Deux semaines après la fermeture des terminaux à conteneurs de Meishan au sein du complexe portuaire chinois de Ningbo-Zhoushan à la suite de la détection d’un cas positif au Covid parmi les employés, les autorités portuaires chinoises semblent avoir absorbé le choc plus rapidement que prévu. Ce 18 août, alors que les opérations avaient été suspendues le 11 août pour une durée indéterminée, elles évoquent déjà une date de réouverture, fixée au 6 septembre.
La deuxième série de tests n’a révélé aucun cas supplémentaire. Une troisième salve est en cours. Ce qui fait dire à certains agents maritimes locaux que le terminal pourrait rouvrir plus vite que prévu [depuis la rédaction de cet article, la direction de Meishan a confirmé une réouverture partielle le 25 août et une reprise complète des activités le 1er septembre. Les données de Lloyd's List Intelligence indiquent qu'il y avait encore 97 porte-conteneurs représentant 477 414 EVP au mouillage au large des ports de Ningbo-Zhoushan et de Shanghai le 24 août. Il y en avait 110 navires pour 588 405 EVP la semaine précédente, NDLR].
Concilier la politique zéro Covid avec la fermeture du troisième port mondial
Si cela s’avérait, elles auraient manifestement réussi à concilier la politique de tolérance zéro de Pékin à l’égard du virus avec la gestion de la fermeture d’un terminal qui représente 20 % de la capacité de Ningbo, troisième port mondial avec 28,7 MEVP en 2020 (plus de 16 MEVP au cours du premier semestre).
L’affaire n’est pourtant pas simple. Le ministère chinois des Transports a pris des mesures drastiques. De nombreux ports exigent des certificats de santé ou des tests négatifs avant d’autoriser à charger et décharger le fret et mettent les navires quarantaine pendant deux à quatre semaines s'ils ont été précédemment amarrés en Inde, où la variante du delta a fait un bond pendant l'été. Des quarantaines sont également requises en cas de changement d'équipage dans les 14 jours suivant l'arrivée en Chine. Les mêmes précautions s’appliquent aux navires ayant fréquenté les ports du Laos ou de la Russie au cours des 21 derniers jours.
Conteneurs : l'improbable traversée des six premiers mois de l'année
Casse limitée dans le nombre d’escales
Si le nombre de navires au mouillage, en attente d'un poste d'amarrage, a augmenté pour atteindre le nombre de 41 le 17 août (contre 28 le 10 août, date à laquelle le « cas Covid » a été signalé) et si le nombre moyen d'escales hebdomadaires à Ningbo a diminué de 22 %, passant de 188 porte-conteneurs à 146, la capacité nominale totale des navires faisant escale dans le port n'a baissé que de 7,8 %, à 572 052 EVP. C’est ce qu’indiquent les données de la plateforme SaaS Project44, dont les outils prédictifs offrent une visibilité en temps réel et de bout en bout sur les chaînes mondiales de transport. Les quatre autres terminaux du port auraient « épongé » le trafic de conteneurs entrant et sortant redirigé depuis Meishan.
Ajustement à la marge dans les blank sailing
En outre, les transporteurs n'auraient pas procédé à des black sailing à grande échelle. Comme ils l’avaient fait pour Yantian en mai. Project44 n’a enregistré que 15 annulations d’escales. La plupart des compagnies auraient donc ajusté à la marge leurs programmes et exploité « à bon escient » les ports voisins.
Shanghai comptait de ce fait 34 navires en attente au mouillage, contre 27 le 10 août, tandis que le nombre de navires en attente au port de Xiamen – à 700 km au sud de Ningbo – est passé en une semaine de quatre à 18 le 17 août.
