Dans un contexte de bénéfices records enregistrés par les armateurs de porte-conteneurs (en l’occurrence, 4,57 Md$ d’Ebitda pour CMA CGM) mais de fiabilité des transit time catastrophique (qui conduise à annuler des départs et à sauter des escales), de taux de fret dont on ne compte plus le nombre de semaines de hausse consécutive (près de la vingtaine), de congestion portuaire critique qui bloque les navires dans des files d'attente surréalistes et oblige les opérateurs à déployer toujours plus de navires qui manquent, d’agacement des chargeurs, dont les coûts de transport ont littéralement explosé, de pression de la part des autorités de réglementation sur les compagnies maritimes soupçonnées du « pire » commercial… CMA CGM siffle la fin de partie et donne un coup de canif.
Dans une note à sa clientèle, plus habituée aux annonces « surcharges » qu’à une décision de blocage des prix, le groupe français indique qu’à compter du 9 septembre et jusqu’au 1er février 2022, il bloque toute hausse des taux de fret sur le marché spot. La décision s’applique à l’ensemble des services opérés par ses marques (CMA CGM, CNC, Containerships, Mercosul, ANL, APL). Une annonce curieuse alors que CMA CGM a probablement déjà vendu la quasi-totalité de sa capacité pour cette période.
États-Unis : l'environnement réglementaire se durcit pour le transport maritime
Colmater les brèches
« Le groupe souhaite privilégier une relation de long terme avec ses clients face à une situation inédite pour le transport maritime », indique-t-il dans sa note commerciale.
L’armateur français répète en outre qu’il a investi « massivement » depuis la fin de l’année dernière pour renforcer ses capacités (14 nouveaux navires en propriété et 32 navires d’occasion prévus en 2021) alors qu’il a déjà réceptionné depuis janvier 24 porte-conteneurs dont 9 nouveaux navires (parmi lesquels les cinq derniers de 23 000 EVP au GNL) et 15 d’occasion. Pour pallier la pénurie de conteneurs, 520 000 boîtes ont étoffé son parc en un an, à fin juin.
Le groupe CMA CGM a réalisé 12,4 Md$ de chiffre d'affaires au deuxième trimestre 2021
Cercle vicieux
Aux questions qui se posent inévitablement, le groupe n’a pas pour l’instant répondu. Les compagnies goûtent peu en général à la curiosité portant sur leur stratégie relative aux contrats à long terme (dont les prix augmentent aussi mais sans commune mesure avec le spot), au comptant (la répartition de la capacité allouée questionne) ou aux négociations « premium », dont les engagements ne seraient plus assurés, ce dont aucun grand chargeur ne semble se plaindre aujourd’hui. Ou du moins publiquement.
Seuls les vendeurs de Décathlon, qui n’est pas a priori un client de CMA CGM, mais qui a une bonne partie de son transport en contrat avec Maersk, justifie la hausse des prix en magasin par celle des coûts de transport. Mais au niveau de la direction, personne ne fait entendre sa voix sur la démesure des tarifs.
Décision tardive, isolée et partielle ?
De leur côté, les chargeurs auront beau jeu en effet de trouver la décision tardive, isolée (à moins que la compagnie oblige ses rivaux à s’inscrire dans ses pas) et partielle alors que « le mal est fait » et que les taux de fret ne sont qu’une partie du mix prix.
Force est de reconnaître qu'après des années où le transport d’un conteneur se monnayait à vil prix, le marché qui s'est retourné place les transporteurs dans une position de force pour imposer leurs conditions. De la même façon qu’ils se trouvent eux-mêmes « arrosés » par les affréteurs de navires qui n’hésitent pas à faire payer 77 000 $/j un porte-conteneur de 3 500 EVP ou 115 000 $/j pour un 8 000 EVP (source : Harper Petersen) tout en allongeant les durées des contrats.
Réveil en 2023
Selon le Bimco, une des principales associations mondiales d’exploitants de navires, le marché des conteneurs restera fort jusqu'en 2022. « Même si la demande des consommateurs pour les marchandises conteneurisées commence à s'atténuer, il y aura beaucoup de travail à faire pour résorber l'arriéré qui s'est accumulé au cours des derniers mois, et de nombreux stocks qui devront être réapprovisionnés. Le véritable test pour le marché du transport maritime par conteneurs aura probablement lieu en 2023, lorsque les commandes massives passées depuis le début de l’année se solderont pas des livraisons.»
Entretien avec Olivier Nivoix, directeur de lignes CMA CGM
Retards des navires en retard
En attendant, le SCFI - le baromètre des prix au comptant - a encore augmenté de 65,51 points pour atteindre un nouveau sommet historique de 4502,65 points.
Chaque nouveau choc (fermeture du canal de Suez, des ports chinois de Yantian et Ningbo) et revers (fermetures d'usines au Vietnam) déclenchent une nouvelle série de problèmes aux conséquences mondiales sur l’approvisionnement, que ce soit des grandes marques du prêt-à-porter ou des intrants destinés aux secteurs électronique ou automobile.
« En raison de la congestion des ports, moins de la moitié des navires dans le monde sont arrivés à l'heure prévue jusqu'en 2021, et les retards des navires en retard ajoutent systématiquement plus d'une semaine aux délais de livraison », rappelle un analyste de ING.
La question du retour à un transport maritime de marchandises sans heurts reste posée et elle a toujours un franc succès.
Adeline Descamps