Il y a encore un an, il était question de « super-cycle » pour le transport de voitures, tiré depuis une poignée d’années par le boom des véhicules électriques exportées depuis la Chine. Bien qu'il y ait un amoncellement de signes avant-coureurs quant à un ralentissement de l'élan à mesure que la demande refoulée s'essouffle et que les stocks se reconstituent, deux des plus grands acteurs du marché ont maintenu le niveau au cours du premier semestre.
« Le deuxième trimestre 2024 a été l’exercice le plus solide jamais enregistré avec un Ebitda [résultat opérationnel avant amortissement sur immobilisations] de 507 M$, soit un niveau historique », a commenté Lasse Kristoffersen. Le PDG de Wallenius Wilhelmsen, leader mondial dans le transport de voitures, prévoit pour l’année un bénéfice d’exploitation légèrement supérieur à celui de 2023, anticipant un léger tassement dans la seconde partie de l’année.
Le niveau des stocks (élevé) au niveau mondial, le lancement de nouveaux modèles et l'impact potentiel des tarifs douaniers sur les exportations chinoises rendent en effet le marché incertain. « Nous pourrions assister à un développement plus modeste des volumes d'ici la fin de l'année, reconnaît la direction. Les volumes ont diminué en glissement annuel mais restent à des niveaux élevés. Nous nous dirigeons probablement vers un marché où les ventes devront soutenir la production, étant donné qu'une grande partie de l'arriéré des ventes observé ces dernières années a été absorbée. En outre, à court terme, il pourrait y avoir quelques incertitudes liées aux droits de douane, en particulier pour les véhicules électriques chinois dans l'UE. Cela dit, compte tenu des volumes modérés, l'impact sur le transport maritime pourrait ne pas être très important. En outre, nous pourrions assister à une réorientation des exportations chinoises vers d'autres destinations », peut-on lire dans le rapport financier du Norvégien.
« Höegh Autoliners a continué à enregistrer des résultats solides pour le deuxième trimestre, explique pour sa part Andreas Enger, le PDG de Höegh Autoliners. Alors que le volume a lentement rebondi avec le déroutement en mer Rouge, les taux sont restés à un niveau élevé, reflétant l'impact des renouvellements de contrats réussis avec les clients ». L'entreprise a en effet enregistré ses taux les plus élevés avec les volumes contractuels.
Facteurs de la demande qui s'enrayent
Pour autant, la tension persistante en mer Rouge a continué à avoir un impact négatif sur la capacité disponible (temps d’attente dans les ports, navigation plus lente) et les volumes transportés. L'industrie automobile fait preuve de résilience alors que les facteurs clés de la demande – accessibilité, prix des voitures neuves et les difficultés de croissance de l'électrification –, s’enrayent.
Le marché est tendu car la demande dépasse toujours l’offre et tous les navires sont pleinement utilisés. Le taux net est resté à un niveau élevé, autour de de 80 $ par CBM (cuber metric, stable par rapport au trimestre précédent).
Entre avril et juin, Wallenius a ainsi réalisé un chiffre d'affaires de 1,35 Md$, en hausse de 8 % par rapport au trimestre précédent. Les volumes et les revenus ont augmenté dans toutes ses activités (transport maritime, logistique, manutention portuaire). Le segment du transport maritime a enregistré un bénéfice d’exploitation de 409 M$ (+ 8 % par rapport au premier trimestre) et un chiffre d’affaires d’un peu plus d’1 Md$. Le trimestre s'est ainsi achevé sur un résultat net de 315 M$, à comparer aux 201 M$ du premier trimestre et aux 296 M$ du deuxième trimestre de l'année 2023. Le chiffre d'affaires du premier semestre ressort à 2,61 Md$, en hausse de 2 % par rapport à l'année précédente, mais en grande partie grâce à la forte croissance des revenus des services logistiques. L'Ebitda s'est élevé à 946 M$ contre 875 M$ un an auparavant du fait de l'augmentation des recettes et de l'amélioration des marges dans tous les segments.
Un marché tendu
Au cours du second trimestre, l’activité roulière de la compagnie a cependant été impactée par plusieurs événements tant sur le plan opérationnel que financier. À commencer par l’effondrement fin mars du pont Francis Scott Key à Baltimore, un port important pour les importations et exportations de voitures et d'équipements lourds vers et depuis l'Amérique du Nord et un hub clé pour Wallenius Wilhelmsen qui y a un terminal roulier.
Par ailleurs, le déroutement par le cap de Bonne Espérance pèse. « Les temps d'attente dans les principaux ports ont continué à poser des problèmes. Au cours du trimestre, environ 7 % des jours disponibles à l’affrètement ont été bloqués par la congestion. En outre, plus de 5 % de nos jours disponibles ont été perdus en raison du réacheminement à partir de la mer Rouge, ce qui porte le total à environ 12 % », indique le rapport financier du transporteur.
L’offre de PCTC (pure car and truck carrier) est limitée depuis plusieurs années en raison des commandes historiquement faibles depuis 2016, avec une moyenne de quatre unités par an. Les livraisons de navires en 2023 ont étoffé la flotte de 3 %.
