Il était particulièrement attendu, ce livre blanc sur la propulsion vélique. Et par bien du monde. Par les exploitants qui naviguent à vue entre les différentes technologies – profil aspiré, mince ou épais, ailes rigides, semi rigides ou symétriques, kite, rotors… – et se posent quantité de questions sur les aspects opérationnels (motorisation auxiliaire ou principale, intégration et maintenance des systèmes, compétence des équipages, routage embarqué ou à terre, etc.). Par les acteurs de la filière qui cherchent à asseoir la crédibilité de cette solution, sans exclusive mais au même titre que les carburants alternatifs. Par les milieux politiques et investisseurs à la recherche d’éléments tangibles pour octroyer et/ou sécuriser des financements. Par les représentants professionnels qui tentent de structurer cetre industrie et de la rendre compétitive à défaut de disposer d’une ligne claire qui la projette sur le long-terme…
Le document d’une centaine de pages*, que vient de réaliser l’association française Wind Ship, tient à la fois de la feuille de route stratégique à l’intention des pouvoirs publics, du guide technologique à l’adresse des exploitants de flotte, du porté à connaissance sur les retours sur expérience et le niveau de maturité de la technologie (utiles à tous) et de l’essai de vulgarisation pour la société civile au chevet d’une planète souffrante…
Aucun doute sur les intentions
Le titre – « Des technologies prêtes à décarboner le transport maritime. Une opportunité industrielle pour la France » –, dissipe le doute quant à ses intentions. Le propos est même limpide. La solution pour décarboner immédiatement le transport maritime est disponible, mais le monde regarde ailleurs, la R&D courant désespérément derrière le « carburant vert de demain ». La « monoculture du moteur à combustion interne écarte de fait toute réflexion possible sur une source d’énergie alternative », déplorent les auteurs du rapport alors que la propulsion vélique coche bien des cases sur les enjeux présents et à venir du transport maritime.
Les messages ? Les technologies et les matériaux se sont sophistiqués, associant lois de l’aérodynamique et de l'hydrodynamique. Les outils de navigation se sont développés. Les sociétés de classification ont publié ou mis à jour leur référentiel. Les assureurs devraient bientôt proposer des polices spécifiques voire des primes incitatives. Les solutions sont prêtes à être déployées sur la majorité des navires existants et « trouvent aisément leur place lors de la conception de nouveaux navires ».
Pourquoi les carburants non fossiles ne sont qu’une partie de la solution ?
Le levier de l'argumentation est assez simple. « Il faut combiner plusieurs mesures pour réussir une transition écologique rapide du transport maritime. La première consiste à faire diminuer le besoin en carburant. C’est justement ce que permet la propulsion par le vent, qui contribue pour une part significative au déplacement du navire, en étant complémentaire d’une motorisation utilisant toute nature de carburant. »
Pour structurer sa démonstration, le livre blanc pose les questions. Pourquoi la propulsion par le vent est-elle une solution sérieuse ? Pourquoi les carburants non fossiles ne sont qu’une partie de la solution ? Qu’attendre des carburants alternatifs ? Où en est la fabrication des systèmes aujourd’hui ?… Et il réplique avec une technicité qui peut parfois éconduire le lecteur mais devrait satisfaire la curiosité de quelques ingénieurs.
Substituer 235 Mt de fuel
Il est une urgence qui, elle, ne fera pas débat : répondre au défi d’un désastre écologique qui ne cesse de se préciser et respecter les injonctions réglementaires (OMI) que nul n’est plus censé ignorer : réduire par rapport à 2018 l’intensité carbone de chaque navire de 40 % d’ici 2030 et diminuer les émissions de gaz à effet de serre liées à l’ensemble de la flotte mondiale de 50 % d’ici 2050.
Les quelque 11 milliards de tonnes de marchandises à bord des quelques 50 000 navires marchands adressent à la planète une facture climatique de 919 Mt de CO2 dont 138 Mt pour la seule Union européenne. Or, les études se multiplient pour alerter sur l’état de l’art :
85 % des pétroliers et des vraquiers existants, soit 18 000 navires, auront des difficultés à respecter l’EEXI (indice d’efficacité énergétique pour les navires de jauge brute supérieure ou égale à 400), a prévenu la société de classification American Bureau of Shipping. 20 % de la flotte actuelle des vraquiers n’atteindra pas la contrainte requise d’ici 2023, et 55 % en 2030, assure de son côté Bureau Veritas.
