Augmentation spectaculaire des taux de fret en mai

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L’envolée des taux de fret durant le mois de mai a pris tous les acteurs par surprise. Elle s’accompagne de l’arrivée précoce de la haute saison et d’un retour de la congestion dans certains ports clés. Effets d'anticipation des chargeurs ? Relance de la demande ? Conséquences du déroutement des navires ? Offre temporaire limitée ?

L’arrivée précoce de la saison de pointe, le retour de la congestion dans certains ports clés, la persistance des attaques contre les navires marchands en mer rouge, le grand tour contraint des navires par le cap de Bonne Espérance, les tensions commerciales croissantes entre la Chine et les États-Unis, la guerre sans fin en mer Noire … tous ces éléments ont eu raison de l’atonie des taux de fret dont la bulle avait éclaté il y a un an après deux ans de cavalcade.

Le transport maritime est connu pour sa capacité à s'autoréguler et à trouver des solutions optimales en cas de dérèglements. La coupe des perturbations déborde et les tarifs s’échauffent à nouveau.

Depuis la mi-mai, le Shanghai Containerized Freight Index (SCFI), qui mesure les prix au comptant du fret au départ de Shanghai vers un certain nombre de destinations dans le monde, grimpe chaque semaine : de 16 % en milieu de mois puis de 7,2 % et dans sa dernière édition, il fait état d’un nouvel accès de 12,6 % pour atteindre 3 044,77 points, son plus haut niveau depuis août 2022.

Selon le prisme, le lecteur pourra se dire qu’il y a encore 2 000 points d’écart d’avec le très haut niveau (5 109,60 points la première semaine de 2022) ou s’effrayer du fait que les prix voisinent à nouveau avec des niveaux enregistrés en 2022, année marquée au fer rouge pour les prix du transport, avec celle de 2021.

3 323 $ en moyenne, 1 420 $ en 2019

L'indice mondial des conteneurs établi par Drewry fait valoir, de son côté, un bond de 151 % par rapport à la même période il y a un an bien qu’il n’ait augmenté en moyenne que de 4 % au cours de cette dernière semaine de mai pour s’établir à 4 226 $ par conteneur de 40 pieds (FEU, forty equivalent unit). Avant la pandémie, en 2019, le même indice cotait à 1 420 $...

Depuis le début d’année, le prix moyen pour transporteur un conteneur, tous trade confondus, s’est élevé à 3 323 $ par FEU.

Anomalie sur le transpacifique

Toutes les routes en profitent depuis l’Est. Sur le transpacifique, la hausse est plus forte côté à l'est qu’à l’ouest des côtes américaines : les taux de fret de Shanghai à New York ont augmenté cette semaine de 6 %, se renchérissant de 372 $ pour atteindre 6 835 $ par conteneur de 40 pieds. Du premier port mondial jusqu’à Los Angeles, les prix n’ont augmenté « que » de 113 $ (+ 2 %), soit 5 390 $/FEU.

Ce marché ne devrait en principe pas être concerné par l’envolée des taux de fret si cette dernière est liée au déroutement des navires du canal de Suez car les porte-conteneurs entre l’Asie et les États-Unis ne transitent par l’isthme égyptien. En revanche, les restrictions maintenues pendant des mois à Panama en raison d’un déficit hydrique (situation en train de se rétablir, mais toujours en deçà de sa pleine capacité) expliquent les majorations sur la façade est-américaine.

271 $ de plus vers Rotterdam

Vers l’Europe du Nord, la poussée est notable : 271 $ de plus pour une boîte transportée jusqu’à Rotterdam, ce qui porte le prix moyen du transport à 5 270 $. Sans surprise, les tarifs de Rotterdam à Shanghai ne connaissent pas la même envolée (+ 1 %) ni la même facture (677 $ par boîte de 40 pieds).

La Méditerranée s’échauffe aussi : il en coûte 199 $ de plus pour Gênes depuis Shanghai, soit près de 5 700 $. Dans l’autre sens – de Rotterdam à New York, de Los Angeles à Shanghai ou de New York à Rotterdam –, la stabilité est de mise.

