Parler de la prochaine révolution du transport fluvial comme le fait la presse généraliste est un peu surfait En l'occurrence, pour Steffen Bauer, le dirigeant de HGK Shipping, nécessité fait loi.
« C'est la seule solution pour la survie du secteur », assure sans hésitation le dirigeant. « Si nous ne faisons rien, nous perdrons 30 % de nos effectifs d'ici 2030 », explique le patron de cette compagnie de navigation intérieure qui exploite 350 barges. La moyenne d'âge de ses capitaines est élevée, de 55 ans, et l'entreprise peine à recruter. Une plaie dans le secteur alors que la pénurie d'officiers
En 2023, le déficit de disponibilité des officiers établi par la société de conseil Drewry (référente pour cette donnée) s'est creusé pour atteindre environ 9 % de la flotte mondiale, ce qui représente une nette augmentation par rapport aux 5 % de 2022.
L'année dernière a enregistré le niveau le plus élevé a été atteint depuis que Drewry a commencé à analyser le marché de l'emploi des gens de mer il y a 17 ans. Des niveaux de déficit similaires sont prévus pour la période 2023-2028 au regard de l'offre de marins disponibles.
Bien que ces niveaux de déficit soient basés sur le nombre de navires et sur des hypothèses concernant les niveaux d'équipage, et donc largement théoriques, le marché du travail des officiers est particulièrement tendu depuis quelques années.
Les chocs géopolitiques se surajoutent par ailleurs aux tensions sur les emplois des personnels d'exécution. Le Covid a entravé les formations des équipages, d'autant que l'Inde fournit par exemple un bataillon de marins, et affecté l'attractivité des métiers. La guerre en Ukraine est fâcheuse, les deux pays étant d'importants fournisseurs de marins. « La croissance accélérée de la flotte mondiale de navires de haute mer rendra la situation encore plus difficile », soutient Drewry.
Naviguer sans aller en mer
L'entreprise de transport fluvial, basée à Duisbourg, s'est engagée dans un partenariat avec la start-up belge Seafar, qui se distingue dans le domaine émergeant de la navigation autonome.
Le dirigeant voit dans le telépilotage de navires depuis un centre de contrôle terrestre une solution et un moyen d'attirer les jeunes qui se détourneraient du métier en raison des séjours prolongés en mer.
Quatre navires télécommandés
Créé en 2019, Seafar fait déjà naviguer quatre navires télécommandés sans aucun équipage en Belgique, pays où la législation sur la navigation autonome est beaucoup plus avancée par rapport à d'autres pays européens. La start-up vient d'ouvrir un bureau en Allemagne, où transitent 30 % du fret fluvial européen.
« Il y a clairement un marché pour la navigation télécommandée. Il faudra plus de temps pour obtenir des régulations que pour la faire fonctionner », fait néanmoins observer Janis Bargsten, responsable commercial de Seafar.
À Duisbourg, HGK Shipping et Seafar, qui ont implanté un centre opérationnel pour la navigation à distance (actuellement en phase de test), attendent le feu vert allemand pour lancer les pionniers téléguidés sur certains tronçons.
Maintien de deux capitaines à bord
Dans un premier temps, HGK Shipping prévoit de maintenir par précaution deux capitaines à bord, puis, d'ici un an, de passer à un équipage réduit, comme c'est déjà le cas en Belgique. L'objectif final étant, dans un avenir plus lointain mais non daté, d'« économiser » le capitaine tout en maintenant un équipage à bord, précise Steffen Bauer.
Seafar va encore plus loin, et travaille déjà sur la navigation semi-autonome ainsi que sur des essais maritimes en mer baltique.
« C'est tout comme à bord », a assuré à l'AFP le capitaine Patrick Hertoge (58 ans) où il surveille sur dix écrans une péniche autonome pilote, en route pour Hambourg, chargée de conteneurs d'acier.
Après 30 ans de carrière comme capitaine de sa propre péniche, l'officier a vendu son embarcation et a été recruté par Seafar pour participer aux essais.
« Sur un bateau, on est en stand-by 24h/24, tandis qu'ici après mes huit heures, je peux rentrer chez moi », explique-t-il, faisant référence à l'actuel principal frein des recrutements, des jeunes notamment.
Des échanges avec Voies Navigables de France
La jeune entreprise belge voudrait bien étendre les essais partout en Europe et mène des discussions à un stade avancé, selon ses termes, avec Voies Navigables de France (VNF) pour anticiper des demandes d'autorisation en France.
La technologie apporte « un soulagement important pour l'industrie », reconnaît un parte-parole de la fédération allemande des voies navigables, mais sans répondre à tous les problèmes, nuance-t-il immédiatement. La fédération appelle à la vigilance, notamment sur les questions de responsabilité qui doivent encore être « clarifiées juridiquement »
En cas de problème technique, Seafar serait responsable, mais si l'erreur venait du capitaine, la responsabilité incomberait à la compagnie.
A.D. (avec l'AFP)