Télescopage d’informations qui donne au communiqué de presse de CMA CGM envoyé aux rédactions le dimanche 4 septembre à 8h00 une vague impression de nager à contre-courant pour éteindre des polémiques qui se radicalisent d’heure en heure contre les dénommés « profiteurs de crise ». Si l’intention était de faire diversion au motif d’une situation éruptive dans le pays, le résultat est loin d’être garanti.
Le groupe de transport maritime et logistique a annoncé un « fonds spécial énergie doté de 1,5 Md€ sur cinq ans », consacré à sa décarbonation (et à celle de son secteur) et se tient prêt à contribuer au « fonds vert » proposé par l'État français « pour soutenir des projets conjoints ». L’annonce intervient 24 heures à peine après la publication par l’armateur français de ses résultats pour le deuxième trimestre. CMA CGM a dégagé un bénéfice net de 7,6 Md$, soit près de 15 Md$ sur le premier semestre.
Ils sont « très bons », les a qualifiés sobrement auprès du JDD le PDG du groupe Rodolphe Saadé, ce « nouvel homme fort du capitalisme français » auquel le média, prescripteur de l’info du week-end pour l’ensemble de la presse, a consacré un portrait de pied en cap dans son édition dominicale. Faut-il encore rappeler que CMA CGM est sur orbite depuis le milieu de l’année 2020, ses taux de fret en surchauffe dopés par les perturbations en mer et dans les ports générés par la pandémie alors que les coûts d’exploitation de ses clients ont explosé, contraints de payer très cher pour un service complètement dégradé. La crise énergétique dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a provoqué une inflation galopante généralisée (matières premières, énergies et biens de consommation), finit de les essorer.
CMA CGM : un résultat net de 7,6 Md$ au deuxième trimestre
Hystérisation des débats
La nouvelle publication de « bénéfices records » alors que CMA CGM s’acquitte de peu d’impôts grâce à la taxe au tonnage que la presse généraliste a découvert tout récemment (est-on tenté d’ajouter), a fait l’objet d’un flot d’articles dans la presse ce week-end aux titres sinon peu flatteurs du moins évocateurs sur l’état du débat en France.
Alors que le parlement avait rejeté la proposition de taxation des « super profits », dont la paternité revient à l’opposition de gauche, le débat refait surface à la faveur du référendum d’initiative partagée proposé par les partenaires de la Nouvelle Union populaire écologiste et sociale (Nupes). Tout en donnant sa préférence aux initiatives volontaires des entreprises, la cheffe du gouvernement, Élisabeth Borne, n’a toutefois pas fermé la porte à l’idée d’imposer les bénéfices exceptionnels de certains groupes, résultant de la crise énergétique mondiale.
CMA CGM, dont les profits résultent bien d’une crise, mais celle de la désorganisation logistique des chaînes d’approvisionnement mondiales consécutive à la pandémie et non de l’envolée du prix des énergies, qui ont lesté ses coûts d’exploitation de plus d’1 Md$ en un an, partage désormais avec TotalEnergies un destin symétrique. Qui plus est, avait rappelé le « grand patron » devant les sénateurs : « nous ne transportons pas d’énergies, pas de pétrole et pas de céréales. Notre impact sur l’inflation est faible ».
L’information de CMA CGM sur le fonds Énergie tombe à ce moment précis de l’hystérisation des débats. Fort de ces profits records, le « magnat du fret » veut montrer qu’il en existe d’utiles quand ils sont alloués à des projets d’intérêt général. De même qu’il s’essouffle depuis quelques semaines à rappeler que 90 % des bénéfices de son groupe, que la famille possède encore à 73 %, sont réinvestis dans le développement de l’entreprise..
CMA CGM en renfort des comptes publics
Quatre piliers
« Ce fonds en quatre piliers vise à soutenir le développement et la production d’énergies renouvelables, à accélérer la décarbonation des terminaux portuaires, des entrepôts et des flottes de véhicules terrestres, permettre l’exploration de nouvelles solutions et prototypes, et à renforcer l’efficacité énergétique des modes de travail et des mobilités des collaborateurs du groupe », détaille le communiqué. Cette communication est-elle vraiment nécessaire sachant qu’une partie des mentions relève de projets largement éventés, voire déjà lancés, et implicitement imposés par les prochaines échéances réglementaires.
Alors que 23 % des émissions totales du transport maritime proviennent du seul segment des conteneurs, tous les exploitants de navires sont sommés par l’OMI d’amender leur rapport à l’environnement dans un horizon de deux ou trois décennies.
Le troisième armateur mondial est le premier de son marché à avoir opté pour le GNL, très imparfait pour traiter toutes les émissions polluantes, mais avec le mérite d’amorcer la pompe de décarbonation tout en ouvrant la voie à des compromis plus acceptables grâce aux évolutions technologiques. Ainsi, il investit tous azimuts dans le bio-GNL, biométhane et autres e-méthane.
CMA CGM soutient ces voies en s’impliquant à la fois dans la R&D et en s’engageant dans des contrats d’achats. L’armateur a ainsi plusieurs investissements en commun avec Engie et d’autres groupes industriels français pour produire et commercialiser du biométhane ou pour assurer le développement d'une filière de production et de distribution de méthanes de synthèse et de bio-GNL.
Sa participation au projet Jupiter 1000 à Fos vise aussi à accélérer la production d’e-méthane bas carbone pour les navires. « Un projet de production et de liquéfaction de biométhane, développé avec Titan, permettra de produire jusqu’à 100 000 t d’ici 2025, volume qui pourra être doublé d’ici 2027 », ajoute le communiqué.
Neoline doit décaler la mise à chantier de son roulier à voile
À bord de Neoline
Dans ses entrepôts (parc de 700 sites) et terminaux portuaires (une cinquantaine où il est actionnaire pour tout ou partie), le groupe vise l’autonomie énergétique en développant sur site la production d’énergies décarbonées (éolien, solaire, biomasse, hydrogène).
Quant au soutien à des projets à la pointe de l’innovation, le communiqué fait référence à son partenariat avec Energy Observer « qui franchit une nouvelle étape en travaillant ensemble sur un prototype de feeder propulsé à l’hydrogène liquide ». Mais aussi et surtout, il révèle une prise de participation au sein du capital de Neoline. L’armateur nantais porte le projet d’un roulier de 136 m, dont la voile constitue la principale propulsion, qui opérera un service transatlantique régulier entre St-Nazaire, Baltimore, Halifax, via Saint-Pierre-et-Miquelon. Là est la (seule ?) vraie et nouvelle information. Neoline avait prévu de lancer cet été la construction de son premier roulier mais a dû la reporter à l’automne, le temps de finaliser les négociations contractuelles en cours avec un investisseur, avait alors indiqué la direction alors que le groupe maritime Sogestran devait se retirer. Il l’a manifestement trouvé.
Adeline Descamps