La coentreprise, détenue à parts égales entre la société d'investissement Ardian et la plateforme d'investissement dans l'hydrogène vert FiveT Hydrogen, a annoncé le 10 octobre le closing de son fonds d’investissement Hy24 dont la vocation est d’accélérer la mise à l'échelle de technologies d'hydrogène sur toute la chaîne de valeur : production, conversion, stockage, approvisionnement et utilisation.
Les deux actionnaires du fonds ont réalisé deux tours de force. Le premier est d’avoir levé 2 Md€, un an à peine après son lancement et bien plus que son directeur général, Pierre-Etienne Franc, avait prévu. Mais aussi d’avoir intéressé à son capital trois mondes : la finance, l’industrie et l’international.
Les trois sont représentés par des poids lourds de leur secteur respectif : les plus grands comptes industriels français – TotalEnergies, Air Liquide Airbus, CMA-CGM, EDF, GRTgaz, GRTgaz, Vinci, ADP –; des places financières de premier plan, comme la Caisse des Dépôts, le Crédit agricole Assurances, AXA, Société générale Assurances, Groupama, BBVA (groupe bancaire espagnole) ou Norinchuki et JIBC (deux banques japonaises), et des grands groupes étrangers à l’instar des américains Baker Hughes, Chart Industries et Plug Power, de l’allemande Schaeffler (mécanique de précision), la coréenne Lotte Chemical (chimie), l’italienne Snam (transport de gaz naturel), l’espagnole Enagás, ou la japonaise Itochu. Au total, une cinquantaine d’investisseurs provenant de 13 pays, dont une douzaine avec un ticket d'entrée de 100 M€ et les autres « entre 10 et 50 M€ » a précisé Pierre-Etienne Franc.
Mobiliser jusqu’à 20 Md€
« Il s'agit du premier et du plus grand fonds d'infrastructure au monde à investir exclusivement dans l'ensemble de la chaîne de valeur de l'hydrogène propre », vantent les actionnaires, qui entendent mobiliser jusqu’à 20Md€ au cours des six prochaines années. Le portefeuille sera diversifié en fonction des zones géographiques et investira, tant en amont (production d'hydrogène sans énergie fossile) qu’en aval (flottes captives, stations hydrogène) en passant par les réseaux et infrastructures de transport.
« Les capitaux levés ont déjà commencé à être déployés. Hy24 a participé à la levée de fonds de 110 M€ de H2 Mobilty Deutschland, l'opérateur d’un réseau de stations d’avitaillement en hydrogène en Europe [au nombre de 95, NDLR]. En outre, il a participé au tour de table de 200 M€ de Hy2Gen, qui gère des sites de production d'hydrogène décarboné [notamment impliqué dans la reconversion de la centrale thermique au charbon de Gardanne dans le sud de la France, NDLR] et acquis une participation de 30 % dans Enagás Renovable, la filiale de l'opérateur espagnol du réseau de transport de gaz », indique le communiqué.
Selon les porteurs du fonds, les solutions d'hydrogène propre pourraient représenter jusqu'à 20 % de la demande d'énergie finale dans le cadre de la neutralité carbone
Bio-GNL, biométhane et autres e-méthane
CMA CGM, qui n’a pas souhaité communiquer sur le niveau de son engagement, a simplement fait savoir que ce fonds « ferait avancer [ses] efforts pour développer la filière hydrogène ainsi que les solutions e-méthane ».
Le groupe de transport maritime et logistique, qui vient de lancer un fonds Energies doté de 1,5 Md€ pour notamment développer la production d’énergies renouvelables et accélérer la décarbonation de ses actifs, terminaux portuaires, entrepôts, flottes de véhicules terrestres, est en effet plus attendu sur les solutions de type bio-GNL, biométhane et autres e-méthane sur lesquels il investit tous azimuts.
CMA CGM soutient notamment ces voies en s’impliquant à la fois dans la R&D et en s’engageant dans des contrats d’achats. D’où ses investissements dans le biométhane de deuxième génération pour produire 11 000 t par an dès 2026, suite logique à ses engagements avec Engie de parvenir à 200 000 t de gaz renouvelables par an d’ici 2028, pour ses propres besoins mais aussi pour l’industrie du transport maritime. Un projet de production et de liquéfaction de biométhane, développé avec Titan, doit permettre de produire jusqu’à 100 000 t d’ici 2025, volume qui pourra être doublé d’ici 2027.
Moins attendu sur l’hydrogène
Le troisième armateur mondial de porte-conteneurs est en revanche moins impliqué dans la filière hydrogène, solution qui ne convient pas à la propulsion de ses navires mais peut l’intéresser pour décarboner ses autres assets, ses entrepôts (parc de 700 sites) et terminaux portuaires (une cinquantaine où il est actionnaire pour tout ou partie), pour lesquels le groupe de transport et logistique vise l’autonomie énergétique en développant sur site la production d’énergies décarbonées (éolien, solaire, biomasse, hydrogène).
En revanche, il voit dans le power-to-gas un levier pour accélérer l’industrialisation de gaz non fossiles, en particulier le biométhane ou le méthane de synthèse, dont il fait une alternative à la motorisation de ses porte-conteneurs. En rejoignant en mai les partenaires du projet Jupiter 1000 à Fos, la compagnie marseillaise est intéressée par son potentiel à produire à grande échelle du e-méthane bas carbone et à favoriser le développement de la filière de production de méthanes de synthèse.
Le power-to-gas, considéré comme l’un des trois principaux procédés de production de gaz vert, permet de valoriser les surplus d’électricité et de produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau. L’hydrogène ainsi produit peut être combiné à du CO2, par un processus industriel de méthanation, et ainsi obtenir du méthane de synthèse.
Adeline Descamps