Les soldats ukrainiens tentent désespérément de défendre la ville portuaire stratégique de Marioupol, cible prioritaire des attaques russes depuis plus de quarante jours, bombardée, assiégée, et en quasi-totalité détruite. Le pilonnage sans relâche est à la hauteur des enjeux que porte le maître du Kremlin pour cette partie sud-est du territoire ukrainien. Le contrôle de ce port industriel majeur sur la Mer d’Azov est la clé de la continuité territoriale que veut réaliser la Russie entre les deux Républiques séparatistes du Donbass et la Crimée annexée en 2014.
« Aujourd’hui sera probablement l’ultime bataille (…) car nos munitions s’épuisent », indiquait le lundi 11 mars sur les réseaux sociaux la 36e brigade de la marine nationale des forces armées ukrainiennes alors que le chef des séparatistes prorusses de Donetsk avait affirmé dès le 11 avril que ses troupes avaient conquis entièrement la zone. Les combats qui y font encore rage prouvent qu’il n’en est rien même si la ville-martyre est cependant en train de céder.
Selon Vadym Boïtchenko, maire de la ville, cité par Reuters, le nombre de civils tués dépasserait les 21 000, dont des enfants, tandis que 100 000 personnes sont toujours piégées dans la ville. Un bilan qu’il n’est pas possible de corroborer. Avant l'invasion du 24 février, selon les autorités locales, la ville portuaire comptait un peu moins de 400 000 habitants.
Une dizaine d’attaques contre des navires marchands
Ces derniers jours, plusieurs navires marchands ont été pris pour cibles dans l’environnement du port ukrainien. La semaine dernière, les forces russes ont bombardé le conventionnel Azburg, qui a fini par sombrer après qu’un incendie se soit déclaré. Le porte-parole du ministère russe de la Défense, Igor Konashenkov, a affirmé au cours du week-end dernier qu'un patrouilleur de la marine russe avait ouvert le feu sur le vraquier Apache.
Selon le commandement militaire russe, le navire, propriété de la compagnie turque Misha Shipping et battant pavillon maltais, tentait d'exfiltrer des représentants du bataillon extrémiste ukrainien Azov de Marioupol. Il est impossible de confirmer ou d'infirmer qu'il y a réellement eu une tentative de sa part de vouloir briser le blocus de Marioupol, comme le laissent entendre les forces russes car les données AIS des navires sont désactivées dans cette zone dangereuse pour la navigation.
Des responsables ukrainiens ont déclaré, également le 11 avril, que les militaires russes avaient capturé les 17 membres d’équipage, dont 16 de nationalité ukrainienne, du Smarta. Le vraquier battant pavillon libérien, parti d’Égypte mi-février, était à quai à Marioupol depuis le 21 février d’après les données AIS du navire. Il aurait essuyé des tirs avant d'être abordé. Il est actuellement amarré à l’ouest du port de la ville martyre mais sans son équipage, qui serait toujours retenu par les forces russes.
Ces deux derniers événements portent à une dizaine le nombre d’attaques dont ont fait l’objet de navires marchands depuis le début du conflit. Les données divergent selon les sources mais de façon avérée, il s’agirait au moins de la huitième alors que deux marins ont été tués et un certain nombre d'autres blessés.
Appel urgent
Face à l’escalade des tensions, l’'OIT et l'OMI ont réitéré leur appel à une action urgente. Dans une lettre conjointe adressée aux responsables du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et de Médecins sans frontières (MSF), le directeur général de l'Organisation internationale du travail, Guy Ryder, et le secrétaire général de l'Organisation maritime internationale, Kitack Lim, évoquent une situation critique pour les équipages de plus de 100 navires de commerce bloqués dans les ports ukrainiens. Selon l'OMI, pas moins de 1 000 marins sont pris au piège dans les ports ukrainiens et à bord des navires bloqués dans la mer d'Azov.
« Outre les dangers liés aux bombardements, de nombreux navires concernés manquent désormais de vivres, de carburant, d’eau potable et de médicaments. La situation devient donc de plus en plus intenable », indiquent les représentants des organisations internationales.
Tout en condamnant l’agression de la Fédération de Russie envers l’Ukraine, « sa violation de l'intégrité territoriale et de la souveraineté d'un État membre des Nations Unies, s'étendant à ses eaux territoriales », le Conseil de l’OMI (40 membres), qui s’était réunie en session extraordinaire les 10 et 11 mars, avait validé le principe de corridors maritimes. Une soumission qui avait été déposée par la Chambre internationale de la marine marchande (ICS), Intertank et Intercargo – les organisations professionnelles représentant les exploitants de tankers et de vraquiers, les deux catégories de navires qui fréquentent ces eaux –, ainsi que par les clubs P&I.
Outre une déclaration qui condamne fermement la violation du droit international par la Fédération de Russie, dont on peut sérieusement douter de la portée sur l’agresseur, il n’a pas été possible jusqu’à présent de mettre en pratique ces couloirs de sécurité, qui supposent au préalable un cessez-le-feu.
Le vice-premier ministre ukrainien, Iryna Vereshchuk, a toutefois déclaré ce 12 avril que neuf couloirs humanitaires allaient être ouverts à travers le pays pour permettre l'évacuation des civils, notamment de Marioupol.
Adeline Descamps