Neoline incarne à elle seule toutes les embûches que peuvent rencontrer les jeunes entreprises dans un secteur hautement capitalistique comme le transport maritime et a fortiori pionnières dans les technologies de rupture qui doivent emmener le shipping vers un mode plus sobre sur un plan énergétique.
La société nantaise, fondée en 2015 avec l’idée de mettre à l’eau un roulier de 136 m, dont la voile constitue la principale propulsion, et d’initier un nouveau service transatlantique régulier entre Saint-Nazaire, Baltimore, Halifax, via Saint-Pierre-et-Miquelon, doit à nouveau ajourner son calendrier et ses plans.
Elle subit les impacts des tensions géopolitiques qui se matérialisent notamment par une flambée du prix des matières premières et doit en outre pallier le retrait de son capital de Sogestran, qui affronte lui aussi les affres du marché. Le groupe maritime havrais était entré au capital de la jeune société à hauteur de 15 % à l’été 2020. Un apport financier précieux pour lancer la construction des navires, mais aussi opérationnelle pour l'exploitation de la ligne.
Sogestran maintient son soutien financier le temps que Neoline puisse lui trouver un relais. « Les discussions sont en cours avec autre armateur. Une lettre d’intention a été signée assurant la poursuite du projet vers la mise en construction du premier Neoliner », assure l’entreprise.
Un financement sécurisé à hauteur de 90 %
Elle est engagée. Neoline a déjà signé avec une quinzaine de chargeurs, et non des moindres – Renault, Beneteau, Manitou, Michelin, Jas Hennessy & Co, Clarins, Longchamp ou Rémy Cointreau – auxquels elle a promis une mise en service de la ligne à horizon 2024-2025.
« Afin de permettre les négociations contractuelles nécessaires, la mise en chantier est repoussée à l’automne 2022. Le bouclage financier et industriel prend plus de temps qu’initialement prévu mais sa pertinence se renforce et nous visons toujours l’objectif d’une mise en service à l’horizon 2024/2025 » défend Jean Zanuttini, président de Neoline Développement.
Le coût d'un Neoliner est estimé à environ 50 M€. Le financement est sécurisé à hauteur de 90 %, à 75 % par de l’emprunt bancaire et à 25 % par des fonds propres (sous forme d’obligations de la Banque des territoires et de fonds levés à hauteur de 3,3 M€, dont une partie en crowdfunding). Lancée en janvier 2022, une campagne est en cours jusqu’au 12 juin 2022 sur la plateforme WiSEED au cours de laquelle 700 000 € ont déjà été levés auprès de 800 personnes.
Évolution du gréement
Équipé de deux rampes de chargement, le Neoliner est conçu pour charger des unités de taille et d'emballages différents dans deux espaces de chargement, à la fois des conteneurs et des chargements rouliers. Les capacités seront optimisées par l'utilisation de ponts mobiles permettant au navire de charger du colis lourd ou hors gabarit, jusqu'à 200 t et 9 m de haut. In fine, le navire affiche une capacité de transport de 280 EVP, 5 000 t de fret conventionnel ou 1 500 mètres linéaires et 500 voitures.
Après les études techniques réalisées par Chantiers de l’Atlantique, Neopolia, Mauric et D-Ice, le gréement du navire consistera finalement en deux systèmes rabattables, avec deux mâts de 76 m de haut, équipés chacun de la technologie de voiles « Solid Sail » de 1 100 m2 et d’un foc souple de 400 m2, soit une surface vélique totale de 3 000 m2. Il avait été initialement envisagé 4 200 m2 de voiles souples sur un gréement duplex.
« Ce changement permet une performance supérieure grâce à la finesse et à l’allongement vertical de la structure, ainsi qu’à la réduction de l’effet de masquage des voiles. La durée de vie attendue de la voile est de 25 ans, ce qui réduira les coûts d’entretien comparé à des voiles textiles », justifie le dirigeant.
Le vent, carburant de demain... à condition de convaincre
Mise en chantier
Depuis le début, Neoline tient un positionnement « made in France » pour « que la construction et l’exploitation bénéficient au maximum à l’économie locale française » et « participent au développement d’une filière vélique en France. »
À cet égard, l’entreprise avait également été contrainte de reconsidérer ses plans initiaux. Une première lettre d’intention avait été signée en 2019 avec le groupement d’entreprises nantais Neopolia à l’issue d’un appel d’offres auquel avaient répondu 17 chantiers navals. Le projet était techniquement au point mais la mise en construction n’avait pas pu se faire faute de financements. Fin 2020, Neoline avait donc lancé un nouvel appel d’offres, plus ciblé. Sur les dix propositions reçues, c’est à nouveau celle de Neopolia qui a été retenue en juin 2021.
Le choix d’un chantier français avait en outre un inconvénient de taille : un surcoût de 5 % si bien que le contrat de construction du navire a été dissocié de celui du gréement pour ainsi diluer le risque.
La mise en chantier était prévue à la fin de l’été pour une mise en service au premier semestre 2024 tandis que la construction d’un second navire devait démarrer fin 2022. Elle est donc repoussée à l’automne 2022.
Adeline Descamps