Le conteneur est bien parti pour pulvériser tous les records – ceux qui honorent et ceux qui discréditent – en termes de demande de transport (inédite), de bénéfices des compagnies (en milliards de dollars), de taux de fret (historiques), de volumes transportés (surtout sur le transpacifique), de navires et de conteneurs mobilisés là où ils ne sont pas utiles (à l’ancre et sur les quais), de retards des navires et d’aberrations (des blank sailing alors que la demande explose)...
Spectaculaire, l’année le sera aussi en termes de prises de commande effectuées en huit mois : 381 unités pour 3,44 MEVP, soit plus que la capacité alignée par les 540 navires de CMA CGM. Cette donnée est à mettre en regard avec les 619 porte-conteneurs inscrits dans les plannings des constructeurs. Toutefois, les 5,3 MEVP du carnet de commandes total sont encore loin des 6,8 MEVP signés à la fin de juillet 2008.
Fanatisme pour les 16 000 EVP
Selon les données du Bimco, association professionnelle la plus représentative des exploitants de navires tous segments confondus, les 16 000 EVP, ces navires plus flexibles dans les opérations que les plus grandes unités, ont la côte. Elles ont représenté 60 des 381 prises de commandes. Cinq armateurs en ont absorbé une trentaine.
L’intérêt pour la course à l’EVP s’émousse paradoxalement alors que le début de l’année dénotait d’une certaine passion : 14 porte-conteneurs de 24 000-24 100 EVP avaient été contractés en février. Ajouté aux huit unités passées en juin, les 23 500-24 000 EVP ne totalisaient à l’issue des six premiers mois de l’année « que » 22 navires. Faut-il y voir un effet Ever Given dont les 20 388 EVP coincés dans le canal ont mis en évidence l'impact qu'une rupture de la chaîne d'approvisionnement pouvait avoir sur le commerce mondial ?
Dans cette catégorie, qu’Alphaliner appelle les MGX-24 (MGX pour mégamax), la flotte de navires existants et le carnet de commandes confirmé additionnent actuellement 93 navires, soit une capacité de 4,3 MEVP à la fin de 2024 (dans l’état actuel des commandes) sur les 31,35 MEVP que représentera alors la flotte mondiale.
Si seulement six unités de cette taille doivent entrer en service en 2022, une trentaine sortiront des cales en 2023 et 13 en 2024.
Fin de règne en seulement six ans
Quoi qu’il en soit, la génération des -24 a détrôné en seulement six ans (2013-2019) celle des MGX-23, qui présentent des charges nominales allant de 18 000 à jusqu'à 21 000 EVP. L’Ever Greet (20 244 EVP), livré en octobre 2019, était le dernier d’entre eux. Depuis la livraison du premier, le Maersk Mac-Kinney Moller en juin 2013, 105 porte-conteneurs ont rejoint la flotte mondiale.
Chassés par plus plus grands qu’eux, ils ont tracé le sillon pour des superjumbos de 23 112 à 24 232 EVP. L'Ever Ace (23 992 EVP), qui vient d’être livré, est l’un d’entre eux. Il est identifié comme l’actuel plus grand porte-conteneurs au monde, terrassant le HMM Algésiras et ses 23 792 EVP. Mais les initiés du secteur savent que ce statut n’a plus beaucoup de sens.
Carnet de livraison des plus de 20 000 EVP (source : IHS Markit)
Des générations initialement positionnées sur la ligne Asie-Europe
« Si l'on tient compte de considérations réelles telles que le poids des conteneurs, les marchandises dangereuses, les charges hors gabarit et d'autres facteurs, la plupart atteindront effectivement des charges presque identiques, confirme Alphaliner. Les seuls navires dont la capacité est nettement inférieure à la réalité sont ceux au GNL. Mais les progrès réalisés dans la conception des navires permettent néanmoins d'atténuer une partie de la perte de capacité ».
Les cuves au GNL mordent en effet sur les cales des navires qu’elles amputent à hauteur de 500 EVP.
Ces deux dernières générations sont dédiées au trade Asie-Europe, chassant un peu plus les néo-panamax de 15 000 EVP vers les services transpacifiques, Asie-Moyen-Orient, Amérique du Sud voire l’Afrique dans un avenir proche, prédit le spécialiste de la ligne régulière Alphaliner.
Recours aux scrubbers
L’empreinte carbone est sans doute une préoccupation des armateurs mais en attendant, dans les commandes, la prudence impose le recours massif aux scrubbers.
Pour cause, ces pots catalytiques géants positionnés sur les cheminées des navires permettent de traiter les pollutions réglementées (NOx, SOx, particules fines) mais tout en consommant du fuel à forte teneur en soufre (HFO). Le coût d'investissement de l'équipement, qui peut atteindre 8 M$ pour un mégamax, est plus rapidement amorti quand le différentiel de prix entre le HFO et son équivalent à moindre teneur en soufre est supérieur à 100 $.
Durant l’année 2020, avec la déroute des marchés pétroliers, l’écart s’était considérablement réduit. Mais le pétrole ayant repris de la vigueur, du moins dans les prix grâce à une gestion au cordeau de la production, le HFO est actuellement coté à 430 $ la tonne à Singapour pour 530 $ pour VLSFO.
Le Bimco a recensé, parmi les 168 nouvelles commandes d'au moins 11 800 EVP, 117 en seront équipés.
Pour rappel dans la flotte existante, selon un bilan établi par Alphaliner, 85 porte-conteneurs ont été dotés de dispositifs d’épuration des gaz contre 250 à l’issue des six premiers mois de l’année 2020. Au total, le nombre de porte-conteneurs appareillés atteint les 816 unités totalisant 7,10 MEVP. MSC en est un grand adepte : 46 % de sa flotte « gréés » avec ces objets encombrants (soit 185 navires et 1,84 MEVP). Cosco n’en est pas fan avec seulement 10 %.
34 unités « ready LNG »
Parmi les 168 nouvelles commandes d'au moins 11 800 EVP, il y en aura aussi une trentaine à double motorisation (avec le GNL), ce qui peut renchérir le coût de construction de 10 %, tandis que 34 unités seront livrées « ready LNG », prêts à opérer au GNL dès le premier jour de la mise en service.
Ce faisant, le nombre de navires au GNL en commande a désormais atteint les 71 unités pour une capacité de 1,1 MEVP, soit 22 % de la capacité en cours de construction. Pour mémoire, 23 navires au GNL représentant 265 000 EVP sont aujourd’hui en service. Dix-sept d’entre eux sont la propriété de CMA CGM ! Les 1,5 MEVP commandés jusqu’à présent cette année doivent être livrés entre 2023 et 2024. En 2024, le bataillon au GNL devrait représente une force de 2,15 MEVP, selon le Bimco.
Des inconditionnels absolus du GNL
Jusqu'à présent, deux transporteurs ont opté pour des très grands navires au GNL : CMA CGM (9 en service) et Hapag-Lloyd (12 en commande). MSC serait en outre en pourparlers avec des chantiers navals pour que certaines de ses commandes de MGX-24 soient adaptées à la propulsion au GNL.
En 2023, la flotte mondiale de porte-conteneurs devrait atteindre 31,35 MEVP et la dernière génération des titans des mers, les mastodontes, pèsera 13 % du total. Guère plus que les 12 % actuels.
Adeline Descamps
Les mégamax par grandes alliances (source : Alphaliner)
{{ENC:1}}