G7/Union européenne : les pratiques de camouflage dans le collimateur des nouvelles sanctions contre la Russie

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Rendre plus difficile le contournement du plafonnement de pétrole, exiger des preuves sur les transactions, maîtriser l'expansion des navires clandestins, mettre la pression sur les pavillons, réglementer les ventes de pétroliers à l'étranger, s'attaquer aux négociants... Le G7 et l’UE viennent, chacun de leur côté, de renforcer leur arsenal punitif contre la Russie. Quatrième paquet de sanctions pour le G7, douzième pour l’UE.

Depuis que la Russie a envahi l'Ukraine, une pluie de sanctions, censées paralyser son économie, s'est abattue sur le pays de Vladimir Poutine. Le chiffre incroyable de 15 242 est avancé. S'il était avéré, l'agresseur de l'Ukraine aurait fait l'objet d'autant de mesures d'embargo que celles qui ont visé l'Iran en dix ans.

De façon concertée ou pas, la coalition internationale, formée par les pays du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni + Union européenne) et l'Australie d'un côté, et les États membres de l’UE de l'autre viennent, chacun, de renforcer leur arsenal punitif, la quatrième vague de sanctions pour le groupe des sept pays industrialisés et le douzième train pour l’UE.

Le G7 reste arc-bouté sur son dispositif d'équilibre acrobatique de plafonnement du baril russe, étudié pour priver la Russie d’une partie de ses ressources pétrolières sans assécher les marchés internationaux pour ne pas provoquer un choc sur les prix.

Les pays européens ciblent plus large mais ont surtout dans le viseur les pratiques de camouflage sous toutes ses formes, qu’il s’agisse du masquage des mouvements des pétroliers avec le brouillage de leur système de suivi (AIS), de dissimulation de l'origine ou de la destination de la cargaison par de multiples transferts (STS) ou de l'occultation du véritable prix de vente du pétrole par la facturation de frais supplémentaires (manipulation des coûts d'expédition et des coûts auxiliaires, y compris d'expédition, de fret, de douane et d'assurance).

Corriger les défauts des sanctions

Cherchant à corriger les défauts du mécanisme de plafonnement des prix du pétrole russe transporté par mer, dont la pertinence et l'efficacité sont questionnées, les États-Unis, chef de file au sein de la coalition, ont annoncé la semaine dernière des aménagements qui devraient rendre plus difficile le contournement du dispositif par les exportateurs russes de pétrole.

Pour rappel, mis en œuvre depuis octobre 2022, le mécanisme fixe un prix à plusieurs produits pétroliers visés (60 $ par baril de pétrole, 100 $ pour le diesel et le kérosène et de 45 $ pour le naphta et le fuel), limite au-delà de laquelle les entreprises occidentales ne peuvent pas légalement fournir des services maritimes, qu’il s’agisse du transport, de la certification/classification des navires, de leur assurance, ou encore du paiement des échanges internationaux.

Fournir la preuve

La coalition internationale exigera bientôt des prestataires de services maritimes occidentaux qu'ils obtiennent de leurs contreparties des déclarations attestant que le pétrole russe a été vendu dans le cadre du plafonnement à chaque fois qu'ils le transportent ou le chargent, a indiqué le département du Trésor dans un communiqué.

En octobre dernier, pour la première fois depuis l'instauration de la mesure, l'Office of Foreign Assets Control (OFAC), organisme de contrôle des avoirs étrangers (relevant du Trésor américain), avait donné un premier coup de semonce en épinglant plusieurs pétroliers pour avoir transporté des références russes vendues à un prix supérieur au plafond (barrière franchie durant l'été) tout en utilisant des services américains.

Les aframax et suezmax impliqués dans ce commerce (Yasa Golden Bosphorus, SCF Primorye, Kazan, Ligovsky Prospect, et NS Century) ne sont pas, au premier niveau, détenus, gérés et/ou exploités par des compagnies russes mais qui relèvent néanmoins, via des montages sophistiqués de sociétés-écrans, d'intérêts affiliés à la Russie, selon le Trésor américain.

Le suezmax SCF Primorye appartient par exemple à une société basée au Libéria, Lumber Marine, mais est géré par Sun Ship Management, filiale de la compagnie pétrolière d'État russe, Sovcomflot. Aussi, pour certains des pétroliers pris en flagrant délit de violation du plafond, les pavillons enregistrés – les Îles Marshall et le Libéria –, sont gérés par des sociétés de droit américain et l'assurance fournie par la place de Londres.

Pression sur les pavillons

Les États-Unis, l'Union européenne et le Royaume-Uni font par ailleurs pression sur le Liberia, les Îles Marshall et le Panama, pour qu'ils renforcent leur surveillance.

D'après plusieurs analystes, les trois plus grands registres d'immatriculation des navires auraient autorisé certains de ces navires à battre leur pavillon. Cette pratique, connue sous le nom de flag hopping permet à certaines sociétés fictives créées pour le commerce du pétrole russe de naviguer avec des navires battant leur pavillon tout en échappant aux sanctions.

