La contraction de l'indice manufacturier chinois en avril a trompé les attentes des analystes après un trimestre où il avait progressé au-delà des prévisions. Cette variabilité témoigne de la lente convalescence de la deuxième économie mondiale qui peine à se rétablir après une année où les moteurs ont été bridés par la dogmatique politique zéro-Covid.
L'indice officiel des directeurs d'achat (PMI) est tombé à 49,2 le moins dernier contre 51,9 en mars, passant sous le seuil qui sépare la croissance de la récession pour la première fois depuis décembre. Il était attendu par les marchés à 51,4. L'indicateur, qui traduit l'état du secteur manufacturier, ne se porte pas mieux aux États-Unis et dans la zone euro, où il est également du mauvais côté de la barrière.
Les commandes à l’export expliquent en grande partie le recul en Chine puisque le sous-indice qui les reflète a chuté à 47,6 en avril, contre 50,4 en mars.
Grande variabilité
L’évolution en dents de scie de l’économie chinoise, dont les piliers reposent sur le secteur manufacturier, la construction et les infrastructures, devrait se traduire dans la demande de matières premières, dont dépend le transport de vrac sec.
Dans ces secteurs à forte consommation de minerais de fer, principal ingrédient principal de l’acier, et de cuivre (arrivées en chute de 12,6 % au premier trimestre), les investissements dans les infrastructures ont augmenté de 8,8 % au premier trimestre par rapport à la même période de l’an dernier mais ont chuté de 5,8 % dans l’immobilier.
Des entrées maritimes qui font la part belle au pétrole et au charbon
Si le PIB (+ 4,5 %) a dépassé de 0,5 % les prévisions du marché, la croissance a surtout été tirée par la consommation de détail, stimuli surtout pour la demande de produits énergétiques, dont le pétrole et le charbon, lequel sert encore très largement en Chine à produire de l’électricité.
La demande d'électricité a augmenté de 5,1 % en mars en glissement annuel et de 2,4 % sur le premier trimestre. Les importations de pétrole brut ont progressé de 6,7 % au cours de trois premiers mois de l’année par rapport à la même période de l'année précédente. Une partie a été réexportée sous forme de produits pétroliers raffinés, dont les départs ont cru de 59,8 % au premier trimestre, les raffineurs ayant profité des nouveaux quotas d'exportation attribués et tiré parti de la bonne tenue des marges de raffinage.
Les entrées de charbon ont bondi de 96,1 % dans le même temps (effet de base par rapport aux faibles importations en 2022), suggérant que les importations maritimes de charbon ont été plus compétitives que le charbon domestique chinois. La Chine et l’Inde se sont littéralement jeté sur le charbon de l’Oural à prix cassé.
Pas le Grand soir pour le minerai de fer
En mars, la production chinoise d'acier brut a atteint 95,7 Mt, soit une augmentation de 6,9 % par rapport à mars 2022, selon la World Steel Association, largement au-dessus de la croissance moyenne mondiale à 1,7 % (165,1 Mt).
Toutefois, « la politique de contrôle de la production en Chine ayant été confirmée, il est peu probable que la Chine soit en mesure de maintenir ce niveau élevé de production pour le reste de l'année. En outre, les marges des aciéries ont été mises sous pression en raison d'une offre plus forte et d'une demande plus faible que prévu, ce qui a conduit de nombreuses aciéries chinoises à arrêter volontairement leurs fours ». précise l’association mondiale des producteurs d’acier.
Avril, mois d’un notable ralentissement
Hormis l’acier, le mois d’avril (données pas encore consolidées) devrait être celui d’un ralentissement notable : Kpler, dont les outils permettent de suivre en temps réel les entrées et sorties des matières premières, évalue les arrivées à 33,8 Mt contre 34,2 Mt en mars.
Les importations de brut sont également estimées à la baisse en avril par Refinitiv Oil Research, à 10,77 millions de barils par jour (Mb/j) par rapport aux 12,37 Mb/j en mars, ce qui pourrait n’être que conjoncturel (maintenance des raffineries).
