La petite monarchie du Golfe a le sens des proportions. Pour gérer sa future flotte d’au moins 100 méthaniers – dont le nombre exact, les caractéristiques et la ventilation entre les chantiers ne sont toujours pas connus – la compagnie pétrolière du Qatar a fait le choix de solliciter la concurrence internationale aux dépens de sa filiale de transport maritime Nakilat. Qatar Petroleum vient de lancer un appel d'offres pour l'affrètement en taille XXL de méthaniers afin de répondre à ses futurs besoins en matière de transport de GNL, notamment pour servir l’un des plus grands gisements de gaz naturel au monde, le champ offshore North Field, que le Qatar partage avec l'Iran. Ce vaste projet lancé en 2017 après un moratoire de douze ans permettra au Qatar, actuel plus grand producteur et exportateur mondial de GNL, de voir sa capacité de production passer de 77 à 126 Mt par an d'ici 2027.
Outre le North Field, l'appel d'offres couvre également le transport de GNL issu du terminal de liquéfaction Golden Pass de Port Arthur dans l'État du Texas aux États-Unis que le qatari détient à hauteur de 70 % aux côtés d’ExxonMobil (30 %). D’une capacité de production de 16 Mt/an avec trois trains de liquéfaction, sa mise en service est prévue en 2024. L’appel d’offres comprend par ailleurs des options pour remplacer l’affrètement à temps pour un certain nombre de méthaniers qui expireront dans les prochaines années.
Un interminable feuilleton
« La publication de cet appel d'offres est une étape importante dans nos efforts pour trouver les armateurs et les opérateurs les plus qualifiés pour notre future flotte de méthaniers, indique le géant pétrolier. Après avoir reçu les réponses, nous examinerons les capacités techniques et commerciales des soumissionnaires dans le but d'affecter les armateurs sélectionnés aux créneaux des chantiers navals qui ont été retenus l’an dernier pour construire jusqu'à 100 nouveaux méthaniers.» Qatar Petroleum a confié au producteur de gaz du pays Qatar Gas, dont il est actionnaire aux côtés de capitaux étrangers, la gestion du programme de sélection d'armateurs en son nom. Le producteur de gaz du pays exploite actuellement une flotte de 45 méthaniers Q-Flex et Q-Max.
Dans l'accord conclu l'année dernière entre la société et les chantiers navals, des options ont été posées pour 151 navires d'une valeur d'environ 180 M$ chacun qui devraient être livrés entre 2023 et 2026. L’épisode a été un interminable feuilleton qui a tenu la construction navale en haleine pendant plus d’an. C’est en janvier 2019 que la compagnie pétrolière et gazière avait initialement fait connaître son besoin portant sur ce qui était alors « plusieurs dizaines de méthaniers ». Elle précisera bien plus tard le nombre à 60 unités avant de grossir le trait.
Déception sud-coréenne
Prenant le contrepied de ceux qui pensaient que la crise sanitaire et la conjoncture déprimée du GNL allaient l’amener à retarder ses emplettes, le Qatar a fini par officialiser, en avril 2020, une première commande de 15 méthaniers en avril que le géant qatari a attribuée, à la surprise générale, au chinois Hudong-Zhonghua Shipbuilding, filiale de China State Shipbuilding Corp (CSSC). D’un montant de 2,86 Md$, le contrat est le plus important jamais enregistré à l’export par le constructeur de Pudong dans le secteur des méthaniers, seul chantier en Chine capable de délivrer des méthaniers de grande taille.
Et ceci, au grand dam des chantiers sud-coréens qui avaient mobilisé toutes les forces vives du pays pour décrocher la timbale. Les compagnies sud-coréennes H-Line Shipping, Hyundai LNG Shipping, Korea Line, Pan Ocean et SK Shipping avaient ainsi accompagné à Doha une délégation ministérielle de sept ministres coréens, dont ceux de l’Énergie, des Affaires maritimes et du Transport. Ayant construit tous les méthaniers commandés par le Qatar de 2004 à 2007, et raflé la quasi-totalité des contrats portant sur le segment des méthaniers ces deux dernières années, HHI, DSME et Samsung Heavy se montraient très confiants.
Dénouement
C’est peu de dire que la compagnie du pays a entretenu le suspense et pris le temps de la réflexion. Tout au long de l’année 2019, des représentants de Qatar Petroleum ont sillonné les chantiers asiatiques, sud-coréens certes, mais aussi japonais et chinois en quête de l’expertise.
Finalement, en juin 2020, elle finira par signer des accords avec Hyundai Heavy Industries (HHI), DSME et Samsung Heavy Industries (SHI) pour leur réserver la majeure partie de leur capacité de construction de méthaniers jusqu’en 2027. « Soit environ 60 % de la capacité mondiale de construction de ce type de navires », avait alors précisé Saad Sherida Al-Kaabi, PDG de Qatar Petroleum et ministre de l’Énergie du Qatar. La commande porte sur une centaine de méthaniers et avoisine les 20 Md$. Fin d’une première saison.
Adeline Descamps