Incendies et taille des navires, les deux fléaux de la sécurité maritime  

Les incendies et les incidents sur les porte-conteneurs et les rouliers génèrent des dommages de plus grande ampleur, indique Allianz, qui vient de publier son rapport 2022 sur la sécurité maritime. Les procédures d’avarie commune sont de plus en plus fréquentes. La récurrence des événements pose de nouveaux défis notamment au niveau du dimensionnement de secours. Démonstration en exemples.

Les assureurs se seraient bien contentés de l’existant déjà bien chargé par les deux années de perturbations en mer consécutives à la crise sanitaire qui ont accru les risques et gonflé les demandes d'indemnisation du fait de la sursollicitation des ports, de la saturation des espaces de stockage de conteneurs, des rotations accélérées, des pénuries du personnel confiné, du recours à des effectifs d’appoint, etc. La guerre en Ukraine est susceptible d’accroître l’incidence des dommages causés aux navires et au fret, anticipe le rapport annuel sur la sécurité maritime 2022 que vient de publier l’un des grands souscripteurs du transport maritime, Allianz Global Corporate & Specialty (AGCS) 

Ces deux dernières années, note l’assureur, les incendies ont été plus nombreux. L’incidence des avaries communes s’est aussi accrue. La prolongation de la durée de vie des navires (en 10 ans, selon l’IUMl, l’âge moyen de la flotte mondiale pour les navires de plus de 2 000 tonnes brutes est passé de 13 à 14,7 ans) rudoie les machines et les systèmes (les bris de machines ont d’ailleurs été la principale cause des sinistres l’an dernier). Le changement de destination du navire avec le recours aux vraquiers voire aux pétroliers pour transporter des conteneurs afin de pallier les pénuries de porte-conteneurs créé de nouveaux risques (stabilité et calage des boîtes).  

Du mieux en dix ans

Sur le long terme, l’assureur allemand note toutefois une amélioration sensible de la sécurité. Le nombre annuel de pertes totales de navires (de plus de tonnes brutes) a diminué de 57 % depuis 2012, à 54 en 2021 contre 65 en 2020, sur un ensemble de 3 000 incidents maritimes recensés (en augmentation). 

« Au début des années 1990, la flotte mondiale perdait plus de 200 navires par an. Depuis quatre ans, ce nombre se situe entre 50 et 75 par an. Cette baisse est d’autant plus notable qu’on compte actuellement quelque 130 000 navires contre 80 000 il y a trente ans », relèvent les auteurs du rapport qui y voient le résultat du renforcement de la réglementation, de l’amélioration de la conception et des technologies des navires, et sans doute d’une meilleure maîtrise des risques. 

Pour autant, sur dix ans, 892 navires sont passées par pertes et fracas, à 80 % pour trois raisons principales : les pertes par le fond (52 %), les échouements (18 %), et les incendies et explosions (13 %).  

Explosion et incendies 

La grande problématique, qui émerge depuis quelques années, reste posée par l’explosion des… incendies, qui se sont matérialisés ces derniers temps par de spectaculaires incidents.  

Rien que sur les deux dernières années, le transporteur de voitures Felicity Ace, qui a sombré début mars avec ses 3 965 berlines de luxe, après avoir erré en fer au large de l'archipel portugais des Açores, et le feeders X-Press Pearl, qui a rodé au large de Colombo en mai 2021, alors que les flammes dévoraient sa coque et sa cargaison, ont été déclarés en pertes totales. 

En septembre 2020, le pétrolier New Diamond avait brûlé pendant une semaine entière au large de la côte orientale du Sri Lanka après une explosion dans la salle des machines qui a tué un membre d'équipage. Une marée noire de 40 m de long s'en était suivie.  

Ce sont loin d’être des cas isolés. Le 31 décembre 2018, le Sincerity Ace s’était soldé par une perte totale du navire, cinq morts et des disparus. L’association Robin des Bois a référencé sept autres navires depuis 2015 qui ont connu des événements similaires et tous ont été déclarés en pertes totales : Hoegh Xiamen Diamond Highway ; Grande America ; Baltic Breeze ; Auto Banner ; Silver Sky et le Courage.  

« Sur les grands navires, le feu peut se propager rapidement et être très difficile à maîtriser. Pour les seuls porte-conteneurs, plus de 70 incendies ont été enregistrés dans les cinq dernières années », rappelle l’assureur.  

