Au cours des deux premiers mois de 2024, les contrats de construction de pétroliers ont atteint 7,4 Mtpl, près de 500 % de plus qu'il y a un an à la même période. En cause, une augmentation des commandes de très grands transporteurs de brut (VLCC) dont les commandes (19) ont dépassé en deux mois celles enregistrées pour toute l'année 2023, explique Filipe Gouveia, analyste des transports maritimes au Bimco, organisation représentant les exploitants de navires pesant 60 % de la flotte mondial (en tonnage). Les VLCC ont ainsi connu un début d'année qu'il n'avait plus observé depuis 2006.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, les taux de fret, selon le Baltic Exchange Dirty Tanker Index, pour les transporteurs de brut sont montés en flèche et sont restés élevés.
Il faut toutefois nuancer cette fulgurance. En mars 2023, le carnet de commandes de transporteurs de brut ne représentait que 3,3 % de la flotte de transporteurs de brut, qui était alors le niveau le plus bas enregistré depuis au moins 1996.
Malgré cette poussée, le ratio entre le carnet de commandes et la flotte en exploitation pour les VLCC reste faible, à seulement 4,3 %.
Perspectives encourageantes
Selon l'assocation, tous les feux sont au vert pour les exploitants des grands pétroliers, à commencer par un jeu de l'offre (faible) et de la demande (forte) ainsi que du fait de l'allongement des distances de navigation, provoqué par la reconfiguration des flux consécutive à la guerre en Ukraine et à son régime de sanctions. Le plus grand rayon d'action à parcourir nécessite plus de navires.
Les grands pétroliers transportent généralement du pétrole brut du Moyen-Orient et des Amériques vers l'Asie. Ils se sont détournés temporairement pour fournir l'Europe tandis que la Chine et l'Inde se sont fournis davantage auprès de la Russie, dont le pétrole est bien moins cher.
Le prix moyen mensuel de la principale qualité de brut exporté par la Russie, l'Urals, était de 65 $ par baril le mois dernier sur une base FOB Primorsk (source : S&P Global), offrant une prime de plus de 15 $ par rapport aux concurrents Brent ou WCI.
La Chine et l'Inde, indifférentes aux sanctions du pétrole russe
La Chine et l'Inde, devenus les plus gros acheteurs de brut russe depuis la guerre, ne devraient pas « rejeter » les pétroliers sanctionnés par le plafonnement des prix du pétrole (sanction du G7, de l'UE et de l'Australie) car les deux pays envisagent de développer des mécanismes de paiement en dehors du dollar américain. Les entreprises importatrices de ces pays pourraient aussi utiliser le dispositif pour négocier des prix plus bas, indique aussi le Bimco.
Selon les données de S&P Global, les pétroliers opérant en dehors du cadre de l'embargo (tels que ceux exploités par l'État russe ou des sociétés fantômes) ont été à l'origine en février de 59 % des expéditions de brut russe à destination de l'Inde et de 82 % de celles vers la Chine.
« Dans les années à venir, nous prévoyons que davantage de pétrole proviendra des Amériques et que la demande de pétrole se déplacera de plus en plus vers l'Asie. Les distances de navigation s'en trouveraient accrues et les navires VLCC en bénéficieraient tout particulièrement, puisqu'ils dominent déjà ces voies commerciales », anticipe l'analyste.
Un équilibre dans la flotte qui soutient les taux de fret
Près de 70 % de la capacité navale contractée en 2023 et jusqu'à présent en 2024 seront livrés entre 2026 et la fin de 2027. Les taux de fret seront donc soutenus par une faible croissance de la flotte jusqu'à cette date.
Si l'Agence internationale de l'énergie (AIE) prévoit un pic de la demande mondiale de pétrole d'ici 2030, la restructuration des route maritimes depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie et la flotte vieillissante vont néanmoins stimuler le carnet de commandes dans les mois qui viennent, soutient Filipe Gouveia.
Adeline Descamps