Ukraine-Russie : une décision mi-figue mi-raisin sur les céréales

Mis en œuvre par l’ONU, l’accord arraché aux parties belligérantes pour permettre l’exportation des céréales ukrainiennes arrive à échéance le 18 mars. Il va être prolongé mais pour une courte durée de 60 jours. Depuis l’entame des négociations portant sur sa prolongation, les marchés sont crispés, contribuant à la remontada du BDI, le baromètre du vrac sec.

Depuis plusieurs jours, le marché céréalier est suspendu aux négociations sur la prolongation du corridor maritime qui permet depuis le 1er août 2022 à l'Ukraine d'exporter des céréales en dépit du blocus maritime. Mise en œuvre à l’initiative de l’ONU, l’accord arraché aux parties belligérantes avec la médiation de la Turquie pour ne pas aggraver la crise alimentaire qui frappe de nombreux pays importateurs vulnérables arrive à échéance le 18 mars après avoir été prolongé une première fois de 120 jours supplémentaires en novembre. Non sans difficultés. 

La Russie demande un assouplissement des sanctions

La reconduction est acquise mais la Russie souhaiterait limiter la durée de l’accord à 60 jours, au grand dam mais aussi au grand soulagement des marchés. Elle était loin d’être acquise. Á nouveau, en amont des tractations, la Russie a menacé de ne pas signer la prorogation, pointant les failles du système, et demandant la levée des sanctions occidentales sur ses propres exportations de céréales et d'engrais tandis qu’elles affectent aussi ses paiements bancaires et l'approvisionnement en ammoniac par l'oléoduc Togliatti-Odessa. En novembre, après s’être retiré de l'accord en réponse aux attaques de drones contre ses forces marines, le Kremlin avait finalement repris sa participation.

L’Ukraine plaide pour une extension des ports et de la durée

De son côté, le grenier à blé du monde plaidait pour une extension au-delà des trois ports de l’accord initial, à savoir Odessa, Yuzhnyi et Chornomorsk, afin d’intégrer un quatrième port : Mykolaevqui représentait 35 % des exportations alimentaires ukrainiennes avant l'invasion russe. Kiev demandait en outre de porter la durée du contrat à un an et insistait sur la nécessité d’une augmentation des ressources affectées à l’inspection, dont le sous-dimensionnement est responsable de l'accumulation de navires en attente. 

L'Ukraine a accusé à plusieurs reprises la Russie de retarder les inspections des navires en n’allouant pas des ressources suffisantes, toujours au nombre de trois équipes. « L'ONU, la Turquie et l'Ukraine sont prêtes à mener 40 inspections par jour si nécessaire. Et il y a un tel besoin car environ 140 navires sont en attente d'inspection », avait déploré le vice-président ukrainien.

Les expéditions ont ralenti pendant les mois d'hiver, mais lors de sa dernière mise à jour, le centre de coordination d'Istanbul a indiqué qu'il avait reçu 99 demandes. À la fin de la semaine dernière, 12 navires attendaient d'être inspectés avant de se rendre en Ukraine et 21 autres pour en sortir. Plus de 770 voyages sortants ont été effectués depuis le début du programme.

Les exportations restent insuffisantes en dépit d’une faible récolte

L'Ukraine exporte environ 3 Mt de produits agricoles par mois dans le cadre de l'accord, mais les autorités ukrainiennes estime que le pays pourrait exporter 6 Mt par mois à partir des ports de la région d'Odessa et 8 Mt si Mykolaev est intégré à l'accord. Depuis la mise en place, cette « initiative de la mer Noire», de son nom anglais « Black sea grain initiative », 24 Mt de céréales et oléagineux (tournesol) ont pu être exportés depuis les trois ports ukrainiens limitant

En dépit d’une faible récolte de céréales en 2022, à environ 54 Mt contre 86 Mt en 2021, au moins 30 Mt sont encore dans les silos. Prêts à être exportés.

Les marchés sont crispés et contribuent à l’envolée du BDI

Les marchés sont crispés. Si le blé n’est pas le seul à mettre le vrac sec en ébullition, il n’y est pas étranger. Après des mois d’un sommeil paradoxal, l’enfant terrible du transport maritime est sorti il y a quelques jours de sa léthargie. Une forte demande de vraquiers a porté le BDI, l'indice de référence pour le transport de marchandises sèches, à un plus haut de plus de 11 semaines, tirant tous les catégories de navires.

En amont des pourparlers, la dynamique de repli des prix des céréales – hyper volatils – engagée il y a un mois a été stoppée net. Sur le marché européen, la tonne de blé tendre, descendue le 10 mars à son plus bas niveau en 13 mois, s'échangeait ces derniers jours autour de 268 €. Le cours du maïs suivait la même tendance, atteignant les 264 € la tonne sur Euronext. 

Pour rappel, la Chine, qui a intérêt au maintien du corridor, est un des plus gros clients de l'Ukraine pour le maïs. Sans doute, l’argument a joué pour infléchir la position du Kremlin qui s’en sort avec une décision mi-figue mi-raisin.

Sur les marchés, les flux se réorganisent : l'Arabie saoudite, qui avait lancé un appel d'offre pour 480 000 t de blé, en a finalement acheté un million, en grande partie russe.

Adeline Descamps

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