Crimes de guerre. La notion obéit à une définition stricte du droit international des conflits armés qu’il revient à la cour pénale internationale d’apprécier. Mais les ONG n’hésitent plus à en faire usage. Même en temps de guerre, sous les feux des bombes et le va-et-vient des chars d'assaut, il existe des règles de conduite. Le droit international de la guerre et humanitaire est consigné dans un corpus de textes qui encadre et codifie les opérations de guerre ainsi que l’emploi des armes pour en minimiser les impacts, en particulier à l'égard des populations et des installations civiles.
Qu’il s’agisse du nombre de civils blessés et tués, de personnes déplacées, de pertes militaires… aucun bilan précis des victimes civiles n'est disponible et toutes les données sont à prendre avec beaucoup de prudence car elles peuvent difficilement être corroborées sur le terrain par des organismes dépendants. Information et désinformation font partie des armes de guerre. Une seule certitude : elles sont trop nombreuses.
Mais le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) estimait à 4 335 le nombre de victimes civiles dans le pays – 1 842 tués et 2 493 blessés –, selon des données arrêtées au 11 avril. L’organisation précise toutefois que « les chiffres réels sont considérablement plus élevés » car il y a un temps entre la réception des informations et la vérification sur le terrain, indique-t-elle, si tant que les ONG puissent avoir accès aux lieux pour rassembler les preuves, essentielles pour qualifier les atrocités commises sur le terrain en « crimes de guerre ». « La plupart des victimes civiles enregistrées ont été causées par l'utilisation d'armes explosives ayant une large zone d'impact, notamment des tirs d'artillerie lourde et de systèmes de roquettes à lanceur multiple, ainsi que des frappes de missiles et aériennes », assure l'organisation.
10,5 millions de déplacés, 40 à 50 000 déportés
Plus de 10,5 millions de personnes ont été déplacées, que ce soit à l’intérieur de leur pays ou à l’extérieur où elles deviennent des réfugiés, décompte le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). Cela correspond à environ un quart de la population. Les estimations font par ailleurs état de 13 millions de personnes dans un besoin urgent d’aide humanitaire en Ukraine. Selon le gouverneur de la région de Donetsk, Pavlo Kyrylinko, cité par le JDD, « il y aurait au moins 40 000 déportés et 50 000 certainement ». Le terme de « déporté » résonne particulièrement en Ukraine et convoque les heures sombres d’une Histoire saturée de mémoire. Certains récits, recueillis par des journalistes, sont terrifiants.
Un bilan civil difficile à établir faute d’accès aux lieux
Entre 2 500 et 3 000 soldats ukrainiens sont par ailleurs morts depuis le début du conflit le 24 février, a assuré le vendredi 15 avril le président ukrainien Volodymyr Zelensky alors qu’il était interviewé par un journaliste de CNN et 10 000 autres blessés. Lui aussi se réfuse à évoquer un bilan civil, difficile à établir car « au sud de notre pays, Kherson, Berdyansk, Marioupol plus à l’est, et la zone à l’est où se trouve Volnovakha sont bloquées ». Lors de cette même interview, le président ukrainien a affirmé que « le monde entier » devait être « inquiet » du possible recours à des « armes nucléaires » ou « chimiques » auquel pourrait se livrer Vladimir Poutine, « acculé par ses revers militaires en Ukraine. »
Les attaques contre les navires de commerce interdites par le droit en matière de conflits armés
« Le droit international interdit explicitement les attaques contre les navires marchands battant le pavillon d'États neutres aux États en guerre. Les navires marchands au mouillage dans les ports assiégés sont des biens civils par leur nature, leur emplacement, leur but et leur utilisation, et ils ne contribuent pas à l'action militaire. Toute attaque contre eux, comme le bombardement, est donc strictement interdite », rappelle Human Rights at Sea.
Le droit des conflits armés encadre aussi la saisie et la détention de navires marchands ennemis en mer. Si elles peuvent être autorisées par le droit international, la loi exige que les propriétaires du navire soient dédommagés de l’immobilisation ou destruction de propriété, rappelle l’ONG.
Human Rights at Sea appelle à son tour la communauté internationale et les autorités compétentes à s’obliger dès à présent à « demander des comptes » et à aider les juridictions internationales telle que la Cour pénale internationale (CPI), créée en 2002 pour juger, non pas les États mais des individus soupçonnés de crimes de guerre, à rassembler les preuves. « Ceux commis contre les marins ne doivent pas être oubliés. En tant que victimes civiles, ils ont eux aussi le droit d'obtenir justice. »
La Russie face aux « crimes de guerre »
Le procureur général de CPI était présent lors du conseil des ministres des Affaires étrangères le 9 avril pour aborder le soutien de l’UE à l’enquête ouverte pour « crimes de guerre » de la Russie en Ukraine.
