Alors que les indices de vrac sec qui reflètent les revenus quotidiens des principaux vraquiers – capesize, panamax et supramax –, sont dans une spirale baissière depuis plusieurs semaines, deux poids lourds du vrac sec ont annoncé leur intention de fusionner. Un changement radical dans un marché historiquement très fragmenté avec une multitude d'acteurs.
Si le protocole d’accord se concrétise, la société grecque Star Bulk Carriers (117 navires, des newcastlemax aux supramax) et la compagnie américaine Eagle Bulk Shipping (52 navires, supramax et ultramax) vont donner naissance à la plus grande société de transport maritime de vrac sec cotée aux États-Unis, avec une flotte de 169 navires en propriété (une fois les livraisons des navires en construction effectuées). Un bataillon de navires beaucoup plus diversifiés et à 97 % équipés de systèmes d’épuration des gaz d'échappement (scrubbers).
71 % du capital à Star Bulk
Les actionnaires de Star Bulk et d'Eagle Bulk devraient détenir respectivement environ 71 % et 29 % de la société issue de la fusion lorsque l'opération sera finalisée au cours du premier semestre 2024, sous réserve de l'approbation des actionnaires d'Eagle, de l'obtention des autorisations réglementaires et autres conditions de clôture habituelles.
Basée à Athènes, la nouvelle société opérera sous le nom de Star Bulk Carriers Corp., avec des bureaux à Stamford, Singapour, Copenhague et Limassol. Elle sera dirigée par Petros Pappas, actuel directeur général de Star Bulk, et le comité exécutif devrait compter quelques cadres supérieurs d'Eagle Bulk.
Spyros Capralos, transfuge de Star Bulk également, en sera le président et un membre du conseil d'administration d'Eagle rejoindra le conseil d'administration à la clôture de la transaction. Aucune mention en revanche de Gary Vogel, l’actuel dirigeant d’Eagle Bulk.
Fusion par actions
La transaction, approuvée à l'unanimité par les conseils d'administration des deux sociétés, est structurée sous la forme d'une fusion par actions qui confère à la nouvelle société une capitalisation boursière pro forma de 2,1 Md$.
Les actionnaires d'Eagle recevront 2,6211 actions ordinaires de Star Bulk pour une détenue, ce qui représente une contrepartie totale d'environ 52,60 $ par action, soit une prime de 17 % par rapport au cours de clôture de l'action d'Eagle, qui était de 44,85 $ le 8 décembre.
Une opération préparée ?
En juin, dans une même fenêtre de temps, Eagle Bulk et Star Bulk ont toutes deux racheté une grande partie de leurs actions à leur principal actionnaire commun, Oaktree : 3,8 millions d'actions pour le premier (219,3 M$) soit 28 % du capital social et 10 millions pour le second (60 M$), ramenant la participation du fonds d'investissement privé de 25,2 à 17,2 %.
Parallèlement, une stratégie de « pilule empoisonnée » a été introduite chez Star Bulk pour empêcher d'autres parties prenantes d'acheter des actions et de procéder à une OPA hostile, Danaos Corporation et Castor Maritime étant les principaux actionnaires d'Eagle Bulk.
50 M$ en économies d'échelle
Avec leur union, les deux entreprises devrait disposer de liquidités accrues (près de 420 M$ au 30 septembre 2023) et d'un effet de levier net d'environ 37 %.
De part et d'autre, les directions s'attendent à générer au moins 50 M$ d’économies d’échelle dans les 12 à 18 mois suivant la clôture de la transaction.
Certains analystes estiment que le client en sera aussi bénéficiaire du point de vue de la tarification. D’autres, comme Jefferies, soulignent que la transaction n’est pas à l’abri d’une possible offre concurrente en espèces étant donné la nature entièrement en actions de l'opération.
Accélération des consolidations
« Le marché du vrac sec peut s'attendre à davantage de fusions et d'acquisitions dans les années à venir », a réagi pour sa part Santosh Gupta, responsable du financement maritime chez Drewry.
Pour Star Bulk, elle s’inscrit en effet dans la « continuité de la consolidation en cours », l’opérateur de newcastlemax ayant réalisé une dizaine d’acquisitions depuis 2014.
« Nous n'excluons pas de fusionner à l'avenir avec des sociétés qui gèrent des navires de plus grande taille », a d’ailleurs déclaré son dirigeant après l'annonce de la fusion au cours d'une conférence téléphonique avec des investisseurs, faisant allusion à une société qui détiendrait des capesize ou des panamax.
En attendant le reveil de la Chine
Le marché du vrac sec a connu une situation presque similaire au conteneur, un boom historique en 2021 après une décennie terrible, boosté par la pandémie et les plans de relance qui en ont découlé. Mais contrairement à la boîte, l’épiphanie fut de plus courte durée.
En 2023, les taux de fret ont lutté contre la déprime bien que l’offre n’ait augmenté que de 2,6 %, ce qui est légèrement inférieur à la croissance de la demande.
Le marché, très tributaire de la conjoncture de la Chine, a attendu toute l’année des mesures de relance de l’exécutif chinois alors que la seconde puissance économique mondiale patine.
Le résultat net d'Eagle Bulk est devenu négatif, pour la première fois depuis 2020, au troisième trimestre, avec une perte nette de 5,1 M$ contre un bénéfice de 77,2 M$ un an plus tôt.
Toutefois, au moment de la publication de ses résultats, la compagnie faisait valoir un taux de 68 % de jours disponibles fixés pour un TCE (time charter équivalent) net de 15 655 $ alors que l'indice BSI (Baltic Supramax Index) s’était établi en moyenne à environ 13 700 $ depuis le début du trimestre.
Star Bulk Carriers a terminé la période septembre-octobre avec un bénéfice de 43,7 M$ contre 110 M$ au cours du même trimestre de l'année dernière, bien que ses revenus aient chuté de 141 M$ pour atteindre 223 M$.
Au cours du troisième trimestre, ses capesize et newcastlemax ont été réservés au tarif moyen de 17 007 $/j (18 110 $ sur neuf mois) et ses ultramax et supramax à 13 082 $ (13 266 $ sur neuf mois).
Adeline Descamps