Selon la Lloyd's List Intelligence, près de 40 % des quelque 535 pétroliers de la flotte naviguant de façon opaque, sont détenus par des sociétés constituées dans les Îles Marshall.

Cibler les négociants

La dernière action en date du G7 allonge sa liste d'indésirables. Pour la première fois, le géant du transport maritime russe, Sovcomflot, propriété de l'État, n'est plus le seul à être reprouvé. L'un des principaux gestionnaires de la société, Sun Ship Management, basé aux Émirats arabes unis, est à son tour blâmé.

Les pays du bloc occidental visent en outre plusieurs négociants/exportateurs en pétrole, dont les structures de propriété sont opaques, et qui sont devenus des « participants fréquents au transport maritime du pétrole produit par les grandes compagnies pétrolières russes ». Le ministère des Finances américain indique que ces sociétés sont responsables du transport de près de la moitié des exportations de pétrole de la Russie.

Parmi elles, des entités basées à Hong Kong, telles que Covart Energy, associée à l'affrètement de trois navires, le HS Atlantica, le NS Champion et le Viktor Bakaev. Ces navires, ainsi que leurs gestionnaires basés à Dubaï, ont déjà été placés sur la liste rouge américaine dans le cadre d'une précédente série de sanctions relatives au plafonnement des prix.

Selon l'administration de Joe Biden, Covart a géré au moins 23 escales en Russie depuis que le plafonnement des prix a été imposé. Un des navires dont il est le propriétaire depuis décembre 2022, le Sanar 15 (7 000 tpl), opère dans la région de la mer Noire à partir de Roston-sur-le-Don et est identifié comme ayant largement participé à ce trafic.

Mais le plus gros exportateur, avec plus de 150 escales dans un port russe assurées depuis l'instauration du dispositif, est le négociant Bellatrix Energy, également enregistrée à Hong Kong. Une troisième société, Voliton DMCC, dont le siège est aux Émirats arabes unis, figure également sur la liste pour avoir géré au moins huit escales depuis juin 2023.

Le plafonnement des prix a contraint une grande partie des exportations maritimes de la Russie à se tourner vers d'autres acheteurs en Chine et en Inde, qui ont permis de compenser en volumes, mais pas en valeur, selon le bloc occidental. 

Les revenus que la Russie tire de l'exportation de pétrole et produits pétroliers, principale source de revenus de la Russie, ont été réduits d'un tiers en 2023 par rapport à 2022, assure-t-elle.

Maîtriser l'expansion de la flotte obscure

Un an après avoir mis en œuvre un embargo contre les exportations maritimes de pétrole, l'UE avait annoncé en juin que les navires engagés dans des transferts de navire à navire (STS) en vue d'enfreindre les sanctions liées à la Russie, seraient interdits d'accès à l'Union. Mais aucune application n'a été signalée jusqu'à présent.

Dans le douzième train de sanctions, qu’il vient de publier, le législateur européen s'y attaque plus formellement. Le phénomène n'a rien de marginal, étant donné le grand nombre de navires et d'entreprises concernés. Le nombre de ces opérations a atteint 792 au niveau mondial au troisième trimestre, contre 615 entre avril et juin, selon les données de Commodities at Sea (cf.plus bas).

Le phénomène est largement documenté. Pour assurer ses expéditions, la Russie s'est tournée vers une flotte appelée « obscure » ou « fantôme », car opérée par des structures d'entreprise conçues pour dissimuler leurs propriétés réelles, avec des navires battant pavillon de registres ouverts et assurés par des souscripteurs n'appartenant pas au Groupe international des P&I Clubs.

Ce bataillon s'est constitué en un temps record grâce à la vente de navires (de propriété occidentale) de seconde main par des compagnies européennes qui y ont réalisé des bénéfices exceptionnels.

Réglementer les ventes de pétroliers à l'étranger

Pour maîtriser cette expansion, le Conseil européen introduit des « règles de notification » pour les ventes de pétroliers à l'étranger.

Ces transactions devront dorénavant être notifiées aux autorités nationales et les ventes « à des personnes et entités russes ou en vue d'une utilisation en Russie », seront soumises à une autorisation. « Cette mesure nous permettra d'améliorer notre surveillance de ces navires et d'accroître la transparence de ce marché », indique le document européen.

Les États membres ont aussi désormais pour obligation de partager des informations entre eux et avec la Commission, via l'Agence européenne pour la sécurité maritime, afin d'identifier les navires et les entités qui se livrent à des transferts de navire à navire.

Pour remédier à la dissimulation du « véritable » prix du pétrole en masquant les coûts auxiliaires, l’UE introduit l'obligation, « après une période de transition », de partager « sur demande les informations détaillées sur la tarification tout au long de la chaîne d'approvisionnement du commerce du pétrole russe ».

Au total, l'ensemble des mesures restrictives à l'importation prévues dans le 12e paquet affecteront le commerce extérieur de la Russie vers l'UE, à hauteur de quelque 4,5 Md$, soutient Bruxelles. Une donnée à mettre en perspective avec l’apport des pays membres de l'UE aux finances russes en 2023, estimé à 6 Md€.

Adeline Descamps

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