La capacité de la flotte mondiale de transporteurs de voitures de plus de 2 000 unités d'équivalent voiture (CEU en anglais, car equivalent unité) était estimée à 4,3 millions de CEU et 7 156 navires à la fin du premier trimestre. Selon les données de Clarksons, sept nouveaux navires ont été livrés durant le deuxième trimestre et 28 nouvelles commandes ont été confirmées, portant le carnet de commandes à 218, soit 41 % de la flotte en exploitation. Selon le calendrier de livraison, 29 nouveaux navires devraient être livrés d’ici la fin de l’année, 66 en 2025, 63 en 2026, 40 en 2027 et le reste à partir de 2028.
À la fin du deuxième trimestre, Wallenius Wilhelmsen, qui aligne une flotte de 125 navires dont 88 détenus en propre, a exercé son option d'achat sur un porte-voitures de 6 500 CEU à l’issue de son affrètement de 15 ans. Les navires de cette capacité, très recherchés, ont atteint les 115 000 $/j en janvier, dix fois plus que ce qu’ils rapportaient en 2021, selon Clarksons Research. L’entreprise a par ailleurs confirmé les commandes pour quatre PCTC supplémentaires de 9 300 CEU auprès de China Merchants Jingling pour une livraison en 2027 et 2028. Elles portent son carnet de commandes à douze navires.
Étroitesse du marché
De son côté, Höegh Autoliners, dont l'un des actionnaires est Grimaldi, a publié un chiffre d'affaires de 341 M$ pour la période entre avril et juin contre 328 M$ pour le trimestre précédent et 356 M$ au deuxième trimestre 2023. L'Ebitda s'est élevé à 174 M$ (contre 162 M$ et 181 M$ respectivement), en phase avec l'augmentation du volume transporté de 6 % par rapport au premier trimestre. Le chiffre d'affaires pour le premier semestre atteint près de 670 M$ contre 709 M$ en 2023 mais le résultat net s’est établi 289 M$ contre 250 M$ un an plus tôt.
La compagnie profite de « l'étroitesse du marché » en termes de capacités pour optimiser sa flotte, en vendant le Höegh Kobe, un navire de taille moyenne de 18 ans, pour 59 M$ et en prenant livraison du Höegh Jacksonville (43,2 M$). Aussi, elle vient de mettre en service son premier navire de la classe Aurora.
Les exportations asiatiques, le déterminant
Tous les regards se portent sur l’Asie. Les exportations de véhicules en Asie au cours du premier semestre ont augmenté de 12 % sur un an, sous l'impulsion des expéditions chinoises (+ 30 % en glissement annuel). La Chine cimente sa position de premier exportateur de véhicules en volume, avec 2,8 millions d'unités. Mais avec une grosse épée de Damoclès : le risque des droits de douane de l'UE sur les voitures électriques. Les exportations chinoises de janvier à juin vers l'Europe occidentale et centrale ont déjà diminué de 3 % en glissement annuel, selon Höegh Autoliners.
En Europe, l’accent est en effet mis sur la concurrence chinoise dans le domaine des véhicules électriques (VE), la part de marché des marques chinoises étant passée de 4,7 % à 7,6 % entre 2022 et 2023, selon les données de l'ACEA, l'Association des constructeurs européens d’automobiles. La part des VE produits en Chine (y compris les marques occidentales) est passée, elle, de 20,1 % à 21,7 % au cours de la même période.
Réorganisation du marché face aux droits de douane
D'après les deux opérateurs, le marché serait déjà en train de s’organiser, non sans impacts sur les flux transportés. « On pourrait assister à une évolution de la demande vers des véhicules plus petits à l'avenir et des tractions hybrides », signale la direction d’Höegh Autoliners.
« Nous constatons qu'une bonne partie des véhicules électriques chinois se dirigent vers le Royaume-Uni et la Norvège qui n'ont pas encore augmenté leurs droits de douane, souligne pour sa part Wallenius. En outre, dans la foulée de l'annonce de la mise en place d’unités de production, la Turquie a supprimé un droit de douane de 40 % sur les importations de VE chinois. Au fil du temps, nous verrons également les constructeurs chinois établir la production dans l'UE. D'autre part, nous constatons que la Chine exporte des volumes croissants vers des destinations telles que le Brésil et le Mexique ».
L’entreprise relève par ailleurs des décisions symboliques témoignant des « ambitions des joueurs chinois ». « BYD [leader chinois dans les véhicules électriques, NDLR] a été l'un des principaux sponsors du championnat d'Europe de football qui s'est déroulé cet été en Allemagne. Nous pensons qu'il s'agit là d’un signal fort ».
Des taux d'affrètement élevés toute l'année
Les ventes mondiales de véhicules légers en 2024 devraient augmenter de 2 % en glissement annuel selon S&P et atteindre 88,8 millions d'unités, inférieur aux 89,9 millions observés en 2019 et bien en deçà des niveaux de 92 à 94 millions d'unités au cours de la période 2016-2018. « Cela indique que l'âge moyen du parc automobile mondial continue d'augmenter et qu'avec le temps, il est probable qu'il alimente un cycle de remplacement à un moment ou à un autre », se rassure Wallenius.
« Le marché reste tendu, avec des taux d'affrètement à temps à des niveaux historiquement élevés, assure Höegh Autoliners. L'offre reste serrée malgré l'entrée en service de nouvelles constructions. Les événements géopolitiques et macroéconomiques créent de l'incertitude de la demande. Il y aura de la volatilité sur les volumes et les taux mais nous nous attendons à ce que le troisième trimestre soit plus ou moins en ligne avec le deuxième trimestre ».
Adeline Descamps
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