Pour la première fois en 14 mois, les taux spot sur le transatlantique (en fronthaul) ont augmenté au-dessus du marché long terme. Sur ce trade, la demande avait baissé de 13,7 % en 2023 par rapport à 2022 avec une certaine régularité puisque la diminution moyenne au cours des sept derniers mois de 2023, par rapport à la période correspondante de 2022, était également de 13,7 % (source : Container Trades Statistics). Ce paramètre ne peut donc pas expliquer le revirement de situation.
Les transporteurs ont en revanche « noyé » ce trafic sous la capacité au cours des huit premiers mois de 2023 et les taux de fret du marché spot ont réagi en conséquence. D'un peu plus de 7 000 $ par conteneurs de 40 pieds à la fin de 2022, les taux ont atteint leur plus bas niveau historique à la mi-novembre, à 1 318 $ soit une chute de 81,3 % en 315 jours. Au quatrième trimestre 2023, la capacité déployée sur ce trafic a atteint son niveau le plus bas en 18 mois.
« Si l’apport en capacités sur ce trafic a été à l'origine de l'effondrement des taux, il est logique qu'elle soit l'une des principales raisons pour lesquelles ils ont recommencé à augmenter », justifie Xeneta, qui fait référence aux « stratégies plus intelligentes » de gestion des capacités des transporteurs.
La « crise de la mer Rouge » n’est pas neutre. Les armateurs de porte-conteneurs ayant massivement réorienté leurs services autour du cap de Bonne-Espérance en Afrique, le temps de navigation augmente d'au moins 10 jours sur chaque étape du voyage, en fonction du pays d'origine et de destination. Il faut davantage de navires pour maintenir les horaires de service.
« Cela joue peut-être en faveur des transporteurs, en leur permettant de réduire la capacité du trafic transatlantique tout en augmentant la capacité des services détournés vers l'Afrique, ce qui résout deux problèmes en même temps », soutient Xeneta, qui anticipe une légère hausse des taux spot en février. Encore faudrait-il que les transporteurs parviennent à convaincre les chargeurs d'accepter les GRI annoncés, ce qui n’est pas évident.
« Les efforts déployés par les compagnies pour faire remonter les taux spot sur le transatlantique commencent à payer », estime également Arthur Barillas, directeur général d'Ovrsea, pour lequel la stratégie de réduction capacitaire opérée par les compagnies entre l’Europe et l’Amérique du Nord, aidée par la dynamique américaine, a joué à plein.
« En janvier, plusieurs d’entre elles ont activé plusieurs leviers dans ce but : Rate Restoration Initiative 2 pour CMA CGM, hausse des taux FAK pour MSC ou encore PSS (peak season surcharge) pour Maersk. La crise en mer Rouge, avec son lot de redéploiements de capacité vers le trade Asie-Europe, leur a enfin donné un prétexte pour redémarrer la machine tarifaire sur l’Atlantique, après de longs mois de taux bas ».
Transpacifique : récente reprise du marché au comptant
Sur le trade transpacifique, selon le dernier indice (hebdomadaire) du Drewry World Container, indice statistique qui suit les taux spot sur huit trade des lignes Est-Ouest (mais qui ne reflète pas nécessairement la réalité des prix pratiqués sur le marché), les taux de fret spot de l'Asie vers l'Europe ont baissé pendant trois semaines consécutives, mais se maintiennent beaucoup plus fermement vers l'Amérique du Nord. À point nommé alors qu’approchent les négociations contractuelles avec les chargeurs américains.
Les prochaines semaines avant le TPM 2024, le grand rendez-vous professionnel (à Long Beach au début du mois de mars) qui lance les échanges entre les deux parties en vue de conclure les nouveaux contrats, seront donc déterminantes.
Entre le 25 janvier et le 15 février, alors que les prix de Shanghai à Rotterdam ont baissé de 14 %, ils ont augmenté de 9,4 % vers Los Angeles et de 0,4 % vers New York.
Le canal de Panama contraint par des limites de capacités pour faire face à la sécheresse, ne peut pas expliquer à lui seul les raisons pour lesquelles le transpacifique surpasse les autres grands axes de transport, souligne la société de conseil Drewry.
Dynamique de consommation américaine ?
Sur la base des statistiques sur le commerce des conteneurs de CTS, la demande sur les marchés transpacifiques (fronthaul) a en effet dépassé celle de l'Asie vers l'Europe du Nord dès le second semestre 2023.
L’économie américaine est en bien meilleure posture que celle du Vieux Continent. Outre-Atlantique, la croissance de l'emploi a même trompé les attentes des analystes et l'inflation a baissé plus vite que prévu. En janvier, le Fonds monétaire international (FMI) a relevé ses prévisions de PIB pour 2024, portant le taux à 2,1 %, le plus élevé de toutes les économies dites avancées. Le PIB avait déjà augmenté de 3,3 % au quatrième trimestre 2023. Cette croissance a été alimentée par une baisse de l'inflation et de solides dépenses des ménages.
« L'augmentation des dépenses de consommation et les chiffres des ventes au détail suggèrent que notre industrie peut s'attendre à une reprise décente de la demande de biens, ce qui se traduit par une demande de conteneurs relativement plus élevée, à mesure que les détaillants reconstituent leurs stocks et honorent les commandes des consommateurs », confirme Christian Roeloffs, de la société ContainerxChange, qui suit les mouvements de conteneurs.
Le port de Los Angeles, première porte d’entrée des importations conteneurisées, a d'ailleurs enregistré en janvier son sixième mois consécutif de hausse avec une croissance de 18 % le mois dernier par rapport à janvier 2023. Les volumes traités durant la semaine du 5 au 11 février 2024 ont encore bondi de 38,6 % par rapport à la même semaine en 2023 (105 076 EVP contre 75 801 EVP).
