Entre janvier et septembre, 79 incidents ont été déclarés auprès du Bureau maritime international de la Chambre de commerce internationale (CCI), point de contact unique pour signaler les actes de piraterie et les vols à main armée. Parmi les quelque 80 signalements, 45 ont été localisés en Asie du Sud-Est et 12 dans le sous-continent indien.
Asie du Sud-Est : Retour confirmé
Les neuf premiers mois de l’année confirment donc le retour des exactions en Indonésie à moins que l’accalmie observée entre 2021 et 2023 (six en 2021 contre 23 en 2020) soit exclusivement le fait de la pandémie. Il y a eu 17 événements notifiés en 2024, soit cinq de plus qu’en 2023.
Quant au détroit de Singapour, haut-lieu historique de la piraterie maritime, un avertissement général avait été émis dès décembre 2019 face à une augmentation soudaine des incidents, en particulier pendant la nuit. Le BIM, qui ne fait pas que référencer les actes mais assure aussi la liaison avec les organismes d'intervention en cas d’attaques, maintient sa vigilance active. Toutefois, contrairement aux côtes africaines où les pirates sont armés et violents, ils se montrent dans cette région du monde manifestement moins téméraires. « Ils abandonnent et s'éloignent lorsque l'alarme est déclenchée et que les autorités sont averties », précise le centre de signalement du Bureau.
En revanche, dans le détroit de Malacca, qui comme tous les « choke point », sont propices à l’expression de la criminalité en tout genre, le nombre de déclarations a considérablement diminué en raison de l'intensification des patrouilles des autorités des États côtiers depuis juillet 2005.
Golfe de Guinée : le niveau le plus faible depuis 1996
La période étudiée atteste aussi de la faible contribution de la région du golfe de Guinée, repaire de la piraterie maritime pendant des décennies. Avec seulement 12 faits remontés, c'est encore neuf de moins qu’en 2023 et surtout le niveau le plus faible depuis 1996. Les incidents se comptaient par dizaines en 2020 (46).
Neuf relèvent de la définition du vol à main armée et trois de la piraterie à proprement parler. Toutefois, la sécurité des équipages reste un sujet de préoccupation dans la mesure où 11 membres d'équipage ont été enlevés et 21 pris en otage dans la région.
Regain en Somalie
La reprise de la piraterie en Somalie, où elle avait été littéralement éradiquée depuis 2018 (excepté en 2021 avec un acte), est une autre réalité. Sur les neuf premiers mois de l’année 2024, huit attaques ont été remontées, dont trois détournements et deux avec des tirs. Actuellement, d’après la force navale européenne, plusieurs groupes d'action pirates opèrent au moyen de skiffs lancés à partir de navires-mères, qui peuvent être des chalutiers ou des boutres motorisés détournés afin d'accroître leur rayon d'action. En général, les pirates somaliens sont bien armés, équipés d'AK-47 et de lance-roquettes.
Ce regain, observé depuis novembre 2023, nourrit en tout cas les craintes d'une résurgence dans l'océan Indien, ce que le rapport annuel sur la piraterie et le banditisme maritime pour 2023 avait déjà confirmé. Pour les spécialistes, ce regain d'intérêts maveillants pour la corne de l’Afrique n’est pas sans liens avec le fait que les forces navales étrangères soient accaparées par la lutte contre les Houthis du Yémen, situation offrant une fenêtre d'impunité aux pirates somaliens
Dans cette région, la présence de gardes armés à bord de navires commerciaux et les patrouilles des bâtiments de guerre déployés à des fins de sécurisation par l'UE dans le cadre de la mission de sécurité maritime Eunavfor Atalante, par l’OTAN avec l'opération Ocean Shield et par les États-Unis sous la Combined Joint Taskforce-Horn of Africa, ont eu un effet dissuasif. Selon les données du Lloyd’s List, de 2005 à 2012, entre 339 à 413 M$ auront été versés en rançons pour des actes commis dans la zone .
Essentiellement des abordages
Toutes régions du monde confondues, les mois de janvier et de mai ont été les plus exposés à la violence avec 19 et 14 attaques. La prise de contrôle du navire reste encore éloignée des pratiques (seul quatre capitaines de navires ont renseigné cet emploi) : la très grande majorité (62) parmi les 79 assauts ont été des abordages.
Si le nombre d'incidents signalés est le plus bas depuis trente ans, la violence des attaques est encore montée d’un cran : les criminels ont brandi des armes, des fusils et des couteaux dans 45 incidents. 125 membres d’équipage ont été directement concernés par les agressions, 111 ayant été retenus en otages et 11 ont été kidnappés.
Des navires et des ports, maillons faibles
Étrangement, les vraquiers restent leur principale cible (30) loin devant la seconde catégorie de navires attaqués (12 transporteurs de produits pétroliers). Parmi tous les faits recensés, 31 ont été effectués quand les navires étaient au mouillage. Les pavillons du Liberia et du Panama sont dominants, reflétant aussi leur suprématie dans l’enregistrement des navires au niveau mondial.
Trois ports – Luanda (Angola), Chattogram (Bangladesh) et Dumai (Indonésie) –, ont connu plus de trois incidents, si bien qu’à eux trois, ils en totalisent près de 20.
