Les derniers navires d’Hapag Lloyd bloqués dans le canal de Suez – les Tokyo Bay, Al Rawdah et Warnow Master – ont pu franchir le canal dans les premiers jours d’avril. « La crise a été rapidement résolue et pourtant, on ne peut toujours pas parler d’un retour à la normale », modère Rolf Habben Jansen. Le directeur général de la compagnie allemande faisait un point, à l’occasion d’une vidéoconférence avec la presse le jeudi 7 avril, sur la crise du canal de Suez. « À 24 ou 48 heures près, nous allions dérouter nos navires vers le Cap de Bonne Espérance [la route historique entre Asie et Europe qui allonge la navigation d’une dizaine de jours, NDLR]. Nous n’avons finalement pris cette décision que pour six de nos neuf bateaux bloqués. » Selon Rolf Habben Jansen, ce sont 369 navires au total qui ont été affectés par la crise de Suez, et non plus de 400, comme il a été communément avancé.
« Les retards sont particulièrement importants pour l’Amérique du Nord avec parfois une semaine de délai supplémentaire, insiste le dirigeant. D’autant que la pandémie avait déjà fait prendre du retard dans les ports, avec une baisse de la productivité et des capacités au niveau des trains et des camions. » Plus de 20 navires sont actuellement bloqués rien qu’à Long Beach et Los Angeles, avec des problèmes similaires à Vancouver, Oakland, New York et Savannah.
Situation tendue à Southampton et Rotterdam
« Dans cette zone, on ne peut pas compter sur un retour à la normale avant la fin du second trimestre, voire au troisième trimestre », maintient le patron du numéro 5 mondial de la ligne régulière qui avait dès le début de l’année placé à cet horizon un retour à une certaine normalité. « La situation est également critique mais moins tendue en Europe, notamment à Southampton et Rotterdam, tandis que les retards sont gérables dans les ports allemands », ajoute-t-il. Hambourg notamment, qui n'est pas le premier port d'escale après le canal de Suez pour les navires en provenance d'Asie de l'Est, est moins affecté par les conséquences du blocage du canal qui concernent surtout les escales à Rotterdam ou Southampton. Le port allemand sera en revanche impacté par la hausse attendue des exportations allemandes de 5 à 10 % au cours des prochaines semaines.
« Les navires vont maintenant arriver en Europe ou en Asie avec un retard d'une à deux semaines. Il pourrait y avoir d'autres embouteillages si trop de navires arrivent en même temps dans les grands ports. Les voyages de retour seront retardés, et certains devront être purement et simplement annulés », prévient-il toutefois.
Pour éviter de nouveaux goulets d’étranglement, Hapag-Lloyd qui a acheté 300 000 conteneurs au cours des 12 derniers mois, entend passer rapidement de nouvelles commandes en Chine. L’armateur souhaite aussi « utiliser les conteneurs de manière plus efficace » à l'avenir, en mettant par exemple les boîtes vides à la disposition des clients un peu plus tard qu'avant, « c'est-à-dire seulement cinq jours au lieu de dix avant le départ. »
GNL avant tout
Interrogé sur ses ambitions climatiques, la compagnie souligne les progrès déjà réalisés avec une réduction des émissions de CO2 de 50 % depuis 2008. « Nous avons maintenant atteint un cap et nous ne pourrons passer à une étape supérieure sans passer à d’autres technologies ou à d’autres types de carburants », insiste Richard von Berlepsch, le directeur de la flotte. Pour l’armateur de Hambourg, l’avenir passe désormais par le GNL. Il ne l’a pas toujours pensé. « C’est la meilleure option possible aujourd’hui pour sortir des énergies fossiles, estime Jan Christensen, directeur Fuel de Hapag-Lloyd. Aucun autre carburant n’est disponible aujourd’hui en quantité suffisante. Il faut compter au moins 10 à 15 ans de développements pour voir émerger des alternatives. Pour nous, la route vers la décarbonisation passe par le GNL ».
D’hésitations en tergiversations, Hapag-Lloyd a finalement commandé, en fin d’année dernière, six mégamax de 23 500 EVP en dual fuel LSFO/GNL au constructeur sud-coréen DSME. La livraison des premières unités est fixée à avril 2023 et elle s’échelonnera jusqu’à décembre. Un investissement de 1 Md$. Les navires seront déployés sur les lignes entre Europe et Asie (services FE) dans le cadre de THE Alliance (Hapag-Lloyd, One, HMM, Yang Ming).
Changement de convictions
Le numéro 5 mondial du transport de conteneurs (1,8 MEVP de capacités conteneurisées, 7,3 % de parts de marché) avait été jusqu’alors plutôt prudent sur le GNL. Il a longtemps préconisé un mix énergétique panachant des scrubbers (donc avec du fuel à 3,5 % de teneur en soufre), du LSFO (moins de 0,5 % de soufre) et éventuellement du GNL. Il a opté pour la conversion au GNL d’un seul porte-conteneurs, le Sajir (15 000 EV), hérité de la flotte de UASC acquise par Hapag-Lloyd en mai 2017. Le navire avait été pensé à l’origine en « LNG ready » (qui peut être reconfiguré moyennant des aménagements). Le Sajir a, dès le début, été considéré comme un pilote, ouvrant la voie à 16 autres unités de UASC si et seulement si « le premier essai était concluant ».
Nathalie Versieux