Nouvel accès de fièvre début juin

« Le marché du transport maritime de conteneurs a connu des augmentations rapides et spectaculaires au cours du mois de mai et cela devrait se poursuivre avec une nouvelle croissance des taux spot », soutient Peter Sand, analyste en chef de Xeneta, pour lequel il y a encore trop d’incertitudes et de perturbations au niveau mondial pour assagir les marchés. Cependant, la rapidité et l'ampleur du récent pic semble avoir pris le marché par surprise, « y compris les PDG des plus grandes compagnies de fret maritime ».

Selon les calculs de la plateforme d'analyse comparative des taux de fret, une nouvelle hausse est attendue en ce début du mois de juin. De l’Asie à la côte ouest des États-Unis, les taux spot moyens du marché devraient atteindre 5 170 $/FEU dès le 1er juin, du jamais atteint depuis 640 jours.

Xeneta confirme la valorisation plus forte pour la côte Est, à 6 250 $ le 1er juin (+ 50 % depuis le 29 avril).

Vers l'Europe du Nord depuis l’Asie, les tarifs sont estimés par la société à 5 280 $/FEU, soit + 63 % depuis fin avril, et à 6175 $ vers la Méditerranée, où les taux spot ont doublé en un mois.

En témoignent les annonces successives des compagnies sur l'application de Peak Season Surcharge (PSS) pour la mi-juin : + 1000 $/FEU sur Asie-Méditerranée pour CMA CGM et sur tous les trades Asie-Europe pour Hapag-Lloyd.

Des effets d'anticipation des chargeurs

« Certaines entreprises nous disent qu'elles expédient déjà en mai des marchandises destinées à la période de Noël », justifie Peter Sand.

Le spécialiste de ce secteur, familier des exploitants de navires pour avoir travaillé au Bimco, y voit des mesures de précaution de la part des chargeurs et importateurs, nourris de l’expérience pandémique qui a mis leurs stocks en permanence en danger.

La menace d'un nouveau régime tarifaire strict outre-Atlantique, combinée à la crainte d'une action syndicale dans les ports de la côte Est qui emploie 45 000 dockers, ont pu par ailleurs influencer le calendrier des importateurs américains. Le contrat entre les employeurs des ports concernés (USMX) et l'Association internationale des dockers (ILA) expire le 30 septembre, en plein milieu de la traditionnelle saison de pointe du troisième trimestre outre-Atlantique.

Pour l’instant, la hausse des droits de douane américains a concerné des biens qui ne touchent qu’à la marge le transport maritime de conteneurs mais les deux candidats en lice pour la Maison Blanche ont en commun un fort tropisme pour le protectionnisme. Joe Biden est passé à l’acte tandis que l'ancien président américain Donald Trump a promis un tarif de base universel de 10 % sur tous les produits importés, et des droits de douane de plus de 60 % sur les importations de produits chinois, s'il remporte l'élection en novembre.

Ces effets peuvent expliquer en partie le retour de la congestion dans certains ports mais les arbitrages des compagnies ont aussi joué un rôle, notamment parce qu’elles ont augmenté leurs transbordements en Méditerranée occidentale ainsi qu'en Asie du fait du déroutement.

Plein emploi pour les navires

Avec l’allongement des distances – 11 758 milles nautiques par Bonne Espérance ; 8 301 mn via la mer Rouge, soit dix jours de plus selon la vitesse de navigation –, les porte-conteneurs ne connaissent pas le chômage.

« Le nombre de navires commercialement inactifs, qui était déjà faible ces derniers mois, a encore diminué au cours de la seconde moitié du mois de mai. Ils ne représentent plus que 0,4 % de la flotte totale, relève Alphaliner dans sa dernière note. La dernière fois que le marché a connu un niveau d'inactivité aussi bas, c'était en février 2022, lorsque les transporteurs ont déployé tous les navires disponibles pour profiter des taux de fret élevés des conteneurs après la pandémie ».

L’analyste considère aussi que la saison de pointe a commencé tôt cette année, « probablement parce que les importateurs anticipent les retards de la chaîne d'approvisionnement et les pénuries d'équipement. La forte demande de fret devrait donc maintenir la demande de tonnage à un niveau élevé dans les mois à venir », estime-t-il.

Plus de navires disponibles à l'affrètement

Le reroutage profite aussi au marché de l'affrètement de navires, l'offre étant à peine capable de répondre à la forte demande.

