Les lois de la piraterie sont parfois indécryptables. Après une longue période d’accalmie, le détroit de Singapour est redevenu une zone à problèmes. Ces dernières années, le statut de région la plus dangereuse au monde lui avait été subtilisé par le Golfe de Guinée où la piraterie s’est largement professionnalisée.
Entre janvier et mars, selon le Bureau maritime international (BMI, IBM en anglais), l’organisme dépendant de la Chambre de commerce internationale qui recense les atteintes au commerce maritime, 65 % des 27 incidents signalés au cours du premier trimestre de cette année étaient concentrés dans le détroit de Singapour (8), en Indonésie (4) et au Pérou (5), ce dernier pays figurant parmi les no man’s land « montants » ces deux dernières années.
Loi des séries
Ces derniers jours, une loi des séries frappe la côte ouest-africaine, plusieurs événements se succédant.
Le navire-citerne Success 9, propriété du Fortune Ship Management (groupe singapourien Hai Soon), a été arraisonné par des pirates au large de la Côte d'Ivoire le 10 avril avant d'éteindre son AIS pour se rendre invisible, selon le Maritime Domain Awareness for Trade - Gulf of Guinea (MDAT GoG), centre de coopération entre les marines britannique et française.
Au cours du week-end, le capitaine du pétrolier danois Monjasa Sprinter a reçu un appel de détresse du navire détourné et a réussi à le localiser permettant à un patrouilleur de la marine ivoirienne de remplir son office. Les 20 membres d'équipage, dont le sort était encore incertain en fin de semaine dernière, sont tous sains et saufs et le navire a été escorté vers le port d’Abidjan.
Mode opératoire qui change
Cette attaque survient peu de temps après celle du Monjasa Reformer, qui s’est soldée par la prise d’otage de six des 16 membres composant l'équipage. Le pétrolier et chimiquier (13 700 tpl) battant pavillon libérien, appartenant à Monjasa Chartering DMCC, un groupe de négoce de carburants marins et géré par Montec Ship Management, a été abordé au sud-ouest de Pointe-Noire, au Congo, le 25 mars.
Le navire a perdu toute communication pendant près de cinq jours avant d’être localisé par le patrouilleur français Maître l’Her, engagé dans la région pour servir l’opération Corymbe, dont la présence s’inscrit dans le cadre d’une coopération avec les marines riveraines et les 26 centres dédiés du processus de Yaoundé [accord qui structure sécurité des espaces maritimes du Golfe de Guinée].
Le sort des six marins enlevés n'est pas encore connu. Mais le mode opératoire traduit d'ores et déjà un changement dans les pratiques : les pirates sont restés exceptionnellement longtemps à bord (cinq jours).
De 162 actes à 115 entre 2019 et 2022
Si la piraterie est en repli – 162 actes signalés en 2019, 195 en 2020, 132 en 2021, 115 en 2022 –, « une présence navale régionale et internationale constante et coordonnée reste nécessaire afin d'agir comme un moyen de dissuasion pour prévenir et répondre à la piraterie », insiste Michael Howlett, directeur du Bureau maritime international.
Pour autant, les 27 incidents enregistrés au cours des trois premiers mois de l’année – 37 de moins qu’au cours de la même période en 2022 –, constituent le plus bas niveau observé depuis 1993. Dans 24 cas, les auteurs ont abordé les navires et un a fait l’objet d’un détournement. En revanche, la violence des attaques est de plus en plus prégnante : six membres d'équipage ont été enlevés, deux pris en otage, deux menacés et un agressé.
Au total, l’Asie du Sud-est a concentré 14 attaques contre 8 en Amérique du Nord et du Sud et 5 en Afrique. Les données indiquent en outre une montée en puissance entre janvier et mars.
Pause dans le Golfe de Guinée
Le golfe de Guinée s’apaise avec seulement cinq signalements contre huit en 2022 et 16 en 2021. Il faut sans doute attribuer le repli aux efforts conjoints des polices côtières et des marines internationales. Le Golfe de Guinée a bénéficié d'une forte mobilisation ces deux dernières années face à la montée en puissance de la criminalité. Le Nigeria, leader régional, a fait montre d’une grande détermination, envoyant des signaux plus clairs aux auteurs des délits avec sa politique antipiraterie.
Regain de tensions en Asie du Sud-Est
A l’inverse, le détroit de Singapour connaît un regain de tensions. Près de 30 % des événements du premier trimestre y sont localisés avec huit cas enregistrés, en baisse toutefois par rapport aux 15 affichés durant les trois premiers mois de l’année 2022. Les incidents se caractérisent dans la région par des vols de petite envergure et la violence ne s’exprime pas avec la même force qu’en Afrique même s’il « reste une possibilité inquiétante alors que les pirates ont eu recours à des armes blanches dans deux événements », indique le BIM.
En Amérique du Sud, 33 % des faits enregistrés se sont produits en Amérique du Sud, le mouillage de Callao, au Pérou, apparaissant comme une zone particulièrement préoccupante. Cinq assauts y ont été commis au cours du premier trimestre, un nombre constant au cours des dernières années, mais deux équipages ont été cette fois concernés par une prise d’otage et une agression.
Adeline Descamps