Une rentrée sociale portuaire compliquée dans plusieurs pays

Port de Hambourg (image d'archive)

Port de Hambourg en mars 2023 (image d'archive)

Appels à la grève illimitée, grèves dites d'avertissement, menaces chroniques... à plusieurs endroits du globe, l'actualité est aux cycles de négociations contractuelles entre dockers et manutentionnaires autour de revendications assez universelles, portant sur les salaires, les avantages sociaux et les conditions de travail.

La rentrée sociale de l’année 2022 avait été particulièrement musclée. Celle de 2024 s’annonce tout aussi nerveuse dans plusieurs ports dans le monde.
Les trafics devraient être perturbés par les conflits sociaux au cours du second semestre, l'actualité étant ici et là aux cycles de négociations contractuelles (pour certains, les premiers depuis la pandémie) autour de revendications assez universelles, portant sur les salaires, les avantages sociaux et les conditions de travail (demande d’allègement de la charge).

Le sentiment tenace d’avoir « beaucoup donné » voire d’avoir « risqué sa vie » pour maintenir la chaîne d'approvisionnement alors qu’une pandémie sévissait est aussi largement partagé. Les centrales syndicales réclament un retour de manivelle à l'heure où l’inflation mord dans les salaires, estimant par ailleurs que les entreprises en ont les moyens après avoir rempli les caisses ces dernières années.

Les débrayages ont tourné court à Fremantle, port clé de l'ouest australien, où un accord trouvé in extremis a permis de désamorcer le second débrayage programmé pour fin août. Elles restent plus que jamais menaçantes outre-Rhin, où la rentrée post-estivale est souvent propice aux manifestations d'humeur. Ce fut le cas à l'automne 2022 où en cumulé, les ports auront été suspendus pendant 80 heures par des grèves dites « d’avertissement ». En vertu du droit du travail allemand, le syndicat est libre de déclencher ces mouvements de courte durée sans procéder à chaque fois à un vote requérant la majorité absolue.

Climat explosif en Allemagne

Le puissant syndicat allemand Ver.di (11 500 employés dans les ports allemands de la mer du Nord) n'était toujours pas satisfait, à l’issue du quatrième cycle de négociations (le 23 août), par les dernières offres présentées par l'Association centrale des entreprises portuaires allemandes (ZDS, Zentralverband der deutschen Seehafenbetriebe). « Les propositions totalement insuffisantes de la partie patronale ont provoqué les salariés. Les grèves de ces dernières semaines ont clairement montré que ces derniers n'étaient pas prêts à se laisser faire à bon compte. Les employeurs sont eux-mêmes responsables de la situation actuelle », a indiqué à la sortie Maren Ulbrich, en charge des négociations pour Ver.di.

Des « avertissements » que l’on pourrait qualifier de « grèves tournantes » (alternant entre Hambourg, Bremerhaven, Brême, Wilhelmshaven, Brake et Emden) ont été observées à chaque phase des pourparlers entamés en juin. Ver.di réclame une augmentation de salaire de 3€ par heure, ainsi que d’autres concessions pour avoir renoncé aux indemnités pour travail posté dans la convention collective de 2022.

Le ZDS persiste à dire de son côté que ces mouvements, qui « nuisent à la fiabilité des ports maritimes allemands », sont sans fondement au moment où les entreprises de manutention doivent investir dans la transformation des opérations tout en « subissant les conséquences économiques de l'environnement commercial actuel ». Pour les transporteurs, ces mouvements intempestifs sont susceptibles d’aggraver les effets de bord (la congestion) d’un approvisionnement déjà rudoyé par les détournements des routes de la mer Rouge.

Des revendications qui se superposent

L’examen en deuxième lecture le 4 septembre de l’accord qui doit définitivement sceller la prise de contrôle à 49,9 % par MSC du grand manutentionnaire allemand Hamburger Hafen und Logistik AG (HHLA) devait être l’occasion de mettre à nouveau la pression. Ce fut le cas.

Plusieurs centaines de personnes ont participé à la manifestation le 1er septembre qui devait déboucher au siège de HHLA dans le quartier de Hafencity. Nombre d’entre eux portaient des gilets de sécurité orange et jaune et des panneaux d'arrêt avec la mention « Notre port, notre ville, mettez à bas le deal MSC ! » en arborant des bannières syndicales mais aussi d'organisations d'extrême gauche.

Les salariés de l’entreprise, soutenus par Ver.di, se sont indignés d’avoir été exclus des négociations alors qu’en Allemagne, les représentants syndicaux de l’entreprise sont en principe associés à toutes les décisions stratégiques des grandes entreprises. Les syndicats soupçonnent par ailleurs MSC d’être en réalité plus intéressé par Metrans, filiale ferroviaire de HHLA, que par l’activité portuaire. Selon eux, l'accord ne menace pas seulement les emplois de HHLA, mais aussi ceux d'autres entreprises portuaires comme Gesamthafenbetrieb (GHB) et Lasch-Betrieben.

