Le cognac, otage du bras de fer entre la Chine et l'Union européenne

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Le cognac est sur le qui-vive depuis l'ouverture en janvier par Pékin d'une enquête sur les eaux-de-vie à base de vin importées de l'Union européenne et la décision en octobre des pays membres d’appliquer ces surtaxes aux véhicules électriques importés de Chine. Le cognac représente 95 % des brandys européens, avec les États-Unis et la Chine en tout premiers clients.

Depuis octobre, l’intensification de la guerre commerciale entre Bruxelles et Pékin, qui prend le cognac en otage, n’en finit plus de créer des ricochets. Le cognac est sur le qui-vive depuis l'ouverture en janvier par la Chine d'une enquête sur les eaux-de-vie à base de vin importées de l'Union européenne, qui a conclu selon Pékin à « des preuves de dumping ».

Le ministère chinois du Commerce impose depuis le 11 octobre aux importateurs de brandys européens, dont le cognac représente 95 % du total, de fournir une caution ou une lettre de garantie bancaire auprès des douanes chinoises, dans le cadre d'une enquête anti-dumping. Ce dépôt de garantie sera débité rétroactivement si la Chine décide formellement d'appliquer des surtaxes douanières en compensation d'une concurrence jugée déloyale par les producteurs européens de brandy. L'UE avait appliqué le même mécanisme ces derniers mois, jusqu'à la décision en octobre des pays membres d’appliquer ces surtaxes aux véhicules électriques importés de Chine. Malgré l'opposition des Allemands, les pays membres de l'UE avaient fini par voter en octobre en faveur de l'ajout aux 10 % des droits de douane existants d'une surtaxe allant jusqu'à 35 % sur les véhicules à batterie de fabrication chinoise. Ces droits compensateurs sont entrés en vigueur fin octobre.

Bruxelles cherche à rétablir des conditions de concurrence équitables avec les constructeurs chinois largement subventionnés, fait valoir la Commission. L'UE juge leurs prix artificiellement bas en raison des aides de l’État chinois qui, selon Bruxelles, faussent la concurrence. « Nous sommes raisonnables. Nous avons mené une enquête sérieuse, (...) nous avons pris des décisions appropriées et très proportionnées, et je ne pense pas qu'il y ait la moindre raison de réagir à ces décisions proportionnées par des représailles », justifie la Commission européenne.

Un enjeu fort autour du cognac

Il y a un enjeu fort pour la filière française du cognac (72 500 emplois). Il représente à lui seul 95 % des brandys européens. Les exportations de la liqueur totalisent 98 % des ventes, pour un montant de 3,35 Md€, avec les États-Unis (38 % des expéditions) et la Chine (25 %) en premiers clients. « La France s'est placée devant un choix des plus difficiles. Il y a la préservation de sa filière automobile électrique et puis il y a aussi le souci de préserver un des fleurons de l'agriculture française, avec le cognac », avait déclaré la ministre française de l'Agriculture Annie Genevard.

En novembre, des centaines de salariés de la maison française de cognac Hennessy, filiale du groupe de luxe LVMH, ont fait grève à deux reprises pour protester contre un projet d'export en vrac vers la Chine (pourtant suspendu) visant à contourner les surtaxes douanières chinoises (35 % sur les bouteilles vendues en Chine). De son côté, Hennessy, qui « dément formellement tout projet de délocalisation de sa production à Cognac », a précisé que l'étude dont il est question porterait exclusivement sur la prestation de mise en bouteilles, « qui pourrait être provisoirement confiée à un prestataire basé en Chine, sous conditions du résultat des études à mener ».

Bien que la levée de boucliers des salariés ait conduit la direction à suspendre son projet, l'inquiétude reste vive dans la filière, la mobilisation ayant contaminé les salariés d'autres maisons. Les manifestants réclament notamment une extension de l'appellation d'origine contrôlée (AOC) pour inclure des règles protégeant l'embouteillage local, sur le modèle du champagne. Les syndicats entendent saisir le Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC) pour faire évoluer le cahier des charges dans ce sens.

Des bénéfices en baisse de 17 % pour Rémy Cointreau

Fin novembre, le groupe de spiritueux Rémy Cointreau (cognac Rémy Martin, gin The Botanist), affecté par l'atonie des ventes aux États-Unis et la morosité de la consommation en Chine, a annoncé des bénéfices (92 M€) en recul (- 18,6 %) au premier semestre de son exercice décalé pour un chiffre d'affaires de 533 M€ (- 16,2 %). « Dans un contexte économique et géopolitique complexe, Rémy Cointreau a su préserver sa marge grâce à une gestion rigoureuse des coûts notamment », a déclaré Eric Vallat, le directeur général du groupe, qui a lancé pour cet exercice annuel un plan de réduction des coûts de 50 M€.

La santé de Rémy Cointreau repose sur le cognac (près des deux tiers de son chiffre d'affaires) et dépend de la demande chinoise qui apprécie ce digestif haut de gamme. Or, pour ses deux principaux marchés, la société est plutôt négative. À ce stade, pour son marché Amériques, elle n'envisage « pas de reprise de la croissance avant le quatrième trimestre 2024-25, au plus tôt ». En Asie-Pacifique, elle prévoit une « détérioration séquentielle des ventes au second semestre par rapport au premier ». La direction a précisé qu’elle excluait l'exportation de cognac en vrac en Chine. « Il n'y a aucune intention d'embouteiller en Chine. Je pense qu'il y aurait plus à y perdre qu'à y gagner », a commenté le dirigeant.

Aux États-Unis, la société reste sur ses gardes quant à ce que va réellement faire le président élu Donald Trump, investi le 20 janvier. Le candidat à la Maison Blanche en campagne avait menacé de taxer de 10 à 20 % les produits européens. « Une imposition de 10 % aurait un impact négatif mais sans être du même niveau que les droits potentiels en Chine. Cela ne remettrait pas en cause notre stratégie aux États-Unis et nos investissements en faveur de nos marques. »

Adeline Descamps

 

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