Selon Kpler, la Chine a importé environ 98,67 Mt de minerai de fer maritime en avril, contre 100,23 Mt en mars (source douanière). Il faudrait recouper ces données avec les stocks sous douane pour juger du caractère conjoncturel ou structurel de la faiblesse de la demande et en déduire un difficile rebond.
Activité soutenue dans les ports mais avec l’intra-Asie
Pour autant, les ports chinois ont une activité toujours soutenue. La manutention a augmenté de 8 % au cours des trois premiers mois de l’année par rapport à l’an dernier contre 2 % au cours du précédent trimestre.
Le débit a été largement soutenu par les exportations vers l'Asie (+ 6 %), notamment vers les pays couverts par les nouvelles routes maritimes de la soie (Belt and Road, BRI) et par le RCEP* (Regional Comprehensive Economic Partnership) accord de libre-échange entre quinze pays autour de l'océan Pacifique entré en vigueur en janvier 2022.
Le volume de conteneurs a cependant considérablement ralenti, avec une croissance de 3 % contre 8 % au quatrième trimestre 2022.
Chute des exportations vers l'Amérique du Nord et l'Europe
Fitch Ratings l’attribue à la faiblesse de la demande américaine et européenne. Les exportations vers l'Amérique du Nord et l'Europe ont en effet chuté respectivement de 17 et 3 %.
Les résultats de Cosco Shipping Ports en témoignent avec une baisse marquée au premier trimestre 2023, contrairement aux ports desservant les marchés intra-asiatiques et de transbordement qui se sont relativement bien comportés.
La filiale portuaire du numéro quatre mondial de la ligne régulière a manutentionné 22,6 MEVP durant les trois premiers mois dans ses terminaux en Chine (22,5 MEVP premier trimestre 2022).
Performance du transport intra-asiatique
Les installations du Bohai Rim, la plus grande région dans le portefeuille du groupe, a performé avec des volumes en hausse de 10,6 %, à 10,5 MEVP, principalement tirés par la croissance à Qingdao (qui a gagné des services) et Dalian, porté par le marché intérieur et le transbordement).
En revanche, les ports du delta du fleuve Yangtze (y compris Shanghai), de la rivière des Perles et de la côte sud-est, sont en repli de 6, 8 et 21 % respectivement, précisément du fait de l’affaiblissement du commerce mondial.
Dans le portefeuille à l’international, les flux ont baissé de 1,5 %, à 7,6 MEVP.
SFCI, BDI, BDTI, parfaits calques de la situation
Les indicateurs phares du transport maritime sont à l'avenant de la situation. Le Shanghai Containerised Freight Index (SCF) a dégringolé de 80 % entre le premier trimestre 2022 et 2023 (- 78 % de Shanghai vers les États-Unis et - 87 % vers l'Europe). Le China Containerised Freight Index (CCFI) s’est rétracté de 68 %.
Le Baltic Dry Index (BDI), qui suit les tarifs des vraquiers, est en repli de moitié, qu’il faut aussi attribuer à la mollesse de la demande en Chine. Les revenus quotidiens moyens des capesize, qui transportent des cargaisons de 150 000 t de matières premières telles que le minerai de fer et le charbon, s’établit actuellement à 19 768 $.
Le prix journalier moyen des panamax, sollicités pour le transport de charbon ou de céréales avec sa capacité d'environ 60 000 à 70 000 t, s’élève à 13 512 $.
Quant aux vracs liquides, sans surprise, le Baltic Dirty Tanker Index (BDTI) a bondi de 51 % toujours entre le même trimestre d’une année. Il illustre le grand tohu-bohu dans les flux, consécutif aux sanctions frappant le brut et le diesel russes, contraints de trouver de nouveaux clients pour pallier l'approvisionnement européen.
Fitch s'attend à ce que la demande des États-Unis et de l'Europe reste faible au deuxième trimestre 2013, tandis que l'Asie devrait rester une zone de croissance pour les exportations et les ports, toujours sous l'impulsion du RCEP et de la BRI.
Adeline Descamps
* les dix pays membres de l’ASEAN (Birmanie, Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande et Vietnam) + Australie, Chine, Japon, Corée du Sud et Nouvelle-Zélande, qui possèdent déjà un accord de libre-échange bilatéral avec l'ASEAN.