Fret mal déclaré et défaut d’arrimage

Les « origines du mal » ont été largement renseignées. Les départs de feu dans les conteneurs inquiètent tout particulièrement la communauté maritime. L’année 2019 avait été tellement meurtrière que certains armateurs avaient actionné la sanction financière pour tromperie sur la marchandise, qu’elle ait été commise avec la volonté délibérée de frauder (pour éviter les coûts et exigences supplémentaires), par erreur ou méconnaissance des règles d’étiquetage et d’emballage.  

Il est estimé qu’environ 5 % des conteneurs transportés contiennent des marchandises dangereuses non déclarées. Or, le fret est placé à bord selon des règles spécifiques de manutention, d’arrimage et de stockage en fonction du contenu et du poids indiqués dans la déclaration du chargeur. Les réglementations qui encadrent la sécurité du chargement et son arrimage existent pourtant mais sont peut-être dépassées par l’évolution du transport maritime. L’OMI est en tout cas attendu sur ces sujets.  « À court terme, l'examen des protections et des équipements de détection et de lutte contre l’incendie doit être entrepris en urgence », indique pour sa part Allianz. 

Batteries électriques à bord

Si la précieuse et ruineuse cargaison du Felicity Ace partie en fumée (Porsche, Bentley, Audi, Lamborghini) évaluée à 400 M$, a frappé les esprits, l’événement a également ouvert le dossier des voitures électriques à bord, notamment en raison de la présence de batteries lithium-ion, particulièrement inflammables et explosives et dont la présence complique la lutte contre l’incendie.  

En avril, sans doute traumatisé par la mésaventure de son Felicity Ace, la compagnie japonaise MOL, qui exploite l'une des plus grandes flottes de transporteurs de voitures au monde, a annoncé qu'elle renonçait à transporter des voitures d'occasion équipés de packs de batteries au lithium.  

Pour les armateurs mais aussi les chargeurs, la donne risque en effet de changer. « Leur transport peut exiger des changements dans la conception des navires, dans les capacités de lutte contre l’incendie, ainsi que dans les procédures de chargement des marchandises. Les batteries peuvent prendre feu si elles sont endommagées, se renverser si elles n’ont pas été correctement calées, exploser près d’une source de chaleur (…) Les équipages doivent être spécialement entraînés et munis de d’équipements adaptés », énumère Allianz. 

Taille des navires et dimensionnement des secours

La taille des navires questionne aussi le dimensionnement des secours lorsqu’un grand navire est en difficulté. Le porte-conteneurs Ever Forward, qui s’est échoué dans la baie de Chesapeake aux États-Unis, y est resté pendant un mois avant d’être renfloué, alors que son sistership, l’Ever Given, dont le bulbe d’étrave s’est encastré dans le canal de Suez pendant six jours, en mars 2021, avait été autrement spectaculaire. Le sauvetage du roulier Golden Ray, qui a chaviré à la sortie du port américain de Brunswick en 2019, avait pris près de deux ans et a coûté plus de 800 M$. 

Dans le cas des deux porte-conteneurs d’Evergreen, la facture est également salée car l’armateur taïwanais a déclaré l’avarie commune. Comme cela avait également été le cas pour les NYK Delphinus et Northern Jupiter en 2021. 

La procédure, par laquelle l’armateur et les chargeurs partagent au prorata les dommages et les frais du remorquage et sauvetage, se banalise. « Elle est beaucoup plus souvent utilisée qu’il y a cinq ans », reconnaît l’assureur. Le renflouement de l’Ever Forward a en effet nécessité le déchargement en toute sécurité de milliers de conteneurs. 

La mauvaise expérience du porte-conteneurs X-Press Pearl a aussi mis en évidence la nécessité de prévoir des ports-refuges en cas de grande difficulté. Le feeder s’est abimé en mer après s’être vu refuser l’accès à deux ports en raison d’un incendie à bord. « Ce qui devrait être un incident gérable s’achève trop souvent sur un grand navire par une perte totale », souligne Allianz. 

Effondrement de conteneurs

Reste le grand sujet du moment : l’effondrement des piles de conteneurs et les boîtes passées par-dessus bord. Un phénomène toujours en attente de solutions alors qu’il fait régulièrement l’objet de conférences dont une particulièrement intéressante en mars 2021, organisée par le Cedre, spécialisé dans les pollutions accidentelles. 

Les événements deviennent épidémiques. Une analyse sur 12 ans (2008-2019) indique qu’une moyenne de 1 382 boîtes échouent en mer chaque année. Mais ces trois dernières années, la tendance était à la baisse, avec 779 unités selon le World Shipping Council dont les données reposent sur des informations renseignées par ses membres armateurs.  