Les temps d’attente dans les autres ports, qui ont servi de délestage, semblent cependant contenus, limités à deux jours selon les compagnies. Peut-être est-ce lié au fait que les principaux clients du terminal sont les membres de Ocean Alliance (CMA CGM, Evergreen, Cosco/OOCL). Les autres aliances 2M et THE Alliance, qui regroupent les autres principaux transporteurs mondiaux (Maersk et MSC d’une part ; Hapag-Lloyd, HMM, Yang Ming et ONE de l’autre), utilisent d’autres terminaux.
Ainsi Maersk, qui exploite principalement les terminaux voisins de Beilun et Yongzhou avait-il rapidement réagi pour rassurer ses clients. Le leader mondial de la ligne régulière, dont six navires éviteront Ningbo au cours du mois d'août, n'a qu'un seul service escalant à Meishan : l'AC6 qui dessert l'Amérique du Sud dans le cadre d'un accord de partage de navires avec CMA CGM, fournisseur des capacités. Raison pour laquelle le danois avait, dans une note à la clientèle, renvoyé sa clientèle vers son partenaire français.
Non sans effets sur la congestion portuaire
Si la situation de Ningbo s’avère moins inquiétante que prévu, ce nouvel accroc dans la chaîne d'approvisionnement mondiale ne devrait pas être sans impacts sur les principaux ports du monde entier déjà passablement perturbés. À un moment crucial dans un contexte de pré-rentrée scolaire, de reprise après la période estivale et de la perspective des fêtes de fin d’année, ce qui correspond traditionnellement pour le transport maritime à la haute saison.
Russell Group, consultant en gestion des risques, estime que « la fermeture partielle du port de Ningbo par la Chine menace le commerce mondial à hauteur de 172 Md$, dont 39,2 Md$ d'exportations de puces électroniques » alors que de « nombreuses entreprises mondiales ont déjà signalé des pénuries et des délais accrus d’approvisionnement pour les composants électroniques » et que les usines sont en retard dans les commandes.
Selon la société de conseil basée au Royaume-Uni, le port chinois exporte chaque année 22 % de ses produits vers les États-Unis, soit 16 Md$ dont 8,3 milliards à destination du port de la côte ouest-américaine Long Beach.
Extrême tension à Los Angeles
Depuis près d’un an, les ports américains tournent à plein régime. La congestion connaît régulièrement des moments d’extrême tension. En février, un nombre record de 41 porte-conteneurs avaient été repérés au mouillage dans la baie de San Pedro, en attente d'un poste d'amarrage à Los Angeles ou Long Beach. Début août, 125 navires de tous types (y compris des pétroliers et des paquebots) étaient à quai ou à l'ancre à Los Angeles/Long Beach parmi lesquels 66 porte-conteneurs.
Avec l’augmentation du nombre de services (Sea-Intelligence estime à 53 le nombre de services hebdomadaires actuels entre l’Asie et la côte ouest-américaine contre 39 seulement à la même époque l'année dernière) et la mise en service d’extra-loaders (navires ne faisant pas partie d'un service régulier) et de navires affrétés, les analystes craignent l’afflux en différé de marchandises engendré par la fermeture de Ningbo. Alors que les ports californiens en sont encore à absorber celui de Yantian.
« Notre principal produit d'exportation reste l'air car nous repositionnons les conteneurs vides vers l'Asie », Gene Seroka, directeur du port de Los Angeles
Pénurie de tout
À Los Angeles, 890 800 EVP ont été manutentionnés en juillet, dont 469 361 EVP à l’import (contre tout attente, inférieures aux données de juillet 2019, à 476 438 EVP). L'effondrement des exportations est flagrant : 91 440 EVP, le plus faible volume mensuel d'exportations depuis février 2005, selon la direction du port.
En revanche, les conteneurs sortants vides ont fait un bond de 20 % par rapport à l'année précédente, pour atteindre 329 999 EVP. « Notre principal produit d'exportation reste l'air, car nous repositionnons les conteneurs vides vers l'Asie », a commenté Gene Seroka, le directeur du port de Los Angeles.
