La preuve par l’exemple. Renault Trucks a décidé d’utiliser ses propres camions électriques pour ses transports interusines, avec un premier flux entre ses usines de Saint-Priest (Rhône, tout près de Lyon) et de Bourg-en-Bresse (Ain) pour le transport d’essieux. « Il s’agit d’un flux emblématique de l’activité de Renault Trucks, qui revêt des contraintes opérationnelles très fortes en termes de cadencement » explique Bruno Blin, président de Renault Trucks. Un retard d’une heure aurait des conséquences très graves sur l’ensemble de la chaîne de production, aussi le constructeur a longuement préparé l’opération avec les transporteurs Chazot et Dupessey&Co, partenaires du projet, dans une démarche collaborative qui se veut « à livre ouvert ».
Après 18 mois de préparation, cinq Renault Trucks T E-Tech assurent quotidiennement deux rotations, parcourant chacun 360 km par jour. Outre la recharge nocturne dans les dépôts des transporteurs à Corbas (pour Dupessey&Co) et Jonage (Chazot), une recharge intermédiaire de 45 à 50 minutes est nécessaire sur le site de Saint-Priest. En effet, la charge maximale des batteries du Renault Trucks T E-Tech ne permet pas une autonomie suffisante pour cette mission. « Nous avons préalablement utilisé notre logiciel Range Simulator pour calculer la faisabilité du projet en calculant où, quand et pendant combien de temps la recharge devait se faire, en se basant sur l’usage du camion, son chargement et ses équipements, la température extérieure et la topographie », indique Régis Pierrelle, directeur des opérations chez Renault Trucks. Pour des raisons de coûts (génie civil, installation électrique), la recharge intermédiaire n’a pu s’effectuer en temps masqué pendant le déchargement sur le site de Bourg-en-Bresse : elle a donc lieu à Saint-Priest, pendant le temps de pause du chauffeur. « Pour arriver à faire coïncider le temps recharge avec les obligations légales, l’usine de Bourg a dû décaler des opérations afin de gagner une vingtaine de minutes », précise-t-il.
Côté coût, la station privative de Renault Trucks représente un investissement de 500 000 € (hors foncier), tandis que les Transports Chazot ont déboursé 250 000 € dans pour leur infrastructure de recharge, incluant l’installation d’un transformateur adapté. Les camions sont loués avec un contrat d’entretien et une assurance dédiée proposée par le constructeur. Fabien Chazot, président des transports éponymes, a indiqué que sa compagnie habituelle s’était montrée « très fébrile » pour couvrir ce risque particulier. Pour assurer la viabilité économique du projet, la durée du contrat a été poussée à 6 ans. « Le TCO, calculé sur une durée de 4 ans, aurait été 45 % plus élevé par rapport à un camion diesel » reconnaît Jean-Philippe Kretz, directeur des ventes de Solutions d’électromobilité. Le projet a également bénéficié d’aides Ademe et de la prime Advenir pour les bornes, ce qui ramène le surcoût 5 %. Un prix jugé « acceptable » par le groupe Volvo pour décarboner. « L’électromobilité oblige à la collaboration chargeur-transporteur et diffère du mode transactionnel classique », observe Jean-Philippe Kretz.
Ce premier flux électrifié n’est qu’un début. Bruno Blin vise l’électrification massive de la logistique de Renault Trucks d’ici 2030, avec 100 % sur les flux entre les sites de production. Le constructeur travaille déjà sur l’électrification d’une dizaine d’autres flux logistiques, dont certains permettent de mutualiser les bornes de recharge de Saint Priest. Pour les trajets plus longs, Renault Trucks envisage une logique de véhicules relais, permettant d’utiliser l’électrique sur des distances de plus en plus importantes, comme rallier par exemple le site de Blainville (Calvados). « Si l’on part sur la génération de camions actuelle, il faudra le faire en plusieurs recharges intermédiaires. On peut aussi attendre la nouvelle génération prévue pour 2026 (600 km d’autonomie), et dans ce cas nous n’aurons besoin que d’une seule recharge intermédiaire grâce au méga chargeur MCS », glisse Marc Lejeune, directeur Business intelligence de Renault Trucks.
Cette initiative de Renault Trucks constitue également un saut dans l’inconnu pour les transports Chazot et Dupessey&Co, qui bien que tous deux engagés dans les motorisations alternatives depuis des années, utilisent des camions électriques de gros tonnage pour la première fois. « Notre objectif est de continuer à proposer cette solution sur d’autres flux à Renault Trucks et de convertir d’autres clients. Nous comptons sur cette expérience pour apprendre et maîtriser ces nouveaux coûts d’exploitation, tout en prenant une petite longueur d’avance par rapport à la concurrence » indique Fabien Chazot. Carole Dupessey, présidente de Dupessey&co, rapporte être en discussion avec d’autres clients pour proposer cette solution. « Nous travaillons beaucoup à la demande mais pour les camions électriques, il n’est pas possible de s’engager sans contrats long terme. » Et tous deux de reconnaître que l’engagement du chargeur reste une condition primordiale.