« 2022 a été une année où la sécurité énergétique a été au centre des préoccupations. Le monde s'est mobilisé. Nous avons vu des progrès politiques avec le programme Fit for 55 en Europe et l'introduction de la loi sur la réduction de l'inflation aux États-Unis. Ce sont là des preuves du passage de l'ambition à l'action. Malgré ces progrès, le système énergétique reste confronté à d'énormes défis », a introduit Wael Sawan, qui présentait pour la première fois les résultats du groupe pétrolier britannique dont il est le PDG depuis janvier, succèdant à Ben van Beurden.
À l’occasion de sa « première », le dirigeant a planté son décor, en insistant sur le besoin d'une « transition énergétique équilibrée » qui nécessite de ne pas démanteler le système énergétique actuel trop vite mais pas trop lentement non plus au risque de « perdre un temps précieux et l'élan nécessaire pour mettre en place à grande échelle les solutions nécessaires pour une énergie à faible émission de carbone. Cette transition ne sera pas linéaire et se déroulera avec différentes solutions nécessaires à différents moments et en différents endroits du monde. »
En clair, Shell fournira pétrole et gaz dont le monde a encore besoin tout en développant les produits à faible teneur en carbone, « évolutifs et rentables », qu’il est urgent de développer, souligne-t-il.
Bénéfice de 39,8 Md$
Le groupe énergétique sort pour l’heure d’une année particulièrement rentable. Au quatrième trimestre, le groupe de pétrole et de gaz a annoncé un bénéfice ajusté de 9,81 Md$, en hausse de 6,39 Md$ par rapport à l'année précédente, tiré par la flambée des prix des deux produits énergétiques rois, le pétrole et le gaz, surtout le GNL. Sur l’ensemble de l’année, le résultat net a augmenté de 107 % pour atteindre le chiffre record de 39,8 Md$, soit plus du double de ceux de l'année dernière, et environ 17 milliards de plus qu'en 2014, lorsque les prix du Brent étaient similaires.
L’entreprise, qui vise une redistribution aux actionnaires d'au moins 20 à 30 % de ses flux de trésorerie d'exploitation (68 Md$ en 2022), est dans les clous. Elle a versé l’an dernier environ 26 Md$, soit plus de 35 %. En 2022, Shell a consacré 25 Md$ à ses investissements et devrait maintenir ce niveau en 2023 (23 à 27 Md$), en absorbant l'inflation.
Le géant du GNL, qui se dispute ce statut avec TotalEnergies, a vendu 16,82 Mt de GNL au cours de la période octobre-décembre contre 16,72 Mt à la même période l'année dernière. Les ventes ont notamment augmenté de 7 % par rapport aux 15,66 Mt du trimestre précédent.
Avec près de 66 Mt en 2022, les ventes de GNL ont encore progressé de 3 % alors que les volumes de liquéfaction ont diminué de 4 % par rapport à l'année précédente (29,68 Mt en 2022), reflétant la sortie de Sakhaline ainsi que la maintenance plus longue que prévu à Prelude et des problèmes opérationnels sur d’autres actifs, notamment en Australie. La société s'attend à ce que les volumes de liquéfaction soient d'environ 6,6-7,2 Mt au premier trimestre.
Désengagement
Bien que l'Europe ait introduit des sanctions généralisées à l'encontre de Moscou, le gaz n'est pas couvert. Mais Shell s’était engagé peu de temps après l’agression de la Russie envers l’Ukraine à se retirer de toutes ses opérations en Russie, y compris de son investissement stratégique de Sakhaline, dans la mer d'Okhotsk, dont la compagnie était partie prenante avec 27,5 % du capital, participation reprise depuis par l’État russe et Gazprom. Le géant de l'énergie avait déclaré une dépréciation de 5 Md$ suite à sa décision de quitter la Russie.
Pour autant, Shell a préservé une partie de ses volumes, a reconnu un porte-parole de la compagnie pétrolière à Reuters en marge, mais sans autres précisions sur les tonnages en question. La compagnie britannique avait signé en 2015 un contrat à long terme d’une durée de 20 ans avec Novatek en vertu duquel le producteur de gaz russe devait lui fournir environ 900 000 t par an de GNL.
En 2023 ?
« L'équilibre entre l'offre et la demande d'énergie à l'échelle mondiale reste extrêmement serré, de petits changements de part et d'autre peuvent avoir un impact important, donc la volatilité et l'incertitude resteront les mots d'ordre en 2023 », a repris Wael Sawan, qui entend, sans surprise, « privilégier la valeur » par rapport « au volume », tout en réduisant les émissions de carbone, expression-valise qui rencontre un franc succès dans tous les discours d’entreprises.
Son début de mandat est en tout cas marqué par une décision concernant la structure de direction, qui se veut plus alignée pour simplifier la prise de décision, « avec moins de rôles et plus de responsabilités ».
La supermajor européenne, qui a pignon sur rue, est sous une autre pression que celle de son conseil d’administration : elle est sous extrême surveillance climatique. En mai 2021, elle s’est vu condamnée, par une décision de justice du tribunal de La Haye, à réduire ses émissions de CO2 de 45 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2019. Ce fut une grande première juridique que de voir une entreprise responsable d’un « comportement climatique dangereux » et contrainte se conformer à l'Accord de Paris sur le climat. L’assignation qui lui a été faite concerne également les émissions de carbone de ses clients et de ses fournisseurs.
L’affaire avait été portée en 2019 par l’ONG Friends of the Earth (version néerlandaise des Amis de la Terre) aux côtés de six autres organismes et de 17 000 autres plaignants, qui rendent Shell comptable « d'un cinquième des émissions totales de carbone et de méthane dans le monde. »
La compagnie pétrolière n’est pas la seule. Les Américaines ExxonMobil et Chevron ont vu leur assemblée générale annuelle débordée à plusieurs reprises l’an dernier par des manœuvres visant à les contraindre à se préoccuper plus attentivement de leur empreinte carbone et à « envisager plus sérieusement les énergies alternatives ».
Adeline Descamps