Selon le dirigeant, le temps d'attente moyen des porte-conteneurs aux terminaux est « à son maximum, soit environ 5,3 jours ». Le temps d’immobilisation des conteneurs au port est de 8,3 jours et celui des trains « dépasse les 13 jours ».
Les opérateurs ferroviaires Union Pacific et BNSF ont délibérement réduit les opérations en provenance du sud de la Californie le mois dernier afin de réduire la pression à Chicago, ce qui aurait eu un impact sur environ 15 % des volumes du port de Los Angeles. Outre la pénurie de navires et de conteneurs, les ports américains luttent en outre depuis de longs mois déjà contre celle des poids lourds et des chauffeurs routiers, autres legs des longs mois de pandémie.
Les perturbations dans les ports nord-européens font valser les escales
Valse des escales
En Europe, les grandes portes d'entrée sont également surchargées mais « contrairement aux États-Unis, où les cargaisons ne peuvent pas être facilement réacheminées et où les navires doivent donc attendre, les opérations sont un peu plus flexibles », indique Alphaliner. Ainsi, les compagnies jonglent avec les escales et déplacent le centre de gravité du transbordement vers des ports sous-utilisés.
En témoigne la ligne Asie-Europe AE7/Condor de 2M qui a exclu Hambourg au profit de Bremerhaven tandis que le NEU4 d’Ocean Alliance (FAL1 chez CMA CGM) vient d’ajouter Wilhelmshaven.
Les compagnies « opportunistes » qui se sont récemment aventurées sur les lignes Est-Ouest, à l’instar de China United Lines, l’ont bien compris. Les 4 400 EVP de CUL préfèrent Amsterdam ou déchargent au terminal Matrans Rotterdam, pourtant réservé à la manutention de produits forestiers et pharmaceutiques.
Prix facturés entre 15 et 17 000 $ /FEU
Cette situation chaotique fait indiscutablement grimper les prix. L'indice Freightos Baltic Global Container Index (FBX), une moyenne pondérée de 12 grands itinéraires mondiaux pour les conteneurs, a atteint le niveau record de 9 770 $ par conteneur équivalent quarante pieds (FEU) ces derniers jours.
Les taux, y compris les frais de service majorés (puisque le FBX les intègre désormais dans sa nouvelle méthode de calcul), de Shanghai ou de Qingdao à destination de Los Angeles/Long Beach, ont été facturés pour la période du 20 au 27 août entre 15 300 et 17 000 $/FEU, selon un transitaire basé en Asie.
Platts note pour sa part que « le transport intermodal de l'intérieur vers l'extérieur coûte plus cher que celui de port à port. Les tarifs avec surtaxe de la Chine vers Chicago ou Toronto pour la fin août se situaient entre 23 000 et 25 000 $ ».
Bataille autour du conteneur
La société, qui fournit des informations de marché sur les matières premières, prévoit une augmentation des prix « car les chargeurs se font concurrence pour réserver de l'espace à bord des navires à destination des États-Unis et de l'Europe » en vue de sécuriser leurs marchandises pour la période de Noël. Il faudrait désormais 50 à 75 jours à un conteneur pour atteindre une côte américaine, contre 20 à 24 jours auparavant.
« On a entendu dire qu'un chargeur avait payé 22 000 $/FEU pour un chargement urgent d'Asie en Europe mais la plupart ont obtenu des taux de l'ordre de 15 000 à 18 000 $/FEU sur une base FAK », nuance Platts.
Les analystes, qui repoussent chaque mois le retour à la normale, évoquent désormais le mois d’octobre, période qui correspond en temps ordinaires à l’accalmie avant Noël. Un répit pour rééquilibrer les conteneurs vides, espèrent-ils. En attendant, 409 porte-conteneurs d'une capacité estimée à 2,7 MEVP attendent dans les ports du monde entier, selon VesselsValue.
Adeline Descamps