Sovcomflot a trouvé une solution russe pour assurer sa flotte et pour maintenir ses certificats de navigabilité. En mai, on disait la compagnie maritime de transport russe dans une impasse alors que le dernier train de sanctions européennes prévoit d’interdire aux entreprises de l’UE d'assurer, réassurer et de financer le transport maritime du brut et de produits pétroliers russes vers des pays tiers.
Si le Royaume-Uni s’inscrit dans les pas de l'Union européenne en imposant ses propres interdictions, les exploitants russes de tankers se trouveraient ainsi exclus du marché mondial de l'assurance couvrant le transport de pétrole. International Group of P&I Clubs, basé au Royaume-Uni, assure 95 % du marché mondial de l'assurance des pétroliers et ses adhérents sont principalement britanniques, américains et européens. Le marché de la réassurance est aussi fortement concentré en Europe.
Le sixième train de sanctions, qui comprend un embargo progressif des importations de brut russe par voie maritime sur une période de six mois, devrait rendre le commerce du pétrole russe quasiment impossible et retirer du marché jusqu'à 8 % de l'offre mondiale de brut. Ce qui devrait contribuer à un renchérissement des cours de brut alors que la Russie le brade auprès des acheteurs asiatiques…
Retrait des P&I anglais
Mais la flotte de Sovcomflot est déjà, dans les faits, sans couverture d’assurance (122 navires, dont 50 VLCC, 10 méthaniers et 10 brise-glace, une douzaine en commande), les sociétés de classification et les P&I ayant déserté pour se conformer aux restrictions frappant les transactions financières et gelant les avoirs. L’entreprise russe avait notamment été acculée à vendre ses actifs mi-mai pour rembourser ses emprunts auprès de banques étrangères avant l’entrée en vigueur des sanctions européennes. Les rapports font état d’une vingtaine de navires cédés, dont certains de ses précieux méthaniers, qui auraient été de surcroît vendus par des banques occidentales.
Les P&I anglais West of England, North et UK Club, qui font partie des cinq clubs P&I de l'International Group assurant une partie de la flotte de Sovcomflot d’après les registres de navigation, ont été les premiers à se mettre en conformité avec les décisions de Bruxelles. Les deux autres sont les clubs norvégiens Gard et Skuld, qui n’étaient pas tenus de mettre un terme à leur couverture des risques, la Norvège ne faisant pas partie de l’UE.
Le retrait (annoncé ou programmé) des sociétés de classification, telles la britannique Lloyd’s, l’américaine ABS ou la norvégienne DNV, a été un autre coup dur. Ces dernières procurent de précieuses ressources, à commencer par la certification des navires. Un sésame pour garantir la navigabilité d'un navire mais au-delà pour prémunir les navires des risques, accéder aux ports étrangers ou à la formation dispensée par les fabricants de moteurs de navires sur leurs équipements, etc…
50 navires russes ont migré vers un registre indien
Selon Reuters, le transporteur russe de pétrole et de gaz a trouvé des solutions. Il a placé l’ensemble de ses navires auprès d'assureurs russes tandis que la Compagnie nationale russe de réassurance (RNRC), contrôlée par l'État, est devenue le principal réassureur des navires russes, y compris de la flotte de Sovcomflot. « Techniquement, la couverture répond aux règles internationales », a précisé le PDG de la compagnie Igor Tonkovidov, répondant aux médias en fin de semaine dernière, sous-entendant que ses navires pourraient continuer à naviguer dans le monde entier.
Moscou avait au préalable donné le ton et Dmitri Medvedev, ancien président et actuel vice-président du Conseil de sécurité de la Russie, avait défié l’Occident en garantissant que les navires russes privés dans couverture bénéficieraient d'une assurance d'État dans le cadre des accords commerciaux conclus par la Russie avec d'autres pays.
Sovcomflot n’est pas un cas isolé. Selon l'Association internationale des sociétés de classification (IACS), plus de 50 navires russes ont migré vers le registre indien, Indian Register of Shipping (IRClass), bien que la société ait nié qu'elle travaillait avec des intérêts maritimes russes.
L'Inde est l’un des rares grands pays, avec la Chine, à ne pas avoir condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le gouvernement dirigé par Narendra Modi a même largement profité du pétrole à prix décoté en augmentant considérablement ses importations de brut de l’Oural alors que les raffineurs indiens achetaient rarement du pétrole russe en raison des coûts de transport élevés. La Russie est ainsi devenu le deuxième fournisseur de pétrole de l'Inde, en mai, derrière l'Irak et poussant l'Arabie Saoudite à la troisième place selon les données commerciales. En mai, les raffineurs indiens ont reçu environ 819 000 barils par jour (b/j) de brut russe (contre environ 277 000 en avril) sur un total importé de 4,98 millions de b/j.
Coup dur pour les grands projets russes en Arctique
L'interdiction est également un coup dur pour les grands projets pétroliers russes dans l'Arctique portés par Gazprom Neft, Lukoil et Rosneft. Arctic Vostok Oil, LNG2, Sakhaline 2, Ob LNG, ils doivent contribuer à assurer une grande partie des exportations d’hydrocarbures dont la Russie tire actuellement 15 % de son PIB.
Le courtier dans le transport de pétroliers Poten & Partners voit dans la résolution des problèmes d'assurance de Sovcomflot une opportunité pour le commerce du brut avec les acheteurs asiatiques et donc un signal positif pour les suezmax (exportations depuis la mer Noire), pour les aframax ainsi que pour les VLCC (exportations depuis la mer Baltique).
Des exportations de brut russe en hausse de 12 %
Les exportations de pétrole russe ont augmenté de 12 % au cours des cinq premiers mois de 2022, a indiqué le vice-premier ministre Alexandre Novak le 17 juin lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg. Le dirigeant russe a indiqué à cette occasion que Moscou ne prévoit pas d'introduire un mécanisme de paiement en roubles pour les exportations de pétrole russe vers les pays sanctionnés. Contrairement à ce qui est imposé au gaz par le Kremlin depuis le 1er avril. Les robinets ont été coupés pour les États ayant refusé de se conformer aux nouvelles règles.
Le PDG de Gazprom Neft, Alexander Dyukov, a pour sa part déclaré que la Russie « expédie déjà 50 % de son pétrole en Asie ». Pour le dirigeant, l'Europe peut probablement se passer du pétrole russe mais la question est de savoir « quel prix elle devra payer pour y parvenir. »
Adeline Descamps
Les sanctions sur l’embargo maritime : un casse-tête juridique
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