Tout l’enjeu est de parvenir à substituer les 235 Mt de fuel consommées annuellement par des sources d’énergie plus propres. Et cela ne va pas tout à fait de soi pour un secteur qui n’a connu que des combustibles fossiles exonérés de taxes, peu chers et aux performances énergétiques inégalées. Un morceau de bravoure à réaliser donc dans un modèle économique acceptable sachant que les coûts de carburants peuvent représenter entre 20 et 35 % des dépenses d’exploitation du navire.
Les navires en compétition énergétique
« C’est implacable », conviennent les auteurs de la publication collective : « il n’existe pas de source d’énergie présentant la même densité énergétique volumique que le pétrole (le nucléaire mis à part). Pour un équivalent d’énergie, il y aura besoin de volumes beaucoup plus importants de carburants alternatifs. Leur usage multipliera par un facteur de 2 à 8 le coût de l’énergie à bord. ».
Tout aussi fatal est le constat de l'association : aucun carburant alternatif ne semble en mesure de remplacer le pétrole avant 2030 pour des trajets au long cours du fait du manque de maturité de ces solutions, des problématiques de stockage, de chaîne d’approvisionnement et de logistique…
Aucun des carburants actuellement envisagés – biocarburants, carburants de synthèse, hydrogène ou ammoniac, produits à partir d’électricité verte ou de biomasse, etc. –, ne satisfont les auteurs du livre blanc. Ils présentent pour certains des risques élevés du fait de leur compression ou liquéfaction, émettent des gaz à effet de serre lors de leur production, assènent-ils, et leur usage par le transport maritime entre en concurrence avec d’autres besoins énergétiques, plus prioritaires. A fortiori pour l’hydrogène, érigé en porte de salut climatique : la stratégie nationale, qui fixe un objectif d’installation de 6,5 GW d’électrolyseurs d’ici 2030, vise à décarboner d'abord les secteurs industriels lourds, ensuite les véhicules terrestres et le ferroviaire ensuite.
Jouer la complémentarité
En revanche, ces solutions sont toutes complémentaires avec la propulsion par le vent, selon Wind Ship qui aligne les promesses. En motorisation principale, elle est capable de propulser un navire de taille moyenne avec suffisamment de puissance pour opérer sur des lignes au long cours. Selon les tailles et types de navires, elle peut être une source de puissance complémentaire permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 5 à 20 % sur des navires existants, et de plus de 30 % sur de nouveaux navires.
Les nouveaux systèmes s’adaptent à presque tous les types de navires comme en témoignent les quinze premiers grands navires de charge équipés actuellement en test.
Convaincre
Enjeu majeur pour cet écosystème majoritairement composé de start-up : convaincre pour attirer notamment de la lumière et des capitaux. « On recense une trentaine d'entreprises technologiques dans ce domaine au niveau mondial, dont neuf en France. Les projets français présentent un niveau de maturité élevé [de l’ordre de 6 à 8, NDLR] puisque les deux tiers de ces équipementiers ont installé des démonstrateurs à terre ou mené des tests en mer. Deux usines de production sont déjà en construction », ajoute l’association qui fédère depuis 2019 les pionniers de la filière.
Deux prospectives, réalisées l’une pour la Commission européenne et l’autre pour le ministère des Transports du Royaume-Uni, estiment que jusqu’à 10 000 navires pourraient être équipés d’ici 2030 et jusqu’à 45 % de la flotte mondiale d’ici 2050.
En France, il reste à encore à faire la preuve du concept... de l’opportunité industrielle et politique, sésame pour décrocher un soutien public et privé qui dépasse le seul succès d’estime ou d’accompagnement psychologique.
Adeline Descamps
*Le livre blanc a été réalisée avec les membres de Wind Ship : Add Technologies, Airseas, AYRO, Beyond The Sea, Chantiers de l'Atlantique, CWS Morel, D-ICE Engineering, MerConcept, Mer Forte, Neoline, Zéphyr & Borée, TOWT et l'appui d’Armateurs de France, du Groupement des Industries et de la construction navale (GICAN), de l’Association des utilisateurs du Transport de Fret (AUTF), du Pôle Mer Bretagne Atlantique (PMBA) et de Bureau Véritas.
Du démonstrateur à la pré industrialisation
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