Meilleure gestion de l'offre/demande
« La demande ne peut pas être le seul facteur déterminant de la récente reprise du marché au comptant. Un autre point de différence entre le marché transpacifique et le marché Asie-Europe se situe du côté de l'offre », nuance Drewry.
Sur ce point, la capacité placée sur ce trade est globalement la même qu’au troisième trimestre 2021 (alors à l'apogée de l'augmentation de la demande due à la pandémie) mais depuis l'Asie vers la côte ouest de l'Amérique du Nord, il y a eu une plus grande compression de l'offre, selon le bilan Container Forecaster du consultant britannique.
En clair, contrairement aux routes Asie-Europe et transatlantique, le marché transpacifique vers l'est bénéficie de volumes plus importants et une capacité étroitement gérée.
« Ce qui s’est produit en mer Rouge nourrit bien des paradoxes. La surcapacité structurelle causée par les commandes massives de nouveaux porte-conteneurs, est un boulet économique pour les compagnies, cause d’un déséquilibre de long terme entre offre et la demande. Mais sans cette surcapacité, qui permet de supporter des trajets plus longs tout en maintenant les dessertes, nous serions sans doute confrontés à une crise gravissime », explique Arthur Barillas.
Sur le trade Asie-Europe, sur la base des données de la société danoise Sea-Intelligence, la baisse de capacité effective depuis mi-décembre a été limitée (- 4,9 % vers l’Europe du Nord et -1,4 % vers la Méditerranée).
Atteinte du pic ?
Toutefois, l'envolée des taux de fret maritime pourrait avoir atteint son apogée.
Sur la côte Est des États-Unis, les taux ont légèrement baissé, passant de 6 260 $ par FEU (conteneur de 40 pieds) à 6 100 $ entre le 1er et le 15 février. Sur la côte Ouest, les taux sont passés de 4 730 à 4 680 $ au cours de la même période, selon Xeneta qui mouline, selon ses déclarations, plus de 400 millions de points de données.
Les taux spot sont cependant toujours en hausse de 145 % sur la côte Est des États-Unis par rapport au 14 décembre et de 185 % sur la côte Ouest des États-Unis.
« À l'approche des négociations contractuelles avec les chargeurs américains, les transporteurs feront tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir les taux à un niveau élevé. Cependant, nos données suggèrent que les taux baisseront encore dans les dix prochains jours, comme nous l'avons déjà vu sur les trafics de l’Asie de l’Est vers l'Europe », assure Emily Stausbøll, analyste de marché chez Xeneta.
Les taux de location de conteneurs entre l’Asie et les Etats-Unis triplent
Les taux de location de conteneurs sur la route Chine-États-Unis ont bondi de 223 % depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël.
« Nous prévoyons des pénuries d'équipement en raison de l'absence de repositionnement des conteneurs en Asie pour les marchandises en provenance de l'est. En outre, du fait des perturbations du canal de Suez, du passage de la mer Rouge et du canal de Panama, de nombreux importateurs réacheminent déjà leurs marchandises via le transbordement de la côte ouest et le transport par camion jusqu'à la côte est, ce qui accroît la pression sur les chemins de fer et les transporteurs nationaux », a indiqué un logisticien à Container xChange, en réponse à son sondage sur l'évolution des prix des conteneurs.
Maersk a en effet annoncé récemment qu’il allait exploiter cette solution quand bien même le gestionnaire du canal de Panama a garanti qu’il n’y aurait plus d’autres restrictions avant avril-mail (saison des pluies).
« Le problème du Panama n'a pas disparu. La situation s'est stabilisée mais nous ne savons pas si cette situation pourrait se répéter à l'avenir. C'est pourquoi nous cherchons activement à mettre en place une meilleure approche pour la côte ouest », a indiqué à la presse américaine Charles van der Steene, président de Maersk North America.
Effet Nouvel an lunaire ?
Les fluctuations cycliques des taux de location de conteneurs peuvent s’expliquer par la période du Nouvel An chinois. Pas complètement, répond Christian Roeloffs, « car le contraste avec février 2023 est saisissant, l'ampleur de la hausse actuelle n'ayant pas été observée l’an dernier. Bien que l'augmentation de la demande avant le Nouvel An chinois y ait contribué, ce sont les perturbations causées par le détournement de la mer Rouge qui sont le principal catalyseur de la flambée des taux de location des conteneurs »
En décembre 2023, les taux de location de la Chine vers Los Angeles ont oscillé entre 280 et 776 $ et entre 370 et 710 $ vers Long Beach. En janvier 2024, ils ont évolué entre 740 à 920 $ et entre 700 et 920 $, respectivement. Cette tendance s'est poursuivie en février 2024, les tarifs vers Los Angeles atteignant 1070 à 1230 $.
La côte Est est également concernée, de l’ordre de 400 à 820 $ vers New York et de 590 à 1043 $ vers Savannah entre septembre et décembre 2023. En janvier et février, les tarifs ont continué d’augmenter, de 608 à 1008 $ puis de 1 290 à 1 730 $ vers New York.
Les dernières déclarations du président de Maersk North America ne vont pas calmer le jeu. « Malheureusement, nous ne pensons pas que la situation en mer Rouge va changer de sitôt. Les itinéraires de transit plus longs pourraient durer jusqu'au deuxième trimestre et peut-être même jusqu'au troisième trimestre. Les clients doivent l’intégrer dans leur chaîne d'approvisionnement ».
Adeline Descamps