Après avoir pris le contrôle des villes portuaires de Berdiansk et Kherson, l’armée russe continuait de pilonner le dimanche 6 mars le port stratégique de Marioupol du sud-est de l’Ukraine, la ville encerclée depuis plusieurs jours, et où l’évacuation de civils n’a pas été possible ce week-end.
Selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky, les troupes russes se prépareraient désormais à bombarder Odessa, principal port d'Ukraine, sur les bords de la mer Noire, ce que le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a jugé « très crédible », lors d'une interview à la chaîne CNN. Selon un rapport de l'état-major ukrainien, l'armée russe poursuit son offensive, « concentrant ses principaux efforts sur les environs des villes de Kiev, Kharkiv (est du pays) et Mykolaïv (sud) ».
Un troisième round de pourparlers entre l'Ukraine et la Russie est prévu ce 7 mars alors que le Conseil de sécurité de l'ONU se réunira une nouvelle fois en urgence sur la crise humanitaire.
Navires piégés
Ces derniers jours, face au déchaînement militaire, les appels pressants auprès des grandes institutions internationales se sont multipliées. La semaine dernière, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté à une écrasante majorité (141 votes sur les 193 membres), une résolution exigeant que la Russie cesse son intervention. Cinq pays seulement s’y sont opposés tandis que trente-cinq se sont abstenus.
Avec la fermeture des ports ukrainiens et les restrictions de navigation dans la mer Noire et la mer d’Azov qui ont découlé de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février, des centaines de navires se sont retrouvés piégés au large des côtes ukrainiennes mettant en danger les marins, comme les événements l’ont illustré ces derniers jours.
Le 2 mars, le Banglar Samriddhi, un vraquier immatriculé au Bangladesh et exploité par la compagnie maritime Bangladesh Shipping, était au mouillage au large du port d'Olvia, dans la région de Mykolaïv, sur la côte nord de la mer Noire, quand il a été frappé par un missile ou une mine tuant un des 29 membres d’équipage. Le 3 mars, les autorités portuaires ukrainiennes ont indiqué que le Helt, un navire côtier battant pavillon panaméen, ancré au large d’Odessa, a été la cible d’un potentiel tir de mine. Ces événements surviennent alors que huit autres navires marchands avaient été précemment ciblés.
140 navires bloqués
Selon Bloomberg, il y aurait environ 140 navires bloqués dans la région – majoritairement des navires polyvalents (54), des vraquiers (45) et dans une moindre mesure des pétroliers (12) –, susceptibles d’être pris entre deux feux, soit plus d’un millier de marins à la merci de tirs de mines ou de missiles. L’agence part du principe qu’il y a en moyenne 20 membres d’équipage. Donc très empirique.
Les gestionnaires des navires immobilisés par force majeure indiquent pour leur part qu’ils sont dans l’incapacité de quitter les eaux ukrainiennes faute d’un service de pilotage portuaire. Aussi, la navigation au nord-ouest de la mer Noire serait restreinte car « infestée » de mines marines.
Session extraordinaire de l’OMI
Pressée par plusieurs organisations maritimes et par le responsable des Affaires maritimes ukrainiennes, appelant un « soutien à grande échelle à la navigation », l’OMI a indiqué qu’elle tiendra une session extraordinaire les 10 et 11 mars « afin d'examiner les incidences sur la navigation et les gens de mer de la situation dans la mer Noire et la mer d'Azov » La session extraordinaire (CES 35) a été convoquée à la demande de plusieurs des 40 membres du Conseil.
La semaine dernière, les organisations représentant les armateurs européens (ECSA), allemands (VDR), français (Armateurs de France)… ont tour à tour sollicité une intervention de l’OMI et alerté les décideurs politiques sur « l'impact significatif de la situation pour les équipage, déjà mis à rude épreuve par le Covid » tout mettant en garde contre les conséquences, pour les entreprises européennes, du blocage des ports ukrainiens sur la chaîne d’approvisionnement.
Alerte sur les victimes collatérales
« Nous exigeons que tous les navires et leurs équipages soient autorisés à quitter la zone de conflit sains et saufs. La Russie doit respecter la liberté de navigation. Les navires marchands non impliqués ne doivent pas être attaqués », a déclaré Gaby Bornheim, le président l'Association des armateurs allemands.
« Les marins travaillent depuis plus de deux ans sans relâche dans des conditions extrêmement difficiles pour opérer les services maritimes indispensables au maintien de l’économie mondiale, réagissait Jean-Emmanuel Sauvée, président d’Armateurs de France, dans un communiqué en date du 2 mars. Nous devons tout mettre en œuvre pour qu’ils ne deviennent pas, aujourd’hui, des victimes collatérales de la guerre en Ukraine. »
Crainte au sein des équipages où cohabitent marins ukrainiens et russes
À l’occasion d'une réunion d'urgence, aménagée par l’association InterManager, une inquiétude a percé chez les gestionnaire de navires. S’ils notent que les marins ukrainiens et russes se comportent de manière professionnelle, ils sont à fleur de peau, ont-ils relayé. Ils craignent que d’autres sentiments prennent le pas sur le professionnalisme, à l’épreuve d’un conflit qui se durcirait entre les deux pays.
D’autant que de nombreux marins ukrainiens sont originaires des zones portuaires du sud du pays, telles que Kherson et Mykolaiv, où s’échangent des tirs nourris depuis plusieurs jours. La première a fini par céder face aux assauts russes.
Le président d'InterManager, Mark O'Neil (Columbia Shipmanagement), a rappelé ses membres un principe : mobiliser et à soutenir tous les marins, quelle que soit leur nationalité. « Nous sommes une entreprise internationale avec une perspective internationale et nous devons rester internationaux en ces temps difficiles ».
Dans l’immédiat, les gestionnaires techniques font en sorte que les marins ne soient pas coupés du monde en augmentent l'accès à l'internet pour qu’ils puissent communiquer avec leurs proches et « s’informer de manière fiable » sur l’évolution d’une situation dont ils sont à nouveau les otages.
Adeline Descamps