Le 13 avril, Karim Khan a qualifié l'Ukraine de « scène de crime », après une visite à Boutcha, près de Kiev, où les exactions commises ont déclenché la mise en oeuvre de nouvelles sanctions. « Nous sommes ici parce que nous avons de bonnes raisons de penser que des crimes relevant de la compétence de la Cour sont commis », a-t-il justifié.
Avec son droit de veto, la Russie peut s'opposer à la saisine par le Conseil de sécurité de l'ONU de la Cour pénale internationale. Elle empêcherait ainsi le lancement d'une enquête sur de possibles crimes de guerre en Ukraine. Cela ne la met toutefois pas à l'abri de toute poursuite judiciaire car la CPI peut également être saisie par un État membre du traité de Rome ou par le procureur. Face aux « crimes de guerre » dont la Russie est accusée, il n'y a qu'une solution, rappelle inlassablement le président ukrainien : exclure ce pays du Conseil de sécurité de l'ONU.
Situation critique des marins
Dans un courrier adressée récemment au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et de Médecins sans frontières (MSF), le directeur général de l'OIT, Guy Ryder, et le secrétaire général de l'OMI, Kitack Lim, avaient alerté sur la situation critique de « pas moins de 1 000 marins » à bord de quelques 100 navires bloqués dans les ports ukrainiens, la mer Noire et la mer d’Azoz.
Les marins sont en prise directe avec les hostilités et des mines qui dérivent, avec des perspectives d'évacuation faibles du fait du blocus russe imposé alors qu’ils se trouvent dans des conditions de plus en plus précaires. Les vivres, les carburants, l’eau potable et les médicaments manquent, ont-ils fait valoir.
Ces dernières semaines, plusieurs navires marchands ont été pris pour cibles dans l’environnement du port ukrainien de Marioupol. Les événements les plus récents en date ont concerné le conventionnel Azburg, battant pavillon de la Dominique, qui a fini par couler après qu’un incendie se soit déclaré ; le vraquier Apache, qui selon le commandement militaire russe, tentait d'exfiltrer des représentants du bataillon extrémiste ukrainien Azov de Marioupol. Et le Smarta, un vraquier battant pavillon libérien, à quai à Marioupol depuis le 21 février, dont les 17 membres d’équipage sont retenus par les forces russes.
La Russie a déclaré avoir libéré ce qu'elle a appelé des « otages » des navires. Le 11 avril, dans un courrier adressé aux membres de l'Organisation maritime internationale (OMI), les autorités maritimes de la Dominique ont fait valoir que l'équipage du Azburg, qui a trouvé refuge à bord d'autres navire, serait « dans un état de peur et de détresse intense. »
Les attaques contre des navires marchands, des « crimes de guerre » ?
Depuis le début de la guerre, et selon les informations disponibles, un marin est mort à la suite d’une attaque de missile sur le Banglar Samriddhi. Et une dizaine de navires marchands ont essuyé des tirs. Mais le bilan pour les gens de mer et la navigation reste à renseigner.
« Chaque jour, les marins bloqués dans les ports ukrainiens craignent pour leur vie tandis que leur sécurité est menacée. Des attaques, telles que celles dont a fait l'objet le vraquier bangladais, qui a coûté la vie au troisième mécanicien du navire et l'Azburg, violent les lois de la guerre et constituent des crimes de guerre. Selon certaines informations, au moins trois autres navires marchands ont été attaqués à ce jour, dont un vraquier panaméen et un pétrolier battant pavillon moldave », indique l’ONG Human Rights at Sea, qui considère que les attaques contre des navires marchands constituent aussi des « crimes de guerre ».
Quinze réunions et des sessions extraordinaires
Depuis le début de la guerre, le Conseil de sécurité de l’ONU a tenu 15 réunions et l’Assemblée générale des Nations unies, a voté à trois reprises pour condamner l’invasion (2 mars), réclamer la protection des civils (24 mars) et écarter la Russie du Conseil des droits de l’Homme (7 avril).
Il doit tenir ce 19 avril une nouvelle session alors que la mise en oeuvre de couloirs humanitaires pour l’évacuation des civils reste problématique. À l’issue de la 35e session extraordinaire du Conseil de l’OMI, qui s’est tenue les 10 et 11 mars sur les conditions de navigation en mer Noire et en mer d’Azov, des mesures avaient été envisagées pour mettre en œuvre des corridirs maritimes de sécurité. Les modalités pratiques restent à définir.
Selon la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF), qui représente quelque 200 syndicats de marins, ces « couloirs bleus » seraient impossibles à établir en raison des mines dérivantes.
Adeline Descamps