Le dernier en date remonte à mars 2022, lorsque près de 90 conteneurs ont été perdus et 100 autres endommagés sur le porte-conteneurs Dyros, en raison des conditions météorologiques dans l’océan Pacifique Nord. C’est le dernier d’une longue série qui porte une charge environnementale et humaine lourde: CMA CGM Otello (perte de 48 conteneurs), CMA CGM Verdi (85 unités), Hyundai Fortune (60 à 90 conteneurs, dont 7 conteneurs remplis d’hypochlorite de calcium), MSC Napoli (119 pertes), M/V Rena (169), SS El Faro (33 décès et 517 pertes), Annabella, Pacific Adventurer, Svendborg Maersk, CMA CGM Washington, Yang Ming Efficiency, MSC Zoe (342), APL England (81), MOL Comfort (4 293), E.R. Tianping (76), Ever Liberal (36)ONE Aquila, ONE Apus (1 816)Maersk Essen (750), Maersk Eindhoven (260)…  

Rotations à cadence accélérée

Le gigantisme exacerbe le phénomène. Les mastodontes de dernière génération sont capables d’embarquer 24 000 EVP et d’aligner 24 rangées de conteneurs au-dessus du pont, autant dans le sens de la longueur, et d’empiler jusqu’à 24 conteneurs, 12 dans les cales et 10 à 12 en pontée. À pleine charge, les piles, hautes de cinq à six étages, offrent une forte prise au vent. Les mouvements de roulis sont complexes. Les torsions et frictions qui en découlent s’exercent aussi sur les piles de conteneurs (tassement, soulèvement…). Et plus la pile est élevée, plus les tensions sont fortes. Surtout par mer agitée. Un arrimage défectueux et un emballage inadapté sont souvent mentionnés dans l’accidentologie.  

Outre le roulis paramétrique et synchrone, le rapport de l’assureur soulève d’autres facteurs de risque. « Les durées de rotation dans les ports sont relativement brèves. Il peut donc arriver qu’un navire prenne la mer avant que l’équipage ait vérifié les calculs complexes de chargement et de ballast ou qu’il ait sécurisé la cargaison pour limiter le risque d’incendie ou de glissement ». 

Cyberattaques et décarbonation, nouveaux risques

Enfin, plus insidieuses car elles s’infiltrent dans les systèmes d’information, les cyberattaques se sont aussi multipliées ces deux dernières années. Et à encore la dernière enquête en date réalisée par la société CyberOwl et le cabinet d'avocats HFW, les entreprises seraient encore mal appareillées. « Malgré cette menace croissante, la compréhension du risque cybernétique reste relativement faible. Il en va de même pour l’appréhension qu'a le secteur de ses responsabilités et obligations », indiquent les auteurs de cette étude.  

Enfin, la décarbonation, qui sollicite de nouvelles technologies de propulsion, à l’instar de l’ammoniac, du méthanol, de l’hydrogène ou des packs de batteries, sont susceptibles de modifier le paysage des risques. En attendant que les technologies soient éprouvées et que les équipages soient rompus aux nouveaux usages. 

Adeline Descamps 

Impact de la guerre en Ukraine sur la sécurité ?

La guerre en Ukraine a multiples répercussions : pertes de vies humaines et de navires, intensification de la crise des équipages, perturbations des échanges, poids des sanctions, coût et disponibilité du combustible de soute. Les assureurs s’attendent à une augmentation des demandes d’indemnisation au titre des risques de guerre maritime, pour les navires endommagés ou perdus en raison de mines sous-marines, de tirs de missiles et de bombardements dans la zone de conflit en mer Noire et en mer d’Azov. Même si le nombre de sinistres en assurance maritime est actuellement faible.

« Les demandes d’indemnisation au titre de l’assurance maritime corps et cargaison pour les navires pris dans le conflit pourraient soulever des questions juridiques et nécessiter l’interprétation de contrats complexes. » 

Les navires pris au piège en mer Noire représentent un problème particulier, souligne encore Allianz. Plus les navires seront immobilisés longtemps plus il sera difficile de maintenir les conditions de vie des personnels, de préserver l’intégrité du fret et d’assurer l’état de navigabilité… A.D

Human Rights at Sea : « Les crimes de guerre commis contre la marine marchande doivent faire l'objet de poursuites pénales » 

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