Les incidents se sont multipliés au mouillage de Chattogram ces derniers temps alors que les faits de piraterie, encore à l’arme blanche et majoritairement de nuit, ont considérablement diminué au cours des dernières années grâce aux efforts des autorités bangladaises.
Des incidents marquants
Parmi les incidents les plus graves recensés figurent le cas du pétrolier Palau Fidan, détourné en mai à 670 km de Nova Sintra (Cap-Vert) par une dizaine de pirates munis de fusils AK-47. Ils ont fait croire aux 21 membres de l’équipage, après les avoir rassemblés, que des engins explosifs étaient fixés sur toutes les portes. Après avoir dépouillé les marins et les biens du navire, ils ont endommagé les équipements de communication et de navigation ainsi que des composants critiques du moteur.
En juin, en Guinée équatoriale, les membres d'équipage du Hana 1, un navire-citerne battant pavillon Tuvalu, ont vu des hommes armés surgir sur le pont en ouvrant le feu sur le pont pour y accéder. Ils ont enlevé neuf membres d'équipage, dont le capitaine et le chef mécanicien. Le reste de l'équipage a réussi à mener le pétrolier vers un port sûr avant de signaler l'incident aux autorités.
Dans le Golfe d'Aden, le 10 mai, c’est un autre pétrolier (Chrystal Arctic), battant pavillon des Îles Marshall, qui essuie le tir de cinq à six flibustiers vêtus de noir et armés de fusils AK-47 et de RPG à bord d'un skiff. Le capitaine a eu le temps d’actionner la corne du navire et de changer de cap. Mais les assaillants persistent. Les gardes armés leur manifestent alors qu’ils sont armés mais sans les dissuader pour autant. S'ensuivent des échanges de tirs. Le pétrolier prend feu mais parvient à fuir. Les 27 membres de l'équipage ont été déclarés sains et saufs.
En Indonésie, plusieurs navires-citernes ont été arraisonnés par des agresseurs armés de fusils, séquestrant l'équipage, les dépouillant de leurs effets personnels, emportant la cargaison et coupant toute possibilité de communication à bord avant de prendre la fuite.
Abdullah et Ruen, symptomatiques d'un mode opératoire
Mais les événements que la presse a beaucoup relayés restent les Abdullah et Ruen. Le premier battant pavillon du Bangladesh a été détourné le 12 mars par des pirates armés alors qu'il transportait environ 55 000 t de charbon du Mozambique vers les Émirats arabes unis. Il naviguait à l'est de Mogadiscio, en Somalie, lorsqu’il a été pris d’assaut avec ses 23 membres d'équipage, retenus en otages. Ils seront libérés plus d’un mois plus tard, après paiement d'une rançon par l'exploitant du navire, SR Shipping. « Nous ne discuterons ni ne révélerons le montant de la rançon », avait coupé court le porte-parole de la compagnie.
Dans ce genre de transaction, on n’est jamais loin du rocambolesque. L'épouse du capitaine Mohammed Abdur Rashid a déclaré à la presse locale que son mari lui avait dit qu'un avion avait largué trois sacs remplis de dollars américains destinés aux pirates. Les 65 pirates ont quitté les lieux à bord de neuf navires avec le butin qui servira en partie à alimenter leur guérilla.
Quant au Ruen, premier acte de piraterie réussi au large de la Somalie depuis 2017, les 17 membres d’équipage auront été retenus trois mois avant que les commandos indiens finissent par reprendre le navire en mars des mains des pirates. 35 d’entre eux ont été conduits à Mumbai pour y être jugés. Ils réclamaient une rançon à l’armateur bulgare Navibulgar. Une intervention de 40 heures et d'importants moyens auront été nécessaires.
En récupérant le navire, les forces marines indiennes estiment surtout avoir « contrecarré les projets des pirates somaliens ». Les Ruen et Abdullah sont susceptibles d'avoir été employés en tant que navires-mères, le temps de leur détention par les pirates somaliens.
La mer Rouge, des eaux critiques mais sans lien avec la piraterie
Restent les cas très particuliers de la mer Rouge et du Golfe d’Aden où les incidents sont en augmentation mais mais sans liens avec la piraterie. Une autre violence s’exprime, celle des rebelles houthis en soutien au Hamas palestinien dans sa guerre contre Israël.
« Les navires transitant dans ces eaux sont exposés à un risque accru en matière de sécurité. Ils sont approchés par des skiffs et interpellés par VHF, apparemment par les forces navales yéménites, afin qu'ils changent de cap pour entrer dans les eaux yéménites, indique la CCI, qui appelle à l'extrême vigilance les capitaines et les invite à « signaler immédiatement toute activité de ce type aux navires de guerre de la coalition internationale sur le canal 16 de la VHF ».
Les navires transitant dans le golfe d'Aden, le sud de la mer Rouge et Bab-El-Mandeb peuvent être accueillis depuis la fin de l'année dernière par une pluie de missiles, de roquettes, d'engins de longue portée voire des drones maritimes de surface naval sans pilote (USV). Une criminalité aux motivations idéologiques et politiques. Loin des codes de la piraterie.
Adeline Descamps