6 % par rapport à 2020. Néanmoins, la marge d’Ebitda est faible (8,1 %) et a perdu 0,2 points, ce qui dénote une efficacité limitée à réduire ses coûts.
CMA CGM investit 3 Md$ pour se renforcer dans la logistique
47 navires de plus
Le groupe basé à Marseille a mis à profit ses « surplus » pour poursuivre son désendettement qui a encore baissé de 9,2 Md$. CMA CGM, l'un des transporteurs les plus endettés avant la pandémies, aura réduit son endettement de 18 à 7,7 Md$ en deux ans.
Il a également réinvesti une bonne partie de ses profils pour renforcer son outil industriel – 10 Md$ dans sa flotte, en propriété ou en affrètement –, soit 47 navires totalisant 175 000 EVP de capacités tandis que son parc de conteneurs s’est étoffé de 800 000 unités, portant le total à 4,8 MEVP. Le troisième transporteur mondial de conteneurs dispose désormais d’une capacité totale de 3,2 MEVP avec 572 porte-conteneurs (et près de 415 000 EVP en commande), établissant sa part de marché mondiale à 12,8 %, loin derrière Maersk (17,9 %).
CMA CGM revient dans le jeu portuaire à Los Angeles
14 Md$ en acquisitions
Il a en outre fait ses emplettes pour se muscler en amont et en aval dans le cadre de ses ambitions air-terre-mer. Il a ainsi dégagé 14 Md$ pour acquérir le terminal Fenix Marine Services à Los Angeles (portant à 50 le nombre de terminaux portuaires dans lesquels il a des participations), les activités d’Ingram CLS et le spécialiste de la livraison du dernier kilomètre Colis Privé.
Enfin, il a étoffé la flotte de sa toute jeune compagnie aérienne dont la demande de certificat est en cours d’instruction auprès de la DGAC ainsi que le recrutement de 120 pilotes B777F et A330F. Lancée en février 2021, CMA CGM Air Cargo, qui dispose à ce jour de quatre A330-200F, tous en service, devrait réceptionner au printemps 2022 deux B777F neufs et quatre A350F neufs entre 2025 et 2026. Alors qu'elle opérait jusqu'à présent à partir de Liège en s'appuyant sur Air Belgium, elle devrait progressivement basculer ses opérations à Roissy.
Des « gestes commerciaux »
Habillage de communication ou pas, CMA CGM a été l’un des rares armateurs de la classe internationale, avec Hapag-Lloyd, à avoir gelé ses taux de fret spot en septembre et pour une période initialement prévue jusqu’à fin février, qui vient d’être reconduite jusqu’au 30 juin. Certes, les prix avaient déjà atteint les sommets et on n’en connaît pas les conditions (la quasi-totalité des capacités avaient sans doute été vendues au moment de l’annonce). Quoi qu’il en soit, le geste commercial est resté isolé.
Rodolphe Saadé, le PDG du groupe a annoncé, à l’occasion de la présentation des résultats, une nouvelle mesure à l’intention des PME, qui disposeront de capacités dédiées à des conditions habituellement réservées aux grandes comptes sur des services en Europe et en Amérique du Nord : « Dans un contexte de tensions persistantes sur les chaînes logistiques mondiales, particulièrement difficiles pour les PME, nous avons décidé d'allouer une capacité dédiée à bord de nos navires, sur les marchés où les tensions sont les plus fortes (Europe, Amérique du Nord) à un tarif négocié́ habituellement accessible uniquement avec des engagements de volumes beaucoup plus importants ». La société n’a pas donné suite à nos demandes de précisions.
Les « petits clients » ont été particulièrement lésés l’an dernier, n’ayant pas d’autre choix que d’acheter leur transport au prix le plus fort – celui négocié sur une base quotidienne avec une validité de moins de 30 jours –, quand les plus grandes entreprises ont pu mieux maîtriser leurs coûts, étant liés avec les armateurs par des contrats en volume et sur le long terme.
Adeline Descamps
« Attentif à l'évolution de la situation géopolitique actuelle »
Comme la plupart des grands transporteurs maritimes, CMA CGM a annoncé le 4 mars avoir suspendu ses réservations et ses rotations vers la Biélorussie après avoir fait de même vers la Russie le 3 mars tandis que les ports ukrainiens sont fermés depuis le début du conflit armé. La région ne pèse que 600 000 EVP pour l’armateur français (sur les 22 MEVP). Mais la situation met une pression supplémentaire sur les chaînes d’approvisionnement, déjà à un niveau critique. La géopolitique est en revanche un paramètre d’influence pour le transport maritime. Elle met l’ensemble du secteur sur le qui-vive.