Les propriétaires non exploitants (NOO) obtenant des taux de plus en plus élevés, l'indice d'affrètement Alphaliner (ACI) est à son plus haut depuis octobre 2022 et 60 % au-dessus de son niveau de décembre 2023. « L'offre reste tendue dans tous les domaines, en particulier dans les grandes tailles, ce qui est étonnant compte tenu de la livraison ininterrompue de tonnage de construction neuve », précise le spécialiste de la ligne régulière basé à Paris.

Faut-il faire un lien entre la situation et le retour du NOO Seaspan sur le marché de la construction après s'être tenu à l'écart du secteur pendant près de trois ans. Le fréteur de navires a signé pour dix porte-conteneurs moyennant, selon les sources, six unités de 13 000 EVP à double motorisation avec le GNL avec le constructeur public chinois Hudong-Zhonghua et quatre de 9 000 EVP à double carburant au méthanol avec le chantier privé Yangzijiang. Tous font déjà l'objet d'un contrat d'affrètement : ONE aurait réservé ceux au GNL et Maersk les autres au méthanol, selon les rumeurs des chantiers.

Inflation maîtrisée ?

La situation peut aussi refléter le fait que certaines économies semblent venir à bout de l’inflation qui paralyse la consommation. « Aux États-Unis, l'indice des prix à la consommation (IPC) se rapproche de l'objectif de 2 % fixé par la Réserve fédérale, relève le courtier maritime Xclusiv. Dans le même temps, l'Union européenne a bénéficié d'une inflation encore plus faible, se maintenant à 2,4 % en glissement annuel par rapport au mois de mars. Cette amélioration significative par rapport aux sommets de près de 10 % atteints en 2022 suggère une maîtrise réussie de l'inflation ».

« L'indice PMI manufacturier américain est resté au-dessus de 50 pendant cinq mois consécutifs. Celui de la zone euro a rebondi à 47,4 en mai, son plus haut de 15 mois », relève l'agence de notation Fitch Ratings.

En Chine, dont tout dépend, « l’environnement économique est plus stagnant ». En mai, l'activité manufacturière chinoise en mai stagne, renforçant la nature fragile de la reprise dans la deuxième économie mondiale.

Témoignant toutefois de la dynamique américaine, les volumes de marchandises traités dans les ports chinois ont augmenté de 6,1 % au cours du premier trimestre par rapport à il y a un an et les conteneurs manutentionnés dans huit des ports principaux, de 10 %.

Retour du roll-over ?

Les chargeurs qui ont signé des contrats à long terme en début d’année pour les lignes Est-Ouest et en avril pour le transpacifique doivent sans doute suivre la situation avec attention et peut-être angoisse. Selon Xeneta, certains conteneurs auraient déjà fait l’objet de rollovers faute de place.

« Les tarifs moins élevés, acquittés dans le cadre de contrats à long terme, risquent d'être laissées au port. Nous constatons également que les transitaires sont frappés par de nouvelles surtaxes et qu'ils sont poussés à recourir à des services premium pour avoir de l'espace garanti à bord des navires », assure la société. Comme un air de déjà-vu, soupirent certains.

Dire que dans les mois qui ont précédé le terme de leur contrat de transport, les chargeurs ont joué la montre, reculant jusqu'à la dernière limite la signature, pour obtenir les prix (contractuels) les plus bas alors que les transporteurs tentaient par tous les moyens de maintenir les taux (spot) au plus haut pour garder la main sur les tractations…

Quoi qu’il en soit, l’arbitre demeure la terrible main du marché, à savoir l’équilibre entre l’offre et la demande. Le secteur doit absorber 2 MEVP correspondant aux porte-conteneurs neufs à livrer cette année alors qu’elle en déjà servi pour 1 MEVP.

Selon Linerlytica, 2 MEVP est précisément le volume actuellement immobilisé dans les goulets d'étrangements portuaires.

La durée de l'envolée des taux de fret, qui pourrait potentiellement se prolonger jusqu'à la fin de la haute saison en octobre, compte tenu de la forte demande de marchandises et de la crise en mer Rouge qui s'ancre, reste menacée par le raz-de-marée de navires. Et les armateurs à nouveau rattrapés par leur vieux démon pour avoir pêché par excès de confiance : l'achat de navires.

Adeline Descamps

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