NPI : quelles sont les raisons pour lesquelles VNF organise un colloque ayant pour thème « le transport fluvial à l’heure de la transition énergétique » à Paris le 29 mai 2019 ?
Dominique Ritz : Des éléments de circonstance expliquent l’organisation de ce colloque à Paris par une équipe projet qui compte des représentants de Voies navigables de France, de Haropa, de l’Ademe, du ministère de la transition écologique et solidaire. Voies navigables de France agit ici dans son rôle de fédérateur.
Un premier élément est la forte pression politique à Paris et en Ile-de-France pour faire évoluer la motorisation des bateaux navigant sur la Seine. La Ville de Paris a annoncé l’interdiction du diesel pour 2024 et celle des moteurs thermiques diesel et essence pour 2030. Ces obligations très contraignantes pour le transport routier sont reprises par d’autres collectivités comme la Métropole du Grand Paris.
Il y a une sensibilité de plus en plus grande à lutter contre le changement climatique et les pics de pollution. Cette sensibilité partagée apparaît largement apolitique. Il y a une volonté d’améliorer la qualité de l’air en faisant en sorte que les émissions des moteurs soient plus propres pour les véhicules sur les routes. Mais sont concernés aussi tous les autres modes de transport. Le fluvial ne peut pas rester en retrait.
Un deuxième élément à prendre à compte est une préoccupation forte au sein de la Communauté portuaire de Paris, plus particulièrement emmenée par ses membres actifs dans les activités passagers. Ils savent qu’ils doivent agir car la clientèle est, elle aussi, sensible aux préoccupations environnementales et aux émissions polluantes. Le modèle économique du transport fluvial de passagers permet d’aller vers de nouvelles motorisations plus propres.
Il y a 7,5 millions de passagers par an sur la Seine qui est le quatrième monument parisien le plus visité après le musée du Louvre et devant la Tour Eiffel. Un tiers des touristes étrangers à Paris empruntent la Seine au cours de leur séjour. Le classement du centre historique de Paris par l’Unesco en 1991 est lié à la Seine. Paris est le plus grand port fluvial du monde. Il y a donc un enjeu très fort autour du transport de passagers dans la capitale en matière d’amélioration de la performance environnementale du fluvial. Une dynamique s’est créée au sein de la Communauté portuaire de Paris qui s’est tourné vers VNF et les échanges ont montré qu’il était nécessaire de mettre tous les acteurs autour de la table.
NPI : quels acteurs sont attendus lors du colloque ?
Dominique Ritz : Il s’agit des opérateurs du transport fluvial de passagers et de fret, des banques, des financeurs, des motoristes, des constructeurs, des chantiers, des fournisseurs d’énergie, des chargeurs –qui peuvent être prescripteurs et s’engager-, des pouvoirs publics, comme la région Ile-de-France, la Ville de Paris, des institutionnels qui œuvrent pour l’intérêt de la collectivité dans son ensemble.
Il faut noter que le modèle économique du côté du transport de passagers est plus robuste et permet des évolutions. Dans le fret, le modèle économique est différent. Certains grands opérateurs sont capables de faire évoluer leur flotte mais les artisans disposent d’un périmètre financier et d’une capacité d’investissement limités. Un nouveau moteur, c’est 150 000 euros. Le reste à charge est très lourd, entre 30 000 et 60 000 euros, ce qui n’est pas évident pour les artisans-bateliers sans garantie ni visibilité. Avoir tous les acteurs présents permet de lancer une dynamique au sein de la profession pour que le fluvial accomplisse sa transformation énergétique et environnementale. Toute la profession doit y parvenir, pas seulement les grands opérateurs car alors, il n’y aurait plus que quelques bateaux sur les voies navigables alors que les capacités et les besoins existent.
NPI : quels sont les objectifs du colloque ?
Dominique Ritz : Lors du colloque, il s’agit d’obtenir que tous les acteurs réunis trouvent des solutions aux différentes situations qui se posent à l’ensemble du monde fluvial qui est concerné dans sa totalité par la transition énergétique.
L’ambition est transversale pour avancer vers des solutions concrètes et opérationnelles, y compris sur les questions d’avitaillement, et de lever les inquiétudes. L’ambition est de passer rapidement à des motorisations propres à des coûts supportables pour réaliser la transformation environnementale du fluvial.
L’objectif est de créer un modèle économique partagé et adapté à la diversité des situations des opérateurs fluviaux. Le modèle économique à trouver doit permettre la transformation énergétique du fluvial sans laisser une partie de ses acteurs sur le côté, ce qui serait la voie ouverte au tout-routier et à ses émissions polluantes. La voie d’eau a toute sa pertinence comme mode de transport dans et autour des grandes agglomérations. La voie d’eau a envie de se transformer, d’évoluer.
NPI : un colloque d’une journée mais après quelle suite ou quel suivi ?
Dominique Ritz : Lors du colloque, les acteurs qui seront majoritairement des représentants opérationnels directement concernés par les évolutions à accomplir, vont pouvoir s’exprimer, échanger, partager un ou des constats. A partir de là, il faudra bâtir les solutions nécessaires qu’elles soient techniques, financières règlementaires, etc. Il y aura aussi le modèle économique à construire.
L’intelligence collective doit aboutir à la construction d’une méthode de travail, d’une feuille de route pour après. Des groupes de travail pourront être installés en fonction des chantiers, solutions ou autres qui auront été identifiés. Une dynamique sera lancée, des perspectives établies dont l’interprofession en construction doit s’emparer.
Concernant un report des dates d’application du règlement EMNR, l’European Barge Union (EBU), Union européenne de la navigation fluviale en français, a présenté une demande au sein de Naïades II. La délégation française a, quant à elle, porté une démarche auprès du CESNI début mars 2019. « Il faut compter 2 ans et demi à 3 ans pour réviser un règlement européen, rappelle Thomas Thiebaut. Et cela comprend notamment des consultations de parties prenantes qui pourraient présenter des positions défavorables à un report des dates. Des motoristes, par exemple, pourraient s’y opposer car il semble que certains d’entre eux avancent sur des solutions de moteurs conformes au règlement EMNR ». Caterpillar, par exemple, a annoncé aux Etats-Unis avoir un moteur prêt.Autrement dit, il ne faut pas compter sur une évolution réglementaire mais se tourner vers les solutions disponibles actuellement. Il y a notamment les moteurs de catégorie générique « NRE » (Non Road Engine) pour des puissances inférieures à 500 kW, ou bien des moteurs routiers conformes à la norme Euro VI qui peuvent être utilisés comme moteur de bateau avec des adaptations (« marinisation »). Autre solution, les moteurs dit « de transition », qui respectent les précédentes réglementations (CCNR II ou Euro phase IIIA, IIIB ou IV), et qui peuvent également être installés, selon les puissances considérées :
- Jusqu’au 31 décembre 2020 ou 2021,
- Sur des bateaux construits au plus tard au 30 juin 2020 ou 2021,
- A condition qu’ils aient été fabriqués avant le 31 décembre 2018 (pour les moteurs inférieurs à 300 kW) ou avant le 31 décembre 2019 (pour les moteurs supérieurs à 300 kW).
Enfin, les nouvelles motorisations qui fonctionnent avec des énergies alternatives comme l’électricité, l’hydrogène, etc., et non plus les moteurs thermiques, permettent également de respecter les exigences du règlement EMNR.
Le ministère de la transition écologique et solidaire a publié sur son site Internet des fiches d’information à ce sujet :