Les incertitudes liées à la production du minerai de fer, dont les prévisions ne cessent de s’ajuster aux catastrophes naturelles, restrictions sanitaires, perturbations maritimes et autre pénurie de main d’œuvre, n’aident pas le marché des vraquiers. Les grandes sociétés minières envisagent une légère augmentation des exportations de minerai de fer en 2022. Mais seule la Chine détient les clés...
Après une baisse de 3 %, à 321,6 Mt en 2021, le géant minier australien Rio Tinto prévoit une augmentation de ses exportations de minerai de fer en 2022 bien que le calendrier de son projet greenfield Gudai-Darri en Australie occidentale ait été repoussé, a déclaré la société le 18 janvier à l’occasion de la présentation de ses résultats.
Le volume de production du principal ingrédient de l’acier ressort finalement dans la fourchette (basse) de ses prévisions. Le premier producteur mondial de minerai de fer avait revu ses capacités à la baisse en octobre, entre 325 et 340 Mt.
L’an dernier, outre les restrictions induites par la pandémie, notamment l'accès à la main d'œuvre et les perturbations dans la chaîne d’approvisionnement, l’anglo-australien a rencontré des déconvenues d’une autre nature, des précipitations importantes au cours du second semestre et des retards dans ses « projets de croissance ». Sa principale zone de production, la région de Pilbara, dans l'ouest de l'Australie, a ainsi accusé un déficit annuel de 5 %.
Si la production a déçu, ce n’est pas un problème de demande, insiste la direction. « En 2021, nous avons continué à connaître une forte demande pour nos produits, alors que les conditions d'exploitation sont restées difficiles », indique Jakob Stausholm, PDG de Rio Tinto dans le rapport d’activité.
Entre 320 et 335 Mt
Pour 2022, le groupe prévoit entre 320 et 335 Mt, tout en intégrant les restrictions sanitaires auxquelles il pourrait face demain en cas d’un énième épisode du covid qui pourrait l’amputer d’une partie de ses ressources. « La main d’œuvre est critique dans notre activité ».
La région occidentale de l’Australie applique une politique stricte à l’égard du virus (fermeture des frontières intérieures et extérieures) si bien que seuls quelques cas positifs ont été détectés. Mais elle a laissé entrevoir un assouplissement dès février, notamment dans les restrictions frontalières, ce qui pourrait entraîner des perturbations à court terme dans l'environnement opérationnel, considère la multinationale.
Rio Tinto ne pourra pas non plus compter sur ses nouvelles capacités avant le deuxième trimestre. La mise en service de la première phase de sa nouvelle mine de Gudai-Darri a pris du retard et a été décalée de janvier à mars.
Pression sur les prix
Le ralentissement de l'activité de construction en Chine a pesé sur la demande de minerai de fer, dont les prix ont presque été divisés par deux par rapport au pic atteint en mai de l'année dernière. Rio Tinto a indiqué un prix moyen de 111,50 $/t FOB au cours des six derniers mois de l’année, alors qu’il s’établissait à 154,90 $/t au cours du premier semestre.
Par ailleurs, alors que l’anglo-australien veut développer les mines au lithium – avec Rincon en Argentine et Jadar, dans l'ouest de la Serbie –, il se heurte à beaucoup de résistance. Avec ces projets, il vise la fabrication de batteries pour voitures électriques. Rio Tinto vient d’annoncer un nouvel ajournement de son projet en Serbie, où les autorités exigent une étude d'impact sur l'environnement et où la société fait face à une forte résistance des ONG.
Les trois paramètres qui vont influencer le vrac sec en 2022
Le minerai de fer a relayé le charbon pour BHP
Si la production de charbon thermique de BHP a été sacrément perturbée par le phénomène climatique La Nina et les contraintes de travail liées à la pandémie (sans parler des relations entre la Chine et l'Australie), l’histoire est toute différente à l'autre bout du pays, en Australie occidentale, où sont basées ses opérations de minerai de fer. Loin du Pacifique où s’abattent les pluies torrentielles.
La société minière, basée à La Haye, indique avoir atteint « une production quasi record de minerai de fer » qui a permis de « réduire l'impact des conditions météorologiques défavorables et des contraintes de main-d'œuvre liées au Covid dans nos opérations », estime Mike Henry, PDG de BHP.
Pour l'instant, la société tient ferme sur ses prévisions de production à 278-288 Mt pour l'exercice 2021-2022, encouragée par une production en hausse en fin d’année. Sur les six derniers mois de l’année, BHP a vendu son minerai à 113,54 $/t, soit une hausse de 9 % par rapport à au second semestre 2020 mais en baisse de 28 % par rapport aux six premiers mois de l’année.
Vale soumis aux lois de la nature
Au Brésil, les opérations viennent à peine de reprendre dans l'État du Minas Gerais, au sud-est du pays, après avoir été suspendues en raison des fortes pluies qui ont provoqué des inondations meurtrières dans le nord-est et des perturbations logistiques.
Dans une annonce boursière, Vale a déclaré en début de semaine que les mines de Brucutu et de Mariana ont progressivement redémarré, une partie de la voie ferrée Vitoria-Minas ayant été dégagée. Ses sites d’Aboboras, Vargem Grande, Fabrica et Viga sont à nouveau opérationnels.
Selon le géant minier brésilien, les arrêts ont affecté sa production d'environ 1,5 Mt, ce qui n’entame guère sa confiance. Le géant brésilien a réaffirmé des engagements de production, entre 320 à 335 Mt en 2022.
Samarco, une coentreprise entre Vale et BHP, avait repris sa production la semaine dernière. La société française Vallourec, qui a mis sur pause sa mine de Pau Branco alors que les précipitations avaient débordé la digue, n’avaient toujours remis en marche ses unités en début de semaine.
Les capesizes à la déprime
« Depuis le début de l'année, nous avons assisté à une correction à la baisse du Baltic Dry Index [indice de référence qui fournit une évaluation du prix à payer pour transporter les principales matières premières sur 26 routes maritimes, NDLR] dans tous les segments », relève le courtier maritime Intermodal.
Depuis la première semaine d'octobre 2021 – le niveau le plus élevé depuis 2008 – le BDI se dégonfle et a fini par s’écraser à 1 644 en début de semaine, en repli de 71 % par rapport au pic du 4e trimestre. Il est plombé par les capesize, qui se fixent actuellement à 12 190 $/j alors que le seuil de rentabilité moyen est estimé à 14 500 $.
L’interdiction par l’Indonésie, le plus grand exportateur de charbon thermique au monde, d’expédier du charbon à partir du 1er janvier (depuis il a autorisé le départ de 48 vraquiers) a porté le coup fatal. « Une augmentation de l'offre de navires dans le Pacifique en raison de l'interdiction des exportations de charbon en Indonésie a cannibalisé les revenus dans le bassin pour toutes les tailles, le capesize étant le plus touché en raison de la sous-performance des flux de minerai de fer dont il dépend largement », décrypte Intermodal.
Effet papillon de la Chine
En attendant, le Nouvel An chinois dans moins de deux semaines et les Jeux olympiques de Pékin mettent aussi l’ensemble sous une chape de plomb.
Adeline Descamps