Automatisation indésirée

Outre cet accord qui passe mal, un autre dossier échauffe les esprits alors que les travaux qui visent à automatiser le plus grand terminal à conteneurs allemand, le Burchardkai, sont en cours, notamment pour augmenter le nombre de mouvements de conteneurs par heure et s’inscrire dans les standards d’Anvers et de Rotterdam, selon la direction, qui craint un déclassement. Ces dernières années, le troisième port européen a enregistré un nombre croissant d’escales de porte-conteneurs de grande taille : 272 mégamax de plus de 18 000 EVP l’an dernier, soit 15 % de plus qu’en 2022, et 511 navires de plus de 10 000 EVP (+ 5 %). Mais le premier port allemand est en effet en perte de vitesse par rapport à ses deux encombrants voisins sur le range nord. Après une année 2023 éprouvante (- 11,7 %), il était encore à contre-courant de ses deux challengers au premier semestre.

À l'issue des travaux, la capacité de l'installation devrait être portée à 5 MEVP par an (à comparer aux 7,7 MEVP manutentionnés l’an dernier par les quatre terminaux du port). Pendant des années, les représentants des dockers au sein des organes de surveillance de HHLA, qui emploie quelque 3 600 personnes à Hambourg dont 1 000 sur le terminal en question, ont cherché à freiner la progression de l'automatisation, craignant pour les emplois. Le manutentionnaire a toujours répliqué qu’aucun licenciement ne serait prononcé, mais que « le contenu du travail allait changer », moyennant quoi des plans de formation étaient prévus. Les négociations entre les deux partis sont au point mort depuis des mois.
Le 30 août, Ver.di a appelé les employés de HHLA à une autre « grève d'avertissement » pour le 6 septembre.

En Inde, colère désamorcée

En Inde, où la colère est sourde depuis plus de trois ans (de négociations), les autorités ont enrayé de justesse un mouvement d'ampleur (grève illimitée) dans les 12 principaux ports du pays, où quelque 18 000 employés sont affiliés à plusieurs syndicats. Six syndicats indiens réclamaient des améliorations de salaires avec effet rétroactif au 1er janvier 2022. Selon les médias locaux, un protocole d'accord d’une durée de cinq ans a été conclu lors d'une réunion marathon. Il prévoit une augmentation de 8,5 % du salaire de base et une prise en compte des congés à hauteur de 30 %. Les ports tels que Chennai, Cochin et Mumbai ont une capacité de manutention combinée de 1,62 milliard de tonnes par an.

La grève que tous redoutent

Mais le risque de grève que les armateurs (surtout de porte-conteneurs) et chargeurs redoutent se situe sur la côte est-américaine et au golfe du Mexique. Là, les pourparlers entre salariés (représentés par l'International Longshoremen's Association, ILA) et patrons (U.S. Maritime Alliance) achoppent sur l'automatisation alors que le contrat-cadre, actuellement en vigueur, expire le 30 septembre. Si aucun nouvel accord n'est mis en place, l’organisation syndicale entamera une grève à partir du 1er octobre 2024, a-t-elle déjà prévenu.

Tous ont en mémoire que l'an dernier, la convention collective était inopérante de 13 mois lorsque les dockers et les exploitants de terminaux des ports ouest-américains se sont mis d'accord sur leurs droits et obligations respectifs pour les six prochaines années (avec 32 % d'augmentation à la clé). Un soulagement pour les chargeurs d'autant que la sécheresse du canal de Panama avait rendu coûteux le transport depuis l'Asie vers les ports alternatifs de la côte Est.

En attendant, ces derniers prennent, à n’en pas douter, leurs dispositions pour s’épargner les coûts afférents aux éventuels frais de congestion, d'immobilisation et de surestaries voire d’envolée subite des prix de l’entreposage si le stockage de la marchandise entrante s’avérait nécessaire à proximité des ports concernés.

Obligation de services ?

Si la situation dégénère à l’expiration de l’actuel contrat de travail, une loi américaine (Taft-Hartley) autorise le président des États-Unis à demander à un tribunal de lui accorder un délai de réflexion de 80 jours. Le texte stipule surtout que les syndicats peuvent être contraints de reprendre le travail en cas d’urgence nationale. La pandémie, qui a complètement déréglé la chaine d’approvisionnement, a fait la démonstration qu’elle pouvait l’être. Mais à quelques semaines d’une élection stratégique, quel candidat prendrait le risque de prendre parti ?

D’après Sea-intelligence, une grève signifierait l'impossibilité de charger 20 000 EVP par jour, estimation faite sur la base d’un traitement mensuel d'un port est-américain (2,3 MEVP en octobre), soit 74 000 EVP par jour, dont 36 000 à l'importation et 38 000 à l'exportation.

Dans ses calculs, le consultant parvient à la conclusion qu'il faudra six jours pour résorber l'arriéré (74 000 EVP donc) résultant d'un jour de grève. « Cela signifie qu'une grève d'une semaine au début du mois d'octobre ne serait pas résorbée avant la mi-novembre », indique-t-il. Faut-il penser qu’au-delà, les ports ne reprendront pas leurs activités normales avant 2025 ?

